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monde entier, comme autrefois lui avaient obéi le monde grec et le monde romain.

Le commerce est une des causes les plus puissantes. Chaque pays a ses productions propres qu'il doit à la nature de son sol ou à l'industrie de ses habitants ; il arrive ;; donc que certaines richesses abondent sur certains points jusqu'à l'extrême avilissement, tandis qu'elles sont désirées et achetées à tout prix sur certains autres : dẹ là les avantages et la nécessité d'un échange incessant. Le commerce s'étend d'autant plus que les désirs de l'homme s'accroissent avec ses connaissances, ses habitudes et ses besoins. Il n'est pas, pour ainsi dire, de richesse dans la nature, ni de produit de l'art et de l'industrie, que ne convoite l'homme civilisé et qu'il ne cherche à se procurer : denrées et productions de toute sorte, cultivées sous divers climats; or, argent, ivoire, ébène, fourrures, étoffes, armes et machines, perles et pierres précieuses, objets d'art et objets de consommation bref, tout s'échange entre les peuples, et d'une extrémité de la terre à l'autre.

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Au commerce et à l'industrie s'ajoute le besoin d'expansion qui fait qu'une population vigoureuse déborde toujours ses frontières et émigre même au loin, fonde des colonies ou pénètre peu à peu ses voisines de son sang et de son influence. Il faut signaler surtout le prosélytisme religieux, ce désir supérieur de répandre les doctrines que l'on a embrassées, et de leur acquérir de nouveaux adhérents. N'oublions pas non plus le rôle de la science, des arts, de la littérature: tous ces biens sont contagieux. De plus en plus les peuples se communiquent leurs idées; et si d'abord elles se combattent, c'est pour préparer leur fusion ou plutôt la subordination des unes à celles qui sont plus puissantes.

Mais, avec

1345. Causes de division et de décadence. les causes d'union, il faut signaler les causes contraires : la diversité des races, des langues, des mœurs, des religions, l'opposition des intérêts, les haines séculaires, fruit

de longues injustices et de cruelles guerres. Ces causes sont telles qu'elles ont provoqué la dissolution des empires les plus puissants. Quelque fréquentes et même nécessaires que soient les relations entre peuples, elles ne peuvent supprimer ces différences et ces oppositions qui tiennent au sol, au climat, au sang, aux traditions et à d'impérissables souvenirs. C'est à ce point que les peuples de même origine ne tardent pas à diverger assez pour désirer leur séparation et former même des Etats hostiles entre eux. Ainsi l'Angleterre a vu au siècle dernier les Etats-Unis s'affranchir, et plusieurs autres de ses colonies paraissent destinées à devenir indépendantes. Au reste, le genre humain ne s'est répandu sur la face de la terre qu'en se divisant de la sorte. A mesure que les tribus se séparaient,laissant entre elles des fleuves, des mers, des montagnes, des obstacles ou des distances difficiles à franchir ; à mesure que leurs langues se diversifiaient avec leurs mœurs, leurs habitudes, leurs intérêts, des Etats nouveaux se formaient qui arrivaient même à méconnaître leur commune origine et à se faire une guerre d'extermination.

Les causes de division qui séparent les peuples l'emportent donc bien souvent sur les causes d'union. On tomberait bien vite dans l'erreur, si l'on remarquait seulement le mouvement de concentration qui forme les Etats: il faut remarquer aussi le mouvement opposé qui tend à désagréger leur masse. C'est ce mouvement centrifuge, cet esprit de particularisme, qui a brisé les empires, quelquefois jusqu'à la poussière. A la monarchie d'Alexandre succèdent les monarchies particulières de Syrie, d'Egypte, de Macédoine; l'empire des Césars, le mieux unifié de tous, finit par se diviser en deux, qui sont bientôt mutilés à leur tour. L'unité créée par le génie de Charlemagne fait place aux Etats occidentaux, qui, après avoir passé par la phase de la féodalité, rivalisent aujourd'hui comme autrefois ; ils s'arment d'une manière formidable pour des guerres toujours possibles. Bref, comme l'a fort bien observé Vico, l'un des fondateurs de la philosophie de l'histoire, il y a

des retours historiques, corsi e recorsi ; le genre humain paraît se mouvoir dans un cercle. Il est donc contestable que le genre humain s'achemine fatalement vers une fédération universelle d'Etats, qui équivaudrait à une véritable unité. On peut aussi bien soutenir que les races les plus fortes tendent à supprimer les plus faibles, en attendant qu'elles se divisent à leur tour et poursuivent des guerres fratricides, qui n'ont pas toujours pour résultat un progrès social. Ici nous touchons à une question capitale et dominante dans la philosophie de l'histoire : le progrès estil invincible, et, pour employer l'expression à la mode, l'évolution de l'humanité est-elle fatale?

