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REVUE

DE

MONTREAL

L'AUTOMNE

Le souffle de l'Automne a flétri la feuillée

Où les oiseaux cachaient leurs discrètes amours;

Le rossignol muet sur la branche effeuillée

Ne dit plus les chansons qu'il chantait aux beaux jours.

L'aquilon fait gémir la forêt dépouillée,

Les ruisseaux dans la plaine ont suspendu leur cours;
Plus de chants dans les bois, de fleurs dans la vallée,
Les nids abandonnés pendent aux vieilles tours.

C'est ainsi que toujours les amères souffrances
Flétrissent nos plaisirs, les douces espérances
Et les illusions des rêves d'autrefois!

Et nos cœurs pleins de deuil où la douleur habite
Sont tristes comme un nid que la tempête agite,
Comme les prés sans fleurs, les bocages sans voix.

ARTHUR GLOBENSKI.

Tome 1, 9e livraison, octobre 1877

JEAN-LOUIS

III

il

Aussi Jean-Louis cheminait-il content comme un prince est entendu que les princes doivent toujours être en liesse. Il croyait ne jamais voir le bout de ses cinq écus. Ne troublons pas sa joie.

Il marcha toute la journée, ne s'arrêtant que de temps à autre, pour ouvrir son sac et y prendre quelques vivres.

Vers le soir, il arriva dans un gros bourg à l'entrée duquel il remarqua une tente immense, presqu'aussi haute qu'une église, dressée dans un petit champ, à côté du chemin publicIl trouva cela assez extraordinaire, mais ne s'en occupa point davantage pour le moment, et entra dans une maison d'ouvrier où il obtint la permission de passer la nuit.

Cependant, comme il se mettait en devoir de souper, toujours aux dépens de son bissac, il entendit un grand bruit dans la rue, et, curieux comme le sont les enfants de tous les âges, même ceux qui ont dépassé la cinquantaine, il sortit pour voir qui causait ce tapage.

C'était une longue file de chevaux, de mules, de chariots conduits par des hommes en brillants uniformes; en tête marchait une fanfare qui faisait retentir l'air de ses notes sonores et joyeuses.

Jean-Louis put se renseigner sans quitter la place: c'était une compagnie de cirque.

Le cirque! Quel mot peut faire rêver comme celui-là une tête de douze ans ! Je me reporte vers mon enfance, à l'époque où, pour la première fois, ce mot frappa mon oreille, et où la chose elle-même s'offrit à mes yeux.

C'était plus que de la joie; c'était presque du délire.

Aussi, Jean-Louis, rentré dans la maison, mangea-t-il son pain avec la plus grande distraction. La procession des chariots lui trottait par la tête. Dès qu'il eut terminé son repas, il voulut sortir, pour aller aux informations et tâcher d'apprendre si le cirque devait s'ouvrir ce soir-là.

Mais ici, il rencontra un obstacle auquel il ne s'attendait pas. Comme il mettait la main sur la clenche de la porte, le maître de la maison sortit d'une chambre qui donnait sur la cour. -Où vas-tu, mon garçon ? lui dit-il.

Jean-Louis fut un peu surpris; cependant, il répondit avec beaucoup de franchise :

-Je voudrais aller voir le cirque.

-Cela pourrait se faire; mais, en attendant, on ne laisse pas sortir les enfants tout seuls, le soir; et puisque tu as demandé à coucher ici, tant que tu seras dans ma maison, je réponds de toi, et il faut m'obéir. Si tu tiens à sortir maintenant, tu n'auras pas besoin de revenir ce soir, la porte sera fermée. Mais il y a un autre moyen de s'entendre. Je vais moi-même conduire mes deux petits garçons au cirque, tout à l'heure, si tu veux nous accompagner, tu es le bienvenu; cela te va-t-il?

Jean-Louis était enchanté de la tournure que prenaient les choses; aussi accepta-t-il avec reconnaissance l'offre de l'ex cellent ouvrier.

Une heure après, il pénétrait, avec ses nouveaux amis, dans la grande tente qu'il avait remarquée en entrant dans le bourg

Tout le temps que dura cette représentation, Jean-Louis ouvrit les yeux le plus qu'il put. Les chevaux dressés, les chiens savants, les costumes brillants, les mules rétives, les sauts et les cabrioles, et jusqu'aux quinquets fumeux, tout le transporta d'aise. Il aurait voulu que cela durât toujours. Aussi, en revenant, il avait du cirque plein la tête; il en rêva même pendant la nuit.

Le lendemain, il dut se lever de bonne heure; car on ne flâne pas, dans les maisons d'ouvriers. Il était songeur et ne parlait presque pas. Le maître de la maison s'en aperçut.

Eh bien! mon garçon, lui dit-il, qu'est-ce que tu vas faire maintenant? Ta figure m'intéresse, et je serais fâché de te voir mal tourner.

Jean-Louis avait une idée fixe, c'est ce qui le rendait songeur: il voulait s'engager dans la compagnie de cirque. L'ouvrier essaya de le détourner de ce projet, mais ce fut en vain. La résolution de Jean-Louis était prise et il aurait cru, en ne la pour. suivant pas, manquer le bonheur de toute sa vie.

