Obrazy na stronie
PDF
ePub

Α

MADEMOISELLE

CLAIR O N.

ETTE tragédie vous apartient, Mademoifelle; vous l'a vez fait fuporter au théatre.

Les talens comme les vôtres ont

un avantage affez unique, c'est celui de reffufciter les morts; c'est ce qui vous est arrivé quelquefois. Il faut avouer que fans les grands acteurs une pièce de théatre eft fans vie; c'est vous qui lui donnez l'ame. La tragédie eft encor plus faite pour être représentée que pour être lue;

c'eft fur quoi je prendrai la liberté de dire, qu'il est bien fingulier qu'un ouvra

ge

ge qui eft innocent à la lecture, puisse devenir coupable aux yeux de certaines gens, en acquérant le mérite qui lui est propre, celui de paraître fur le théatre. On ne comprendra pas un jour qu'on ait pu faire des reproches à Madle de Champmêlé de jouer Chimène, lorfqu'Auguftin Courbé, Marbre Cramoifi qui l'imprimaient, étaient marguilliers de leur paroiffe; & on jouera peut-être un jour fur le théatre ces contradictions de nos

mœurs.

Je n'ai jamais conçu qu'un jeune homme qui réciterait en public une Philippique de Cicéron dût déplaire mortellement à certaines perfonnes, qui prétendent lire avec un plaifir extrême les injures groffières que ce Cicéron dit éloquemment à Marc-Antoine. Je ne vois pas non plus qu'il y ait un grand mal à prononcer tout haut des vers Français, que tous les honnêtes gens lifent, ou même les vers qu'on

ne

ne lit guères c'est un ridicule qui m'a Jouvent frapé parmi bien d'autres ; & ce ridicule tenant à des chofes férieufes, pourait quelquefois mettre de fort mauvaise humeur.

Quoi qu'il en foit, l'art de la déclamătion demande à la fois tous les talens extérieurs d'un grand orateur, & tous ceux d'un grand peintre. Il en eft de cet art comme de tous ceux que les hommes ont inventé pour charmer l'efprit, les oreilles

les yeux; ils font tous enfans du génie, tous devenus néceffaires à la fociété perfectionnée; & ce qui eft commun à tous, c'est qu'il ne leur est pas permis d'être médiocres. Il n'y a de véritable gloire que pour les artistes qui atteignent la perfetion; le refte n'eft que toléré.

Un mot de trop, un mot hors de fa placè, gûte le plus beau vers; une belle pen•· fée perd tout fon prix, fi elle est mal exprimée; elle vous ennuie, fi elle eft répétée :

pétée de même, des inflexions de voix ou déplacées, ou peu justes, ou trop peu variées, dérobent au récit toute fa grace. Le fecret de toucher les cœurs eft dans l'affemblage d'une infinité de nuances délicates, en poefie, en éloquence, en déclamation, en peinture; & la plus légère diffonance en tout genre, eft fentie aujour d'hui par les connaisseurs ; & voilà peutétre pourquoi l'on trouve fi peu de grands artiftes, c'eft que les défauts font mieux fentis qu'autrefois. C'est faire votre éloge, que de vous dire ici combien les arts font difficiles. Si je vous parle de mon ouvrage, ce n'est que pour admirer vos talens.

Cette pièce eft affez faible. Je la fis autrefois pour effayer de fléchir un père rigoureux qui ne voulait pardonner ni à fon gendre, ni à fa fille, quoiqu'ils fuffent très eftimables, & qu'il n'eût à leur reprocher que d'avoir fait fans fon con

fente

fentement un mariage que lui-même aurait du leur propofer.

L'avanture de ZULIME, tirée de l'hiftoire des Maures, préfentait au fpectateur une princesse bien plus coupable; & Benaflar fon père, en lui pardonnant, ne devait qu'inviter davantage à la clémence ceux qui pouraient avoir à punir une faute plus graciable que celle de Zulime.

Malheureufement la pièce parait avoir quelque reffemblance avec Bajazet; & pour comble de malheur, elle n'a point d'Acomat; mais auffi, cet Acomat me parait l'effort de l'efprit humain. Je ne vois rien dans l'antiquité, ni chez les modernes, qui foit dans ce caractère, & la beauté de la diction le reléve encore ; pas un feul vers ou dur ou faible, pas un mot qui ne foit le mot propre; jamais de fublime hors d'oeuvre, qui ceffe alors d'être fublime; jamais de differtation étrangère au fujet, toutes les convenances parfaite

ment

« PoprzedniaDalej »