CHAPITRE III. DE L'ADJECTIF. L'adjectif, comme le substantif, était soumis à la règle gé nérale de la position du s, et toutes les règles secondaires qui dérivent de celle-là lui étaient applicables en tous points et à tous égards. Ex.: Mais i cuers ki feaules cst en petit de chose, est dignes de plus grant don. (S. d. S. B. p. 563.) Mult ert li dons et biaus et genz. (Rutb. II, 181) (P. d. B. 6311.) E proz e forz e sage e beaus. (Ben. 15790. 1.) Fist tantes ovres e tanz biens. (Ib. 24750. 1.) Li grant bien que vos lor avez fait. (Ib. 16561. 2.) Del sanc qui des cors lor devale. (Chr. A. N. I, 210.) Kar ço fud aidunc li plus halz lieus à faire sacrefises. (Q. L. d. R. III, 234.) Li orez e li tens fu beaus. (Ib. 3920.) Quant li noviax rois ot conquis Et torne à soi le païs. (Brut. 7849. 50.) Païen lor fax dex apeloient. (Ib. 7961.) Li tans est soes et sieris. (P. d. B. 6321.) Entoies est d'un drap de soie, Del plus soef que ja hom voie. (Ib. 10361. 2.) Il serait superflu de multiplier ces exemples, qui n'apprennent rien de nouveau. Raynouard (Gr. c. d. L. d. l'E. 1. pag. 98) divise avec raison les adjectifs en deux grandes classes: La première comprend ceux qui, soit au singulier, soit au pluriel, prennent la désinence caractéristique du genre (e), quand ils se rapportent à un substantif féminin. La seconde, ceux qui, invariables, quant au genre, ne changent point leur désinence, quel que soit le genre auquel ils se rapportent. Ces derniers dérivent surtout d'adjectifs latins en is, is (e) et ns 1. Ex.: Granz est voirement, chier freire, li sollempniteiz ki ui est de la nativiteit Nostre Signor; mais li bries jors nos destrent ke nos abreviens nostre sermon, ne nen est mies merveilles si nos brief parole faisons. (S. d. S. B. p. 535.) Il ne fu mies neiz en Jherusalem qui est la citeiz roials. (Ib. 532.) Est il dons rois? où est li roials sale et li sieges royals? (Ib. 550.) Dormir en la piere est cesseir el trespassement de ceste temporeil vie del amor des temporeiz choses. (M. s. J. p. 480) Temporels chose ne foisonne. (Rutb. II, 197.) Pour Diu! ne me refuses mie Que je suis asses gentils fame. (R. d. I. V. 2192. 3.) Combien de terme vos aveiz A vivre en ceste morteil vie . . . (Rutb. I, 112) Kar sainte dame ert e leial. (Ben. 38842.) Qu'à vil chose li semblereit. (Ib. 38862.) Giers li forz venz dehurtet les quatre angles de la maison, quant la forz temptations loget par repuns movemenz les quatre vertuz. (M. s. J. p. 503) An la terre de France, qi granz est et pleniere. (Ch. d. S. I, 84.) La sale ere molt granz et pleniere. (Romv. 437, 35.) Od noveles granz e petites. (Ben. 38325.) Od contenance monial Est ales à la cort roial. (Brut. 8465. 6.) Il paist gisanz les engeles en cele permenant bienaurteit, car il ressaziet de sa permenant vision. (S. d. S. B. p. 528.) Et de toutes choses devant dites devons nous faire seurteit soffisant au dit conte de Flandres à sa volente. (1289. J. v. H. p. 483.) D'or e de pierres precioses, (1) De tous les adjectifs primitivement invariables, dit Raynouard (ib. p. 103), grand est un de ceux qui ont laissé des traces les plus remarquables de la communauté d'origine. Ce n'est que tard qu'il a été soumis aux règles grammaticales relatives au genre; pendant assez longtemps les écrivains français ont employé tantôt grand, tantôt grande; on le trouve ainsi dans les auteurs du XVIe siècle. Uni à divers substantifs, il est resté invariable; on dit encore: grand mère, grand route, etc. On ne devrait donc pas marquer d'une apostrophe la consonne finale de grand ainsi employé. Fu le jor sis chefs aornez E beneeiz e coronez. (Chr. A. N. 1, 249-52.) De là ces formes: Cele vious des loiaus sorciere Prise fu (Phil. M. 28939) messes festivaus (Ben. 26095) à chanter les dolors infernaus (ib. 26041) -- dunt l'um fist chaisubles reiaus (ib. 26094), etc. Nous avons conservé la dernière dans l'expression lettres royaux. Cette invariabilité de la forme, quant au genre, n'empêchait pas, comme on voit, les adjectifs de prendre le s (z) de la flexion, soit au singulier sujet, soit au pluriel régime. On trouve, il est vrai, quelques exceptions à cette règle; mais ce sont des fautes éparses qui proviennent de la négligence des copistes. Voy. p. ex. R. d. R. v. 2030. Villeh. 