Lorsque l'ouvrier le vit si bien décidé, il voulut au moins l'aider à prévenir autant que possible les suites fâcheuses de ce mauvais pas.

Il alla avec lui trouver le directeur de la compagnie, qui se préparait à partir pour un autre endroit, et voulut que l'engagement ne fût que pour une année. Jean-Louis n'en aurait pas ainsi pour bien longtemps à souffrir, dans le cas où il trouverait le métier trop dur.

Tout étant réglé, Jean-Louis resta avec son nouveau maître, et l'ouvrier s'éloigna le cœur triste. Il regrettait de voir un garçon si jeune courir ainsi les campagnes sans protection et exposé à contracter les plus funestes habitudes. Il songeait à ses propres enfants et cela le faisait penser à l'inquiétude que devaient éprouver les parents de Jean-Louis. Quoi qu'il en soit, il avait fait son possible pour détourner ce dernier de son projet, et cette satisfaction du devoir accompli allégeait un peu sa tristesse.

Voilà donc Jean-Louis au comble de ses désirs. Le directeur l'avait accueilli avec un véritable empressement; c'était, croyaitil, de bon augure.

La grande tente était déjà démontée, et on empilait sur les chariots toutes les pièces de la charpente. Jean-Louis remarqua avec un certain désappointement que tout le brillant de la veille avait l'air beaucoup plus terne au grand jour. Les écuyers du soir précédent étaient maintenant hâves, sales, mal vêtus, presque lourds dans leur démarche. Les chevaux portaient bas la tête; les caniches savants se mordaient à belles dents et grognaient comme d'obscurs chiens de village. Les gymnastes, grands et petits, paraissaient malades et souffreteux. Bref, tout cela ressemblait à un pique-nique sur lequel est tombé un gros

orage.

Jean-Louis fut mis à l'ouvrage comme les autres; il lui fallut transporter des planches, accoupler les chevaux, enfin, travailler sans relâche jusqu'à l'heure du dîner. Comme il en arrive toujours pour les derniers venus, il fut un peu le valet de tout le monde. On ne lui ménageait pas les corvées, et, souvent, il avait des coups par-dessus le marché, lorsqu'il n'était pas assez prompt à répondre à l'appel.

Ce n'est pas tout. Il fut obligé de suivre un cours de gymnastique, et quel cours! Trois heures durant, chaque jour, il lui faillait s'exercer à soulever des poids, travailler sur la barre horizontale, grimper et descendre dans les échelles, à l'aide des mains seulement. Au bout de huit jours, il avait les membres tout endoloris, et ces exercices étaient devenus pour lui un supplice

véritable. Mais il n'y avait pas moyen de regimber, car le fouet du directeur ne badinait pas. Puis, après avoir ainsi travaillé dur ou marché toute la journée, il fallait, les soirs de représen tation, faire le service dans la tente, et avoir un visage souriant; autrement on était sévèrement puni.

S'esquiver, il n'y fallait pas songer: Jean-Louis était gardé à vue, ni plus ni moins qu'un prisonnier.

Ce que notre héros fit d'amères réflexions, pendant les deux mois qu'il suivit la compagnie de cirque, de village en village, remplirait un gros volume. Il passa bien des nuits à verser des larmes brûlantes sur le triste état où l'avait réduit sa paresse. Car il voyait bien, maintenant, que la faute tout entière en était à lui et qu'il n'avait le droit d'accuser personne.

Je ne sais pas trop où Jean-Louis en serait arrivé, si un acci dent ne fût venu interrompre soudainement sa carrière.

Un jour qu'il était plus fatigué que de coutume, on l'avait forcé de grimper pour la troisième fois au sommet d'une échelle mobile, lorsque, en voulant saisir le dernier échelon, la main lui manqua et il retomba lourdement sur le sol, d'une hauteur de près de vingt-cinq pieds.

On le ramassa moulu et avec un bras cassé.

Pendant les deux derniers mois, la compagnie de cirque avait constamment marché en donnant ses représentations, de sorte que, le jour de la chute de Jean-Louis, elle se trouvait dans un village situé à environ douze milles de Portland, dans l'état du Maine.

On mit donc le blessé sur un matelas, pour le transporter à la gare du chemin de fer, et un des employés de la compagnie fut chargé de le conduire à l'hôpital de Portland, où Jean-Louis fit tristement son entrée après un trajet d'une demi-heure.

Il souffrait beaucoup, car les secousses du wagon avaient dérangé la clisse temporaire appliquée à son bras.

Cependant, lorsqu'il se vit installé dans un lit relativement propre et qu'on eut clissé son bras de nouveau, le malade éprouva un grand bien-être et s'endormit profondément, car depuis longtemps il manquait de sommeil.

Le membre fracturé mit du temps à guérir, et ce ne fut qu'au bout de six semaines et après avoir beaucoup souffert et pleuré, que Jean-Louis se trouva, un jour, sur le trottoir, en face de l'hôpital, libre et guéri, mais complétement dépourvu de ressources et ne connaissant pas même les rues de la ville

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