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13 MAY/908

SECONDE PARTIE,

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Contenant les Pensées immédiatement relatives à la religion.

ARTICLE PREMIER.

Contrariétés étonnantes qui se trouvent dans la nature de l'homme à l'égard de la vérité, du bonheur, et de plusieurs autres choses.

I.

RIEN n'est plus étrange dans la nature de l'homme que les contrariétés qu'on y découvre à l'égard de toutes choses. Il est fait pour connoître la vérité; il la désire ardemment, il la cherche; et cependant, quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, qu'il donne sujet de lui en disputer la possession. C'est ce qui a fait naitre les deux sectes de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns ont voulu rayir à l'homme toute connoissance de la vérité, et les autres tâ-chent de la lui assurer; mais chacun avec des rai

sons si рец vraisemblables, qu'elles augmentent la

confusion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans

sa nature.

Pensées. 2.

Les principales raisons des pyrrhoniens sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité des principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité; puisque, n'y ayant point de certitude hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, ou par un démon méchant, s'il a été de tout temps, ou s'il s'est fait par hasard, il est en doute si ces principes nous sont donnés, ou véritables, ou faux, ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n'a d'assurance hors la foi, s'il veille, ou s'il dort, vu que, durant le sommeil, on ne croit pas moins fermement veiller qu'en veillant effectivement. On croit voir les espaces, les figures, les mouvements; on sent couler le temps, on le mesure, et enfin on agit de même qu'éveillé. De sorte que, la moitié de la vie se passant en sommeil par notre propre aveu, où, quoi qu'il nous en paroisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étant alors des illusions; qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir, comme on rêve souvent qu'on rêve en entassant songes sur songes?

Je laisse les discours que font les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de l'éduca tion, des mœurs, des pays, et les autres choses semblables, qui entraînent la plus grande partie

des hommes qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements.

L'unique fort des dogmatistes, c'est qu'en parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter des principes naturels. Nous connoissons, disent-ils, la vérité, non-seulement par raisonnement, mais aussi par sentiment, et par une intelligence vive et lumineuse; et c'est de cette dernière sorte que nous connoissons les premiers principes. C'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison. Cette impuissance ne conclut autre chose que la foiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connoissances, comme ils le prétendent : car la connoissance des premiers principes, comme, par exemple, qu'il y a espace, temps, mouvement, nombre, matière, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connoissances d'intelligence et de sentiment qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle fonde tout son discours. Je sens qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent; les propositions se concluent; le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridi

cule que la raison demande au sentiment et à l'in→ telligence des preuves de ces premiers principes pour y consentir, qu'il seroit ridicule que l'inteligence demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre. Cette impuissance ne peut donc servir qu'à humilier la raison qui voudroit juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avoit que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé ce bien, et elle ne nous a donné que peu de connoissances de cette sorte : toutes les autres ne peuvent être acquises que par le raisonnement.

très

Voilà donc la guerre ouverte entre les hommes. Il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement, ou au dogmatisme, ou au pyrrhonisme; car qui penseroit demeurer neutre seroit pyrrhonien par excellence : cette neutralité est l'essence du pyrrhonisme; qui n'est pas contre eux est excellemment pour eux. Que fera donc l'homme en cet état? Doutera-t-il de tout? Doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle? Doutera-t-il s'il doute? Doutera-t-il s'il est? On ne sauroit en venir là : et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif et parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point. Dira-t-il, au contraire, qu'il possède certainement la vérité,

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