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Mais pourquoi ce guerrier, ce héros inconnu,
A qui l'on doit, dit-on, le fuccès de nos armes,
Avec nos Chevaliers n'eft-il point revenu?

Ce triomphe à fes yeux a-t-il fi peu de charmes?
Croit-il de fes exploits que nous foyons jaloux?
Nous fommes affez grands pour être fans envie.
Veut-il fuir Syracule après l'avoir fervie?
(à Catane.)

Seigneur, il a longtemps combattu près de vous;
D'où vient qu'ayant voulu courir nôtre fortune,
Il ne partage point l'allégreffe commune?

CATAN E.

Apprenez-en la caufe, & daignez m'écouter.
Quand du chemin d'Etna vous fermiez le paffage,
Placé loin de vos yeux j'étais vers le rivage;
Où nos fiers ennemis ofaient nous résister,
Je l'ai vû courir feul & fe précipiter.

Nous étions étonnés qu'il n'eût point ce courage
Inaltérable & calme au milieu du carnage,
Cette vertu d'un chef & ce don d'un grand cœur.
Un défespoir affreux égarait fa valeur ;
Sa voix entrecoupée & fon regard farouche
Annonçaient la douleur qui troublait fes efprits.
Il appellait fouvent Solamir à grands cris;
Le nom d'Aménaïde échapait de fa bouche;
Il la nommait parjure, & malgré fes fureurs,
De fes yeux enflammés j'ai vû tomber des pleurs;
Il cherchait à mourir, & toûjours invincible,

Plus

Plus il s'abandonnait, plus il était terrible.
Tout cédait à nos coups, & fur-tout à fon bras.
Nous revenions vers vous conduits par la victoire;
Mais lui, les yeux baiffés, infenfible à fa gloire,
Morne, trifte, abattu, regrettant le trépas,
Il appelle en pleurant Aldamon qui s'avance,
Il l'embraffe, il lui parle, & loin de nous s'élance,
Auffi rapidement qu'il avait combattu.

C'est pour jamais, dit-il: ces mots nous laiffent croire
Que ce grand Chevalier, fi digne de mémoire,
Veut être à Syracuse à jamais inconnu.
Nul ne peut foupçonner le deffein qui le guide
Mais dans le même instant je vois Aménaïde,
Je la vois éperdue au milieu des foldats,
La mort dans les regards, pâle, défigurée;
Elle appelle Tancrède, elle vole égarée;
Son père en gémiffant fuit à peine fes pas.
Il raméne avec nous Aménaïde en larmes ;
C'est Tancrède, dit-il, ce héros dont les armes
Ont étonné nos yeux par de fi grands exploits,
Ce vengeur de l'Etat, vengeur d'Aménaïde,
C'est lui que ce matin d'une commune voix
Nous déclarions rebelle, & nous nommions perfide;
C'est ce même Tancrède exilé par nos loix.
Amis, que faut-il faire, & quel parti nous reste?

LORED A N.

Il n'en eft qu'un pour nous, celui du repentir.
Perfifter dans fa faute eft horrible & funeste;

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Un grand homme opprimé doit nous faire rougir.
On condamna fouvent la vertu, le mérite;
Mais quand ils font connus, il les faut honorer.

SCENE II.

Les Chevaliers, ARGIRE, AMENAIDE dans l'enfoncement foutenue par fes femmes.

ARGIRE (arrivant avec précipitation. )

L les faut fecourir, il les faut délivrer;
Tancrède eft en péril, trop de zèle l'excite;
Tancrède s'eft lancé parmi les ennemis,
Contre lui ramenés, contre lui feul unis.
Hélas! j'accufe en vain mon âge qui me glace.
Vous qui du faix des ans n'êtes point affaiblis,
Courez tous, diffipez ma crainte impatiente,
Courez, rendez Tancrède à ma fille innocente.
LORED A N.

C'est nous en dire trop; le temps eft cher, volons,
Secourons fa valeur qui devient imprudente,
Et cet emportement que nous défaprouvons.

SCENE

SCENE

III.

ARGIRE,

A MENA IDE.

ARGIR E.

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Ciel! tu prends pitié d'un père qui t'adore ;

Tu m'as rendu ma fille, & tu me rends encore
L'heureux libérateur qui nous a tous vengés.
( Aménaïde entre.)

Ma fille, un jufte espoir dans nos cœurs doit renaitre.
J'ai caufé tes malheurs; je les ai partagés ;
Je les termine enfin. Tancrède va paraître.
Ne puis-je confoler tes efprits affligés?

A MENA ï D E.

Je me confolerai quand je verrai Tancrède,
Quand ce fatal objet de l'horreur qui m'obsède,
Aura plus de justice, & fera fans danger;
Quand j'aprendrai de vous qu'il vit fans m'outrager,
Et lorfque fes remords expîront mes injures.

ARGIR E.

Je reffens ton état: fans doute il doit t'aigrir.
On n'effuya jamais des épreuves plus dures.
Je fais ce qu'il en coûte, & qu'il eft des bleffures
Dont un cœur généreux peut rarement guérir.
La cicatrice en refte, il est vrai; mais, ma fille,
Nous avons vû Tancrède en ces lieux abhorré,

Théatre, Tom. V.

F

Apprends

Apprends qu'il est chéri, glorieux, honoré;

Sur toi-même il répand tout l'éclat dont il brille.
Après ce qu'il a fait, il veut nous faire voir,
Par l'excès de fa gloire, & de tant de fervices,
L'excès où fes rivaux portaient leurs injustices.
Le vulgaire eft content s'il remplit fon devoir.
Il faut plus au héros, il faut que fa vaillance
Aille au-delà du terme & de nôtre efpérance.
C'eft ce que fait Tancrède: il paffe nôtre efpoir.
Il te verra conftante, il te fera fidelle.

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Le peuple en ta faveur s'élève & s'attendrit.
Tancrède va fortir de fon erreur cruelle.

Pour éclairer fes yeux, pour calmer fon efprit,
Il ne faudra qu'un mot.

AMENA i D E.

Et ce mot n'eft pas dit.

Que m'importe à préfent ce peuple & fon outrage,
Et fa faveur crédule & fa pitié volage,

Et la publique voix que je n'entendrai pas ?
D'un feul mortel, d'un feul dépend ma renommée.
Sachez que votre fille aime mieux le trépas

Que de vivre un moment fans en être eftimée.
Sachez (il faut enfin m'en vanter devant vous )
Que dans mon bienfaiteur j'adorais mon époux.
Ma mère au lit de mort a reçû nos promeffes;
Sa derniére priére a béni nos tendreffes;
Elle joignit nos mains, qui fermèrent les yeux;
Nous jurames par elle, à la face des Cieux,

Par

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