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>> Deux Pêcheurs étoient couchés fur » un lit de jonc dans leur cabane, leur » tête appuyée contre un abri de feuil» lages. Autour d'eux étoient les inftru» mens de leur profeffion, des corbeil>> les, des rofeaux, des hameçons, des » naffes, des lignes de crin, des feines >> des labyrinthes d'ofier, des lacets, & » une vieille barque pofée fur des rou>> leaux. Sous leur tête un bout de natte » des habits, des bonnets: c'étoit tout » leur bien, & le fruit de tous leurs » travaux. Ils n'avoient pas un feul vase. » d'airain, pas même un petit chien. >> La pauvreté étoit leur feule compa-. »gne. Nul voifin que la mer, qui ame>> noit doucement fes flots jufqu'au pied » de leur cabane.

>> Le char de la lune n'étoit pas encore au milieu de fa carriere, quand >> l'amour du travail éveilloit ces hom» mes fimples. Un jour comme ils fe >> frottoient les yeux en s'éveillant, ils. >>.eurent cet entretien :

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>> A. Je crois qu'on fe trompe, cher >> compagnon, quand on dit que les nuits >> font plus courtes en été, lorfque Ju>piter nous donne des jours plus longs... >> J'ai eu une infinité de fonges, & R l'aurore ne paroît pas encore. Me fe

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> rois-je trompé ? Qu'est-ce que cela » fignifie? Les nuits deviennent plus » longues assurément.

>> B. Quoi ! Afphalion, vous vous » plaignez de l'été, de cette belle fai» fon? La marche du tems n'eft point » dérangée. Dites plutôt que l'inquié>>tude vous a empêché de dormir , » & que c'est ce qui vous a rendu la >> nuit longue.

» A. Avez-vous appris à expliquer les >> fonges? J'en ai eu d'excellens, dont » je veux que vous ayez votre part: >> puifque nous partageons auffi nos

poiffons. Perfonne n'a plus d'efprit » que vous ; & pour bien expliquer les >> fonges, il faut en avoir beaucoup. » D'ailleurs nous avons le loifir; car que >> peut-on faire, couché fur des feuilla»ges, au bord de la mer, quand on ne >> dort point?

» B. Parlez, je le veux bien, racon> tez à votre ami ce que vous avez vu.

» A. Après nos travaux & le léger re>> pas que vous favez que nous prîmes. » hier le foir, je me fuis endormi. Et » aussi-tôt j'ai rêvé que j'étois affis fur le » bord de la mer, où je guettois les » poiffons. Je fecouois légérement au» deffus de l'eau l'appas trompeur. U

» s'en préfente un qui mord à l'hameçon. » Les animaux rêvent de ce qu'ils ai>>ment; & moi je rêve de poiffons. II >> eft pris. Je voyois couler fon fang; » ma perche fe courboit fous l'effort. >> J'avance la main, fort embarraffé de » la maniere de faifir une proie fi con» fidérable, attachée à un fer fi mince. >> Je craignois auffi d'être blessé. Va,

difois-je, fi tu me bleffes, tu feras » bleffé à ton tour. Je le tire enfin heu» reusement. C'étoit un poiffon d'or » d'or maffif! J'eus peur alors que ce ne » fûr quelque favori de Neptune, ou » peut-être le tréfor d'Amphitrite. Je le » détache doucement pour ne point » laiffer d'or au fer. Le voyant étendu >> fur le rivage, j'ai juré que je ne met» trois plus jamais le pied fur la mer, » que je resterois toujours fur la terre, » où je vivrois comme un roi, avec ce » tréfor; c'est là que je me fuis éveillé. » Faites bien attention, cher ami, au >> ferment que j'ai fait; j'en fuis bien >> effrayé.

>> B. N'ayez nulle inquiétude, votre > ferment n'eft pas plus réel que votre » poiffon d'or, que vous n'avez ni vu » ni pris. Ces fonges ne font que des → menfonges. Maintenant, que vous ne

» dormez pas, & que vous êtes bien » éveillé, allez voir dans ce même lieu. » Avec votre beau fonge d'or, il vous » faudra, fi vous ne voulez point mou>> rir de faim, retourner à nos poiffons >> ordinaires.

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On a vanté cette Idylle comme on vante un paysage champêtre. Tous les tableaux que les curieux admirent ne font point des Alexandres, ni des Achilles. Dans les images ce n'eft point toujours l'objet qui touche, c'est quelquefois l'art heureufement exécuté. D'ailleurs le tableau des Pêcheurs eft agréable par fa naïveté, par fa fimplicité, par l'innocence qui eft répandue dans toutes les parties, & par l'impor tance de la maxime qui en fait l'ame. Quoi de plus décent que la peinture de la pauvreté de ces deux hommes ! pauvreté qu'ils aimoient, dans laquelle ils renfermoient tous leurs défirs. La fimplicité de celui qui rêve, ou plutôt fon enfance eft peinte dans fes raisonnemens, dans sa maniere de réciter, furtout dans les fcrupules que lui cause un ferment qu'il a fait en rêvant. Son compagnon l'inftruit avec douceur, & le raffure avec bonté.

Ceux qui veulent par-tout de petites

amourettes, des fentimens quintessenciés, des douceurs métaphyfiques, ne trouveront point dans cette piece ce fel dont ils veulent être picottés à tout moment. Mais qu'ils jettent les yeux fur la littérature de tous les beaux fiecles, qu'ils comptent tous les grands hommes, qui font, & qui ont toujours été reconnus tels dans les arts; ils verront combien leur goût, prétendu exquis, leur fait de tort à eux-mêmes, combien il les appauvrit ; & s'ils ne fentent point leur perte, ils méritent bien d'aller fe dédommager avec les Sénéques, les Plines, & leurs ingénieux defcendans.

CHAPITRE V.

IDYLLES DE MOSCHUS ET DE BION.

Mo

OSCHUS & Bion vinrent quelque tems après Théocrite. Le premier fut célebre en Sicile, & l'autre à Smyrne en Ionie. Si on en juge par le petit nombre de pieces qui nous reftent de lui il ajouta à l'Eglogue un certain art qu'elle n'avoit point. On y vit plus de fineffe, plus de choix, moins de négligence. Mais peut-être qu'en gagnant

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