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devant lui l'avent de 1669. Ce qu'il y a de plus singulier, et dont on ne sauroit trop s'étonner, c'est la facilité avec laquelle Bossuet faisoit des sermons dans lesquels il y avoit des morceaux de la plus grande éloquence. On sait d'un ecclésiastique qui a été vingt ans avec lui (l'abbé Ledieu ), qu'il ne préparoit presque point ses sermons, qu'il n'y pensoit que peu de jours et même peu d'heures avant que de les prononcer. Sa facilité et son abondance lui fournissoient sur-le-champ ce qu'il devoit dire. La considération actuelle du lieu, des personnes et du temps, le déterminoit sur le choix du sujet. Lorsqu'il préchoit un Avent ou un Carême, il ne se préparoit que pour le sermon qu'il avoit à prêcher. Il mettoit seulement sur le papier son dessein, son texte, ses preuves, sans s'astreindre ni aux paroles, ni au tour, ni aux figures. Il disoit lui-même que s'il avoit voulu faire autrement, son action auroit langui, et que son discours se seroit énervé.

I faisoit ensuite une méditation profonde la matinée du jour qu'il avoit à parler, le plus souvent sans rien écrire davantage, pour ne se pas distraire, parce que son imagination alloit plus vite que n'auroit été sa main. Maître de ses pensées, il fixoit dans sa mémoire les expressions dont il vouloit se servir. L'après-dîner, il méditoit de nouveau son discours, et il le dictoit comme s'il l'avoit lu, en y changeant, ajoutant et retranchant comme l'on fait la plume à la main. Enfin, monté en chaire, il se régloit sur les impressions qu'il avoit faites, et il se proportionnoit à la situation de ses auditeurs. Il n'a jamais répété, ni le même Carême, ni le même Avent.

Ses sujets étoient toujours relatifs à la condition de ses auditeurs. Il parloit aux rois et aux grands de leurs devoirs, avec la même liberté qu'il parloit aux particuliers; et cependant toujours avec une sagesse et une prudence qui le faisoient admirer de tout le monde. Quand il travailloit à ses oraisons funèbres, qui lui ont acquis la réputation d'un des hommes les plus éloquents que la France ait jamais eu, et dans lesquelles il entre des faits où il n'y a rien à changer, il écrivoit sur du papier à deux colonnes, il y mettoit l'une auprès de l'autre des expressions différentes, dont il se réservoit le choix dans la chaleur de la prononciation. On a trouvé dans ses portefeuilles ses Carêmes en quelques feuilles volantes, avec un texte en tête, une division en deux ou trois membres: quant au corps du discours, l'on n'y trouve que quelques passages des Pères.

On a su tous ces détails par ceux qui avoient vécu avec lui. Le père de La Rue les a confirmés, dans la préface de ses Sermons. Après avoir remarqué que Bossuet avoit la mémoire si fidèle, qu'il ne daigna presque jamais lui confier ses sermons (ce sont les propres termes du père de La Rue), il ajoute : « On n'a pu recueillir après sa mort que de simples feuillets qui ne contenoient que l'économie des discours, la naissance des mouvements et des traits qui en devoient faire les nerfs et les ornements. Sur ces plans il s'exerçoit à faire, en se promenant, le choix et l'essai des termes et des expressions convenables à l'effet qu'il se proposoit. Il paroissoit en chaire avec confiance; et, maître de ce qu'il disoit, il se rendoit aisément maître de ses auditeurs. Quelque extraordinaires que soient ces efforts de génie et de mémoire, on n'en peut douter, puisque Bossuet lui-même nous apprend, dans une de ses lettres, qu'il n'écrivoit rien de ses sermons'. »

1 Il s'agit ici des sermons que Bossuet prononça dans les dernières années de sa vie ; car

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Son activité pour les bonnes œuvres, et le succès de ses sermons, firent désirer pour les deux plus importantes cures de Paris, Saint-Eustache et Saint-Sulpice: c'est ce que le père de La Rue et ceux qui ont vécu avec Bossuet nous ont appris. Mais il n'avoit d'autre projet que d'aller passer sa vie à Metz dès qu'il y pourroit retourner, et là d'y continuer ses études, et d'employer la plus grande partie de son temps à la défense de l'Eglise. Car, quelque considération que sa piété et son éloquence lui eussent donnée à la cour, il n'y paroissoit point dès que ses prédications étoient finies, à moins ⚫ que quelque grande raison ne l'obligeât d'y aller. Il ne demandoit rien, et par conséquent il étoit sans espérance et sans intrigue. S'il alloit quelquefois à Saint-Germain ou à Versailles, ce n'étoit que pour obtenir des grâces en faveur des prétendus réformés qui s'étoient réunis à l'Eglise.

