Hélas! je fuis bien pis !
De mes chagrins mon ame eft oppreffée; Ma chaine eft prête, & je fuis fiancée, Ou je vais l'être au moins dans un moment.
Ne hais-tu pas mon lâche?
A CAN TЕ.
Entre nous deux, juges-tu fur ma mine
Qu'il foit bien doux d'être ici Maturine?
Non pas pour toi; tu portes dans ton air, Je ne fais quoi de brillant & de fier; A Maturin cela ne convient guère, Et ce maraut était mieux mon affaire.
J'ai par malheur de trop hauts fentimens.* Di-moi, Colette, as-tu lû des romans?
M'en a prêté: Mon Dieu la belle chofe!
A CANT E.
On y voit des amans,
Si courageux, fi tendres, fi galans!
Oh Maturin n'eft pas comme eux.
Que, les romans rendent l'ame inquiète!
Ils forment trop l'efprit.
En les lifant le mien bientôt s'ouvrit. A réfléchir que de nuits j'ai paffées! Que les romans font naître de pensées! Que les héros de ces livres charmans Reffemblent peu, Colette, aux autres gens! Cette lumière était pour moi féconde; Je me voyais dans tout un autre monde. J'étais au ciel. Ah! qu'il m'était bien dur De retomber dans mon état obfcur!
Le cœur tout plein de ce grand étalage, De me trouver au fond de mon village! Et de defcendre après ce vol divin, Des Amadis à maître Maturin!
Vôtre propos me ravit; & je jure Que j'ai déja du goût pour la lecture.
T'en fouvient-il, autant qu'il m'en fouvient, Que ce Marquis, ce beau Seigneur qui tient Dans le pays le rang, l'état d'un Prince, De fa présence honora la province ? Il s'eft paffé jufte un an & deux mois Depuis qu'il vint pour cette feule fois. T'en fouvient-il? nous le vimes à table; Il m'accueillit; ah! qu'il était affable! Tous fes difcours étaient des mots choifis, Que l'on n'entend jamais dans ce païs. C'était, Colette, une langue nouvelle, Supérieure, & pourtant naturelle; J'aurais voulu l'entendre tout le jour.
Tu l'entendras fans doute à fon retour.
Ce jour, Colette, occupe ta mémoire, Où Monfeigneur tout rayonnant de gloire, Dans nos forêts fuivi d'un peuple entier, Le fer en main courait le fanglier?
Oui, quelque idée & confufe, & légère,
Je l'ai diftincte & claire.
Je crois le voir avec cet air fi grand, Sur ce cheval fuperbe & bondiffant ; Près d'un gros chène il perce de fa lance Le fanglier qui contre lui s'élance. Dans ce moment j'entendis mille voix, Que répétaient les échos de nos bois; Et de bon cœur (il faut que j'en convienne) J'aurais voulu qu'il démêlat la mienne. De fon départ je fus encor témoin; On l'entourait, je n'étais pas bien loin. Il me parla. Depuis ce jour, ma chère, Tous les romans ont le don de me plaire. Quand je les lis, je n'ai jamais d'ennui, Il me parait qu'ils me parlent de lui.
Du cœur humain, je crois, d'après nature.
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