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der les instruments, et les diriger en jeu combiné, chacun selon ses emplois indiqués en partition; après quoi il n'y aura rien à réprimer.

Tel doit être le jeu des passions: Dieu n'a pas créé ces ressorts de mouvement pour les réprimer; il veut au contraire leur donner l'essor le plus actif, sauf les emplois indiqués par synthèse de l'Attraction, et sauf à en régulariser la marche par les contre poids dont la théorie nous restait à découvrir, et dont je viens de donner, sous le nom de ralliement, un aperçu qui relègue au rang des visions toutes les billevesées de modération.

FIN DE LA SEPTIÈME SECTION.

ULTRA-PAUSE.

LA DÉRAISON POLITIQUE ET MORALE,

OU LE PIÉGE DES OUVRAGES BIEN ÉCRITS.

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Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime,

Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime. »

Si le bon sens est exigé même en poésie, à plus forte raison est-il exigible en prose. Dès lors on ne voit pas à quel titre les moralistes peuvent se croire affranchis des règles du bon sens et du sens commun, dans leurs theories de modération.

Surpris de l'apostrophe, ils vont répliquer que rien n'est plus sensé que la morale douce et pure, élayée de la froide raison. Quant à moi, j'y cherche vainement une lueur de raison, et je n'y trouve à chaque page qu'un tissu de folies. Choisissons pour preuve quelque fragment d'une de ces morales qui FONT LE TOUR DU MONDE (note, III, 420); la morale du divin Fénélon, ami des hommes et des dieux, oracle des saines doctrines de la simple nature. Voyons, dans cette courte analyse, à quel degré de folie les dogmes de modération peuvent conduire l'esprit humain.

Après avoir décreté de quelles couleurs les 7 classes de citoyens seront habillées à Salente, et avoir assigné aux dernières classes les couleurs rose, jaune et blanche; d'où il suit que les charbonniers, cordonniers et fabricants d'encre seront en habit rose, jaune et blanc, Mentor continue par le décret suivant, qui serait assez mal accueilli dans notre siècle mercantile.

« On ne souffrira jamais aucun changement, ni pour la nature, ni » pour la forme des habits; car il est indigne que des hommes destinés

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à une vie sérieuse et noble s'amusent à inventer des parures affectées

• (voilà le congé de réforme pour les fabricants et ouvriers de modę);

ni qu'ils permettent que leurs femmes, à qui ces amusements seraient » moins honteux, tombent jamais dans cet excès. »

Le décret est galant: ainsi, Mesdames, quand vous songez à vous parer d'un colifichet, votre époux, s'il est ami des saines doctrines, doit vous défendre tout changement dans les parures et vêtements; jamais ni schall, ni bonnet de nouveau goût; ainsi l'exige la morale donce et pure du divin Fénélon.

• Il défendit toutes les marchandises des pays étrangers, qui peuvent

» introduire le luxe et la mollesse.» Qu'il se garde bien de prêcher cette morale aux fabricants de Paris et de Lyon, ainsi qu'à ceux d'Angleterre, tous gens fort jaloux de vendre leurs coquilles à l'étranger.

« Il régla de même la nourriture des citoyens!!! » Ceci devient intéressant le sieur Mentor va nous prescrire et limiter nos mets à parpétuité. Quelques-uns se plaignent déjà du carême, qui établit cette gêne pendant six semaines : ici la philosophie va plus loin; elle veut régler la nourriture pendant tout le cours de l'année. Mais voyons ses statuts en cuisine.

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«Quelle honte, disait-il, que les hommes les plus élevés fassent consister leur grandeur dans les ragoûts par lesquels ils amollissent leur » âme et ruinent incessamment la santé de leur corps! Il faut donc, ajoute Mentor, borner vos repas aux viandes apprêtées sans aucun ragoût; c'est un art pour empoisonner les hommes. » Tout doux, seigneur Mentor; on vous citera tels individus qui ne peuvent se nourrir que de ragoût, même à déjeûné. Voilà bien les moralistes: ils veulent non-seulement soumettre à leurs caprices tous les esprits, mais, qui pis est, tous les estomacs.

« Le roi Idoménée (en vrai ami des saines doctrines) retranche donc >> tous les ragoûts, et Mentor retranche ensuite la musique molle et » efféminée qui corrompait toute la jeunesse. Il borne la musique aux » fêtes, dans les temples, pour y chanter les louanges des dieux et des » héros. Voilà de saines doctrines musicales défendons tous ces chants efféminés des Grétry, des Sacchini : n'admettons que les musiques måles, comme la Carmagnole et le Tragala, si nous voulons être au ton de la morale douce et pure.

« Il défendit très-sévèrement la magnificence des maisons, et voulut >> que chaque maison un peu grande eût un péristyle. » Y pensez-vous, seigneur Fénélon? un péristyle est une magnificence très-coûteuse. Voilà bien les moralistes: coûte qui coûte, ils veulent que chacun se conforme à leurs goûts, et un philosophe qui aura båti un péristyle, ordonnera à tout citoyen d'en bâtir autant. Celui-ci veut « que chaque >> maison ait de petites chambres pour les personnes libres.» Pourquoi, dans un pays très-chaud comme Salente (état de Naples), ne pas permettre les grandes chambres salubres et bien aérées? Mais notre moraliste aime les petites chambres; il faudra que chacun se confine comme lui dans un réduit, tout en faisant l'énorme dépense d'un péristyle, qui suppose colonnes ou pilastres.

L'article d'où j'extrais ces sornettes ne s'étend qu'à une huitaine de pages, ce qui rend les contradictions d'autant plus plaisantes, qu'elles ne sont souvent qu'à un feuillet de distance, comme les suivantes, fort dignes de l'attention des commerçants et économistes.