Quelque réputation qu'il se fût acquise par l'éloquence de ses sermons, cependant, quand le père Bourdaloue parut, Bossuet ne passa plus pour le premier prédicateur, selon la remarque d'un célèbre écrivain 1. Ce n'est pas que Bossuet n'ait des sublimités, qu'il ne faut pas s'attendre à trouver dans le père Bourdaloue; mais celui-ci, moins élevé, avec une beauté continue et égale, se fait toujours admirer.

Le père de La Rue a bien rendu justice à l'éloquence de Bossuet, lorsqu'il dit que son talent fut plus naturel que celui de Fléchier; qu'accompagné de grâces extérieures et enrichi par une étude assidue, dont il n'eut pas besoin de dérober aucun moment pour la culture de sa mémoire, il ne laissa pas sans ce secours d'exceller dans toutes les parties de l'orateur : aussi sublime dans l'éloge que touchant dans la morale, solide et précis dans l'instruction, Insinuant dans la persuasion, juste et noble partout dans l'expression.

L'abbé Colin, qui s'est fait honneur par sa traduction du traité de l'Orateur de Cicéron, et par la préface qu'il a mise à la tête de cet ouvrage, y fait un parallèle de Bossuet et de Fléchier. « Il n'y a pas tant d'élégance, dit-il 2, ni » une si grande pureté de langage dans Bossuet que dans Fléchier; mais on y » trouve une éloquence plus forte, plus mâle, plus nerveuse. Le style de Fléchier » est plus coulant, plus arrondi, plus uniforme. Celui de Bossuet est à la vérité » moins égal, moins soutenu; mais il est plus rempli de ces grands senti»ments, de ces traits hardis, de ces figures vives et frappantes, qui carac» térisent les orateurs du premier ordre. Fléchier est merveilleux dans le › choix et l'arrangement des mots; mais on y entrevoit beaucoup de pen» chant pour l'antithèse, qui est sa figure favorite. Bossuet, plus occupé des » choses que des mots, ne cherche point à répandre les fleurs dans son » discours ni à charmer l'oreille par le son harmonieux des périodes: son » unique objet est de rendre le vrai sensible à ses auditeurs. Dans cette › vue, il le présente par tous les côtés qui le peuvent faire connoître et le » faire aimer. Né pour le sublime, il en a exprimé toute la majesté et toute » là force en plusieurs endroits de ses Oraisons funèbres, et surtout dans » celles de Marie de France, reine d'Angleterre, et de Henriette-Anne d'An» gleterre, duchesse d'Orléans. »

« Le plus bel hommage qui ait été rendu au génie oratoire de Bossuet est celui du père de Neuville, s'écriant avec douleur sur les bords de son tom

tous les sermons publiés dans les œuvres de ce grand orateur ont été trouvés dans ses papiers écrits ou corrigés de sa main.

A Hist, du Siècle de Louis XIV. - 2 Page 47,

beau, au moment où les Sermons de Bossuet parurent pour la première fois : « Plût au ciel que la Providence m'eût enrichi de ce trésor, avant cet› âge d'affoiblissement et de langueur qui me met hors d'état d'en profiter!, › A l'école de ce maître unique du sublime, de l'énergique, du pathétique,. › j'aurois appris à réfléchir, à penser, à exprimer; et j'aurois desiré de tomber dans ces négligences de style, inséparables de l'activité, de l'impétuosité du génie. Heureux le siècle qui a produit ce prodige d'éloquence, › que Rome et Athènes dans leurs plus beaux jours auroient envié à la › France! Malheur au siècle qui ne sauroit le goûter et l'admirer!...

Je crois qu'avec de l'esprit, de l'étude, des efforts, on peut se promettre › de marcher sur les pas de l'immortel Bourdaloue, et aspirer à lui ressem― ‣bler, sans cependant se flatter d'atteindre à la perfection de son modèle : › mais un Bossuet (passez-moi cette expression), il naît tout entier; il ne se › forme point par des développements, par des accroissements successifs; > et il y auroit presque autant de folie à entreprendre de l'imiter, que de › délire à se promettre de l'égaler. »

› Ainsi le père Neuville, nourri dens l'étude des beaux modèles, ne comprend rien de plus grand que les improvisations, ou plutôt que les inspi>rations de Bossuet.