454. Ben. 17325. REMARQUE. Le féminin des adjectifs, dérivés d'une forme latine en us, a, (um,) faisait seul exception à la règle de la position du s. Il était soumis à la même loi que les substantifs féminins en e muet empruntés à la première déclinaison latine; c'est-à-dire que le singulier sujet ne prenait pas le s, tandis que le pluriel sujet en avait un. COMPARATIF ET SUPERLATIF. Le vieux français formait ordinairement le comparatif et le superlatif de la même manière que nous, c'est-à-dire au moyen de plus, le plus. Cependant il employait quelquefois, pour le comparatif, la terminaison or, du latin ior; mais, dans les bons temps, elle ne servait que pour les régimes singulier et pluriel, et le sujet pluriel; le singulier sujet avait la terminaison res, re. P. ex. de grand: S. suj.: Asses iert grandres et plus longor avoit Que n'iert Ogier qi en ceval seoit. (O. d. D. 11236. 7.) En toute l'ost n'ot chevalier si grant, Ne homme nul que Raous doutast tant; Asseiz fu graindres que Saisnes ne gaians. (R. d. C. p. 107.) Qui graindes est et qui mielz vaut Que ne fet cist qu'il m'a rendu : rég.: Le graignor en a retenu. (Chast. XV. 75-8.) (1) De là le verbe engraigner (R. d. C. p. 138), augmentatif de grandir. El tens de la graignor chertie Quant graindre vente fu de ble. (St. N. 284. 5.) En Picardie et dans l'Ile-de-France: Car Dix me veut par vous oster Le grignour duel, la grignour paine Puis li dist devant son seignor Si grant honte c'onques greignor Ne fu mes à nul home dite. (Rutb. I, 268.) Si sachies tout certainement Que nulz avoir joie ne peut Greingneur que li chastelains eut. (R. d. C. d. C. v. 3222-4.) Que grigneur mal ne m'en aviegne. (R. d. 1. M. v. 1725. 6.) En Normandie: Onc graignur duil n'ot à nul jur. (R. d. R. 9275) Devez aveir, k'avez eslite Nostre estre e nostre compaignie. (M. d. F. II, 444.) Nul chevaler de greinur pris. (Trist. II, 117.) P. rég.: Une des graignors dolors et des graignors domages qui avint à cel jor, et des graignors pitiez qui onques avenist à la chrestiente de la terre de Romenie, fu à perdre tant de bone gent. (Villeh. 481 a.) Ces comparatifs avaient quelquefois la signification du superlatif: Là ot grant discorde de la graindre partie des barons et de l'autre gent (Villeh. 440 c); et dans ce cas on trouve toujours la forme du singulier sujet. Les comparatifs irréguliers correspondants à ceux du latin sont: Maires, maire, major, majour, majeur, maür. Le positif magnes, magne, se trouve souvent dans la Chanson de Roland, des Saxons, etc. Mialdres, mioldres, mieldres, mildre, miaudres, miadres, mioudres, mieudres, meidre, meaudres, meudre, meillor, meilleur, millor, milleur, meillur, mellour, etc. (1) Ce n'est pas, comme le dit l'éditeur, une terminaison forgée cause de la rime. Pire, pejor, pejour, pior, piour, pieur, puire (rime, Ben. v. 33001), peor, piur, poior. Manre, menres, mendre, meindre, menor, menour, meneur, menur. Quoique les formes en res, re soient particulièrement réservées au sujet singulier, le comparatif maire se trouve encore aux singulier et pluriel régimes. Ex.: Ocist li maires le menour. (Brut. p. 72. v. 1503. cfr. p. 305.) N'onques li maires ne li mendre D'un sol jor ne li vout atendre. (Ben. 27218-20.) Lor granz mises, lor granz afaires E lor ovres, totes les maires, Des granz aveirs qu'il en aveient. (Ib. 39488.) (Ib. 35211-14.) (Cfr. Ben. v. 16039. 16289. 18069. 18230. 18554. 19851. 31432. 38044, etc.) E prent conseil od sa gent Od ceus de major escient. (Ben. II, 2983.) Dunt a Tristran si grant dolur Unques n'od u aurad maür. (Trist. II, 82.) Et quant cil fu morz, qui fu li mialdres d'aus toz, si furent li autre mult effree. (Villeh 479 a.) Et por ke li irous. Cis est vostre amis li premiers, Et est li mioldres cevaliers Et li plus beaus qui soit el mont. (P. d. B. 5001 - 3.) ce ke ire nel tariet mie si tost, quidet ke il mieldres1 soit (M. s. J. p. 451.) Agolans avoit of dire, Ke Karlemaine iert partout sire, (Phil. M. 4432 -4.) escuz de France. (Ch. d. S. II, 28.) Ainz miadres chevaliers ne nasqi de noz lois. (Ib. II, 44.) E miauz li saura conseiller Au besong s'il est entrepris Que li meaudres de ses amis. (M. d. F. f. 17.) Ici fenist li meidre estore Qui onques fu mise en memore. Bone est la pais apres la guerre, (Brut. I, XXIII.) Plus rice et mildre en est li terre. (Ib. v. 11045. 6.) Li flateres de pute estrace Fait cui il vuet vuidier la place: C'il vuet, li mieudres est li pires. (Rutb. I, 22.) (1) Cfr. amieldriz (P. d. B. v. 5134.) |