« Il faut régler l'étendue de terre que chaque famille pourra posséder; > il ne faut permettre à chacune, dans chaque classe, que l'étendue * de terre ABSOLUMENT NÉCESSAIRE pour nourrir le nombre de

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personnes dont elle est composée....." (C'est la loi agraire, l'arrièresecret de la morale douce et pure.)

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. Si l'on a planté trop de vignes, il faut qu'on les arrache; le vin est

la source des plus grands maux parmi les peuples. Que le vin soit » donc conservé comme une espèce de remède, ou comme une liqueur

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très-rare, qui n'est employée que pour les sacrifices.» (Et ailleurs il dit) « qu'on n'admette que le vin du pays. »

Ne garder du vin que pour les burettes!!! Voilà un moraliste bien endiablé contre les ragoûts et le vin comment s'accordera-t-il avec Horace et Anacréon, et mème avec les sacrificateurs ou prêtres, qui ne sont point d'avis qu'on limite aux burettes l'usage du vin; ils aiment assez avoir du vin sur table: mais procédons au recueil des contradictions que notre moraliste va articuler, dès les pages suivantes, contre son précepte de loi agraire et destruction des vignes.

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D'ailleurs, la liberté de commerce était entière à Salente : bien loin

de le gêner par des impôts, on promettait une récompense à tout » marchand qui pourrait attirer à Salente le commerce de quelque nou» velle nation.

Eh! sur quoi commercera-t-on dans un pays qui, ne cultivant que la quantité de terre absolument NÉCESSAIRE pour nourrir son peuple, n'a pas de superflu à exporter? Un pays qui, arrachant les vignes et n'admettant que les vins du cru, ne peut acheter ni vins étrangers, ni liqueurs, également prohibées, et qui défend toutes marchandises de pays étrangers, pouvant introduire le luxe et la mollesse; un pays où le savant politique Mentor « RETRANCHa un nombre prodigieux de marchands qui vendaient des étoffes façonnées de pays éloignés; des » broderies, des vases d'or et d'argent, avec des figures de dieux, » d'hommes et d'animaux; des parfums, de beaux meubles, etc. » (Mentor a ordonné plus haut de rassembler tous les meubles somptueux et de les vendre aux Peucètes, pour éviter la corruption et la renvoyer charitablement chez les voisins.)

Après tant de prohibitions, je ne vois pas sur quoi on pourra commercer dans une contrée qui ne veut rien acheter de l'étranger, et qui, n'ayant que les cultures absolument nécessaires, n'a rien à donner en échange, rien à livrer au commerce extérieur.

Cet obstacle n'embarrasse pas notre moraliste, et il va d'un trait de plume créer dans Salente un commerce plus immense que celui de Londres: écoutons.

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Ainsi les peuples y accoururent bientôt en foule de toutes parts:

» le commerce de cette ville était semblable au flux et reflux de la » mer: les trésors y entraient comme les flots viennent l'un sur l'autre : » la franchise, la bonne foi, la candeur semblaient, du haut de ces superbes tours, appeler les marchands des pays les plus éloignés; >> chacun d'eux vivait paisible et en sûreté dans Salente. »

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Holà, Seigneur Fénélon! vous avez dit plus haut qu'on retranchait, c.-à-d. qu'on excluait et pourchassait tous ceux qui vendaient les étoffes de pays éloignés, les vins, liqueurs, parfums, vases, meubles étrangers: que pouvaient donc faire à Salente ces marchands qui apportaient les trésors comme les flots viennent l'un sur l'autre ? Les marchands ne viennent pas pour la promenade, et ne livrent leurs trésors qu'à bonnes enseignes. Ils ne pouvaient pas vendre aux Salentins des subsistances, puisque Mentor avait pris des précautions pour que chaque famille en produisit le nécessaire : on pouvait encore moins vendre aux Salentins des étoffes même d'utilité, puisque Mentor avait employé aux arts nécessaires, comme draperie et toilerie, tous les ouvriers qui servaient aux arts pernicieux : ces navigateurs ne vendaient pas des épices dans un pays qui proscrivait les ragoûts, ainsi que toutes les productions lointaines et riches: le pays ne buvait que du vin du cru : sur quoi donc commerçaient ces légions de marchands qui apportaient les trésors comme les flots viennent l'un sur l'autre? Venaient-ils faire emplette de vertus? DE LA FRANCHISE, LA BONNE FOI, La Candeur, que Mentor place au haut des tours de Salente? Ces denrées morales n'ont rien qui puisse tenter les marchands: il faut laisser la franchise, la bonne foi et la candeur au-dessus des tours superbes; si elles en descendaient pour venir à la bourse, elles se trouveraient furieusement dépaysées.

Singulière science que la morale! Quel étrange privilége que celui d'enseigner gravement des inepties, des contradictions stupides qu'un enfant de 10 ans rougirait d'avoir écrites! Horace dit que les peintres et les poetes peuvent tout oser: il me semble que les moralistes usent largement de ce droit. Quel dommage qu'on ne rencontre plus de ces rois dociles, comme Idoménée, à qui un moraliste pourrait dire : « change tes passions, rédime ta table: point de ragoûts, ils amollissent » l'âme; point de vins étrangers, ils ruinent le corps; point de sucreries, ni café, ni liqueurs; point de beaux meubles ni de beaux appartements: borne-toi à une petite cellule, selon le sage Mentor: point de couverts d'argent ni de vaisselle plate; mange dans une > cuiller de bois, selon la morale douce et pure de Salente, qui défend » les vases et meubles d'argent; obéis aveuglément aux ordres des philosophes; réprime tous tes désirs; fais arracher les vignes; bouleverse les cultures et les propriétés; établis la loi agraire, et tu seras digne » du beau nom de Roi philosophe. Voilà en résumé la morale que

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