› Et quant à ce qu'on appelle l'action de l'orateur, l'abbé Ledieu rapporte que le regard de Bossuet étoit doux et perçant, que sa voix paroissoit toujours › sortir d'une âme passionnée; que ses gestes étoient modestes, tranquilles › et naturels; que tout parloit en lui avant même qu'il commençât à parler. » Tandis que tout Paris retentissoit de son nom, cette grande ville avoit pour archevêque Hardouin de Péréfixe de Beaumont, qui avoit été précepteur du roi, et qui de l'évêché de Rodez avoit été transféré sur le siége de Paris. I conçut pour l'abbé Bossuet la plus grande estime, et le mit au nombre de ses meilleurs amis. Il l'avoit avec lui à la ville et à la campagne, le plus souvent qu'il pouvoit. Il l'employoit dans les affaires les plus délicates et les plus importantes. Il se servit de lui pour engager les religieuses. de Port-Royal à souscrire, purement et simplement, le formulaire qui contenoit la condamnation du livre de Jansenius.

Bossuet avoit été élevé, comme nous l'avons vu, par M. Cornet. Il avoit adopté les idées de cet ardent ennemi de Port-Royal, tant sur l'Augustinus de l'évêque d'Ypres, que sur le formulaire. Dans l'éloge funèbre qu'il avoit fait du grand-maître de Navarre, il s'étoit ainsi expliqué, sur le sujet de la dénonciation des cinq propositions, faite par M. Cornet : « C'est de cette expérience, de cette esquise connoissance, et du concert des meilleurs cerveaux de la Sorbonne, que nous est né cet extrait des cinq propositions, qui sont comme les justes limites par lesquelles la vérité s'est › séparée de l'erreur. »

M. Cornet étant très-mal disposé en faveur des théologiens connus sous le nom de disciple de saint Augustin, avoit fait tout ce qui dépendoit de lui pour prévenir contre eux son élève. On rapporte que le docteur Noël de La Lane, si connu par le Journal de Saint-Amour, et très-célèbre par des ouvrages qu'on recherchoit avec beaucoup d'empressement il y a un siècle, voulut se lier avec le jeune Bossuet, qui demeuroit ainsi que lui au collége de Navarre, et dont il admiroit la science et la vertu ; mais que M. Cornet s'y opposa vivement.

M. l'archevêque de Paris n'eut pas de peine à déterminer l'abbé Bossuet à voir les religieuses de Port-Royal, pour les engager à signer le formulaire. Il eut avec elles une longue conférence; mais jamais il ne put leur persuader de faire serment qu'elles croyoient un fait qu'elles regardoient comme étranger à la révélation, et dont elles disoient qu'il leur étoit impossible de savoir par elles-mêmes la vérité. Bossuet n'ayant pas réussi à les convaincre de vive voix, leur écrivit une lettre, où il leur rappela tout ce qu'il leur avoit dit. Elle fut envoyée à Port-Royal par ordre de M. l'archevêque; mais elle ne fit pas plus d'effet que la conférence. Elle n'a jamais été imprimée du vivant de Bossuet on l'a trouvée après sa mort dans ses papiers, corrigée de la main même de Bossuet; mais différente de celle qui a été imprimée, et beaucoup plus précise et plus modérée.

Quelque attaché qu'il fût à M. l'archevêque de Paris et à M. Cornet, il étoit aussi zélé partisan de la doctrine de saint Augustin que messieurs de Port-Royal, et aussi éloigné qu'eux de toute doctrine relâchée sur les mœurs. Voltaire' rapporte qu'il a su de l'évêque de Luçon, fils du célèbre Bussy-Rabutin, qu'ayant demandé à Bossuet quel ouvrage il eût mieux aimé avoir fait s'il n'avoit pas fait les siens, il lui avoit répondu que c'étoit les Lettres Provinciales. Il rendoit justice à M. de La Lane, avec lequel on n'avoit pas voulu qu'il se liât dans sa jeunesse : on lui a souvent ouï dire que ce docteur étoit un exemple de piété et de vertu, et si respecté à Navarre, que lorsqu'il passoit, les écoliers même interrompoient leur jeu pour lui faire honneur.

Messieurs de Port-Royal, qui auroient vivement souhaité que l'abbé Bossuet eût pensé en tout comme eux, avoient pour lui la plus grande estime, malgré la différence de sentiment qu'il y avoit entre lui et eux sur l'article du fait de Jansenius. L'abbé de La Lane et le père Desmares, ce prédicateur si célèbre, suivoient les sermons de l'abbé Bossuet, et les admiroient. Après la paix de l'Eglise, qui fut faite en 1668, il y eut de grandes relations entre l'abbé Bossuet et les messieurs de Port-Royal.

Tout le monde sait avec quel succès ces hommes illustres s'appliquèrent à écrire contre les calvinistes, pendant cette courte trève qu'avoit produite l'accommodement entre eux, M. l'archevêque de Paris et les jésuites. Ils demandèrent au roi pour censeur de leurs ouvrages l'abbé Bossuet, qui étoit aimé et estimé de M. de Péréfixe, et qui par conséquent ne pouvoit pas être suspect de jansénisme à la cour. Le roi y consentit ; et Bossuet ayant examiné le livre de la Perpétuité de la foi, l'approuva en 1669.