1346. Progrès et évolution.-Les progressistes l'ont soutenu ainsi Condorcet, Lessing. Leurs théories, fort à la mode pendant le xviesiècle et au commencement du xixe, rentrent assez bien aujourd'hui dans la théorie plus générale de l'évolution. D'après Spencer, le genre humain évolue à la manière des organismes vivants, dans l'hypothèse transformiste. L'humanité primitive, sortie, nous dit-on, de l'animalité, n'offrait d'abord aucune organisation sociale; elle formait, pour ainsi dire, une masse homogène, sans organes distincts et sans unité de gouvernement. Mais la nécessité groupa peu à peu les hommes en familles, en tribus, en Etats rudimentaires; avec l'organisation politique, se créaient toutes les autres ; l'industrie, les arts, le commerce, la religion et la science allèrent du même pas; à mesure que le corps social se perfectionnait, les parties se différencièrent, c'est-à-dire que les professions, les classes, les fonctions introduisirent dans le corps social une complexité toujours croissante, mais aussi une unité plus vivante et plus parfaite.

On appuie ces vues a priori, en invoquant les grands. faits de l'histoire. Malgré des revers partiels et des éclipses momentanées, le genre humain n'a cessé de progresser, au point de vue des connaissances, des mœurs, de la religion, des arts, de l'industrie et du commerce. Aujourd'hui

l'homme domine enfin le globe entier; il a maîtrisé les forces. de la nature; de grandes nations se sont formées, dont chacune l'emporte sur les plus puissants empires dont parle l'histoire ; et l'état présent de l'humanité ne fait que préparer un état supérieur à celui dont nous jouissons : l'âge d'or est devant nous et non pas en arrière ; si l'âge de fer, avec le militarisme, pèse encore sur quelques Etats, il fera place partout, un peu plus tôt ou un peu plus tard, à l'industrialisme et à un âge meilleur.

1347. Critique. L'évolution du genre humain n'est point fatale. Mais ces théories sont plus spécieuses que vraies. Distinguons d'abord, pour les mieux réfuter, entre le fait du progrès plus ou moins constant de l'humanité et la nécessité de ce progrès. Car le fait peut résulter d'un autre principe que la nature même des choses. On n'en doutera plus, si l'on étudie l'histoire avec impartialité. Jamais la civilisation chrétienne n'aurait succédé au paganisme de la Grèce et de Rome sans le grand fait de la Rédemption. L'Evangile n'est point la résultante de philosophies anciennes inconciliables entre elles et sans action sur le peuple. Jésus-Christ n'est pas un sage ordinaire, et l'ère qu'il a marquée de son nom tranche tout à fait sur les précédentes; ses miracles, sa doctrine, l'institution de l'Eglise, le renouvellement des croyances religieuses ont été le principe d'un relèvement et d'un progrès moral dont l'humanité eût été incapable par elle-même ; elle ne peut s'en attribuer le mérite et la gloire. Supprimons un instant par la pensée le grand fait de la Rédemption, et nul ne pourra dire que les habitants de l'Europe vaudraient mieux aujourd'hui que les Indiens de l'Amérique du Nord. On ne saurait regarder non plus l'influence constante de la foi chrétienne sur les peuples les plus civilisés comme une influence naturelle : en l'affirmant, on commettrait la plus grande erreur historique et religieuse. C'est Dieu même qui, par la révélation et les grâces sociales qu'elle implique, a maintenu et poussé l'humanité dans la voie du progrès.

D'ailleurs, même sous l'action bienfaisante et constante de la religion révélée, le progrès du genre humain nous apparaît comme contingent en lui-même et exposé à mille dangers. Aucune nation en particulier ne se développe fatalement son progrès peut être compromis, suspendu, se terminer à une période de décadence. Mais si le progrès de chaque Etat en particulier est contingent, pourquoi celui du genre humain serait-il nécessaire? Et si l'on veut que la nécessité règne sur l'humanité comme sur la nature, pourquoi le développement de l'humanité ne serait-il pas soumis à des fatalités supérieures, qui pourraient le suspendre à un moment donné? Le développement de la plante est fatal, et cependant toute plante ne fleurit pas ni ne fructifie elle peut porter dans son sein un germe de destruction; elle peut succomber à l'improviste sous l'action de causes extérieures. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi de l'humanité en supposant qu'elle fût soumise au déterminisme le plus absolu? Mais si l'humanité est libre et l'on ne peut en douter, puisque l'homme est libre; si l'humanité fait sa propre destinée jusqu'à un certain point, de même que chaque homme fait la sienne, comment peut-on dire que le progrès de l'humanité est fatal et ne souffre aucun retard?

Les faits démontrent plutôt le contraire. A des périodes de paix et de civilisation ont succédé, pour les peuples anciens, des périodes de décadence; l'Egypte, l'Assyrie, la Perse, la Grèce, Rome ont tour à tour brillé et succombé. Rome tomba sous les coups des barbares, et les germes de la civilisation gréco-romaine étaient perdus sans le christianisme, qui les recueillit dans ses monastères. Ils eussent été étouffés encore, s'ils avaient pu subsister jusquelà, par le mahométisme, qui faillit étendre sa domination sur toute l'Europe. On ne voit pas que la Chine ait progressé beaucoup depuis deux mille ans, et cependant elle faillit devenir chrétienne au viie siècle, et depuis lors elle a communiqué souvent avec les peuples chrétiens.

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Remarquons encore que le progrès de l'humanité paraît

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