Voici ce qu'en dit un des grands amis du célèbre docteur M. Arnauld o : « M. Bossuet, alors doyen de l'église cathédrale de Metz, et docteur de » Paris, a un droit si particulier d'être écouté sur ces matières, et il se >> connoît si bien en catholicité, que son approbation mérite une attention » singulière. Il se tient si assuré que ce livre est très-propre et très-efficace » pour ramener à la foi catholique, apostolique et romaine, ceux qui s'en » sont écartés, qu'il ne fait pas difficulté de dire qu'il ne faut plus qu'ouvrir » les yeux pour voir devant soi la voie de la vérité toute aplanie; et que » M. Arnauld n'a pas seulement établi tout ce qu'il a promis d'une manière

A Hist. du Siècle de Louis XIV, et Hist, universelle, tom. VII, pag. 5.

2 Hist, de M. Arnauld, pag. 133.

> invincible et qui porte la preuve jusqu'à l'évidence de la démonstration; > mais qu'il a outre cela donné des principes par lesquels on peut composer > un corps de controverses. Ce qui me touche le plus dans son ouvrage, ajoute-t-il, c'est qu'il a répandu et appuyé partout les saintes et inébran> lables maximes qui attachent les enfants de Dieu à l'autorité sacrée de » l'Eglise, toujours présente pour les enseigner dans tous les siècles. »

Bossuet continua d'examiner et d'approuver la suite du livre de la Perpétuité de la foi, dans les années suivantes. Il eut à ce sujet des conférences avec messieurs Arnauld et Nicole : il parut très-content de la facilité avec laquelle M. Arnauld, le plus savant théologien de ce siècle, recevoit les observations qu'il faisoit sur les ouvrages qui étoient l'objet de cet examen. On assure que M. Arnauld, au sortir d'une de ces conférences, disoit qu'il avoit plus appris de Bossuet en deux ou trois heures, qu'il n'avoit fait par une longue étude.

M. Le Camus, évêque de Grenoble et depuis cardinal, fut admis dans ces conférences, qui se tenoient par ordre du roi. C'est ce que l'on apprend par l'approbation qui est à la tête des Préjugés légitimes, où il est dit que Bossuet et M. le Camus ont lu, par ordre exprès de Sa Majesté, les livres » qui ont pour titre : Préjugés légitimes contre les Calvinistes, réponse » générale au nouveau livre du sieur Claude, ministre de Charenton : le › Renversement de la Morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes » touchant la justification; la Perpétuité de la foi de l'Eglise touchant » PEucharistie, défendue contre le sieur Claude, tome second. Les censeurs » ajoutent que la foi de l'Eglise catholique n'est pas seulement très-solidement » expliquée, mais invinciblement soutenue dans ces excellents ouvrages, où > la force du raisonnement égale la profondeur de la doctrine ainsi nous > espérons, disent-ils, qu'ils seront très-utiles à la conversion des errants et » à l'instruction des fidèles. »

Dans ce même temps, la version françoise du Nouveau Testament, connue sous le nom de la Version de Mons, faisoit beaucoup de bruit. M. l'archevêque de Paris, persuadé qu'il y avoit plusieurs choses répréhensibles, l'avoit censurée. Le marquis de Feuquières, parent de M. Arnauld, fut chargé par ce docteur de proposer à l'abbé Bossuet de revoir cette version, conjointement avec messieurs de Port-Royal. Il en parla à M. l'archevêque de Paris, qui donna son agrément à ces conférences. Elles se tinrent à l'hôtel de Longueville. MM. Arnauld, de La Lane, de Sacy et Nicole en étoient. On commença par l'Epître aux Romains: c'étoit la traduction de cette épître qui avoit donné le plus d'occasion aux plaintes. On sait que ces messieurs faisoient avec une docilité sans bornes toutes les corrections que proposoit Bossuet. L'examen de la traduction de cette épître étoit à peine achevé, que M. l'archevêque de Paris mourut, et ces conférences finirent. Quelque estime que Bossuet eût conçu dès ce temps-là pour MM. de PortRoyal, et quoiqu'il fût fort éloigné des sentiments des jésuites sur la grâce et sur la morale, il eut cependant de très-bons amis chez les derniers. On compte parmi ceux-là le père Cossart, et le père Ferrier, qui fut confesseur de Louis XIV. Enfin il eut le rare talent de se faire extrêmement considérer de ceux même dont il désapprouvoit la doctrine; et M. de Launoy, dont il blåmoit hautement les sentiments trop hardis, en a fait le plus grand éloge dans son épître dédicatoire de l'histoire du collège de Navarre.

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