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JEAN-LOUIS

I

Jean-Louis avait douze ans.

Son père était cultivateur et exploitait une jolie ferme dans une des paroisses du bas du fleuve.

La famille était nombreuse, mais vivait assez à l'aise; seulement il fallait travailler et quelquefois travailler dur.

C'est là ce qui déplaisait à Jean-Louis. Jouer à la balle ou aux billes, courir les bois pour dénicher les oiseaux ou cueillir des fruits, faire la pêche ou la chasse, lui était assez agréable; les messieurs de la ville qui venaient passer leurs vacances sur les bords du fleuve, faisaient tout cela; c'était donc de bon genre. Mais conduire les bœufs ou les chevaux de charrue, soigner les bestiaux, sarcler le jardin ou rechausser les pommes de terre, les choux et les navets, cela ne lui convenait pas le moins du monde.

Il consentait bien, de temps à autre, à mener les chevaux au pâturage, après le travail de la journée- cela lui faisait faire une course assez agréable et peu fatigante. Mais, pour tout le reste, il n'en était point; et il n'y avait que la voix du père, appuyée du sifflement irrésistible d'une baguette de coudrier, qui pût vaincre cette résolution bien arrêtée, ou, pour appeler les choses par leur nom, ce déplorable entêtement.

Et puis, durant la morte saison, est-ce qu'on ne poussait pas la cruauté jusqu'à envoyer Jean-Louis à l'école? A quoi bon l'école? Un honnête homme ne peut-il pas vivre, et vivre heureux, sans savoir lire et sans avoir la tête farcie de grammaire et de géographie, pour ne pas parler de l'arithmétique et du catéchisme?

Travailler le moins possible et jouir le plus qu'on peut, telle était donc la méthode de Jean-Louis. C'est excellent pour les commencements, mais désastreux pour la fin, comme Jean-Louis devait en faire plus tard la triste expérience.

Mes jeunes lecteurs ont déjà dû s'apercevoir, d'après ce que

je viens de dire, que notre héros, avec des dispositions semblables, n'était pas dans la voie qui conduit à la perfection.

J'avoue qu'il était rempli de défauts. Il était paresseux, colère, grossier, querelleur et détestait l'eau et le savon presqu'à l'égal de l'école et du travail. Cet aveu me coûte beaucoup, mais, enfin, il faut bien dire la vérité quand le devoir commande de la dire.

Et ceci m'amène tout naturellement à vous faire remarquer que, parmi tous les défauts qui le déparaient, Jean-Louis avait une qualité, oh! mais une belle qualité: on ne l'avait encore jamais entendu faire un mensonge. Cela vous paraît étonnant, et, pourtant, c'est tel que je vous le dis. Comment cette belle qualité avait-elle pu ne pas être étouffée par tant de vilaines habitudes? Je n'en sais rien, et c'est un secret de la Providence.

Vous avez vu, quelquefois, au milieu d'une touffe de mauvaises herbes, s'élever droite et fière une belle plante, portant une fleur éclatante et parfumée, qui se balance au-dessus de ces herbes malfaisantes comme si elle respirait un air à part ou se nourrissait d'un suc choisi. Ou bien, encore, n'avezvous pas remarqué, dans les bois, le long d'un de ces ruisseaux bourbeux qui ressemblent à une conscience coupable, un tout petit endroit dans l'enfoncement de la rive, où l'eau toujours limpide permet d'apercevoir le sable brillant du fond. C'est un secret de la nature, que l'on peut, d'ailleurs, expliquer assez facilement.

Eh bien, cette qualité, dans l'âme de Jean-Louis, était comme la fleur et l'eau limpide dont je viens de vous parler. Cependant, c'était plus qu'un secret de la nature matérielle, c'était le mystère de la bonté de Dieu, et ces mystères se constatent mais ne s'expliquent pas.

Tout ce qu'on peut en dire, c'est que Dieu est bon, et qu'il est bon même en dépit de notre malice. Il permet que nous conservions toujours, au fond de notre cœur, un endroit sensible par lequel il puisse nous toucher à son heure, et nous ramener dans la bonne voie.

Je vous ai donc dit que Jean-Louis, à l'époque où je l'ai connu, avait douze ans et possédait une foule de défauts, moins celui de ne pas dire la vérité.

Or, Jean-Louis comptait bien ne pas vivre encore très longtemps de la vie qu'il menait. Le propre des paresseux est de ne

jamais s'amuser et d'être mécontents de tout, même de leur oisiveté.

Jean-Louis ne faisait pas exception à la règle générale.

Son père avait essayé tous les moyens de le ramener dans la bonne voie. Rien n'avait réussi. Jean-Louis ne cédait qu'à la force, c'est-à-dire au fouet. Dès que la douleur était passée, il recommençait de plus belle.

La mère avait également mis en œuvre toute sa douceur, toute sa patience; le malheureux enfant n'en continuait pas moins à se conduire à sa guise.

Bref, Jean-Louis était devenu insupportable; il boudait tout le monde, et tout le monde le détestait. Il ne parlait plus que sur ce ton cassant et bourru des gens qui sentent leur tort sans vouloir l'avouer. Ses camarades ne l'appelaient plus que du nom de grognon, ce qui le faisait entrer dans des colères sourdes et prolongées. Il était complétement déclassé.

Enfin, un soir, dégoûté de tout et surtout de lui-même, il descendit sur la grève à la tombée de la nuit, et, suivant la rive du fleuve, il marcha devant lui, sans savoir trop où il allait.

Il quittait toute sa famille, sans lui dire adieu, sans penser aux larmes de sa mère et aux vives inquiétudes que ce départ allait causer. Hélas! Jean-Louis avait déjà le cœur presque fermé à ces douces émotions qui sont à la vie ce que le parfum est à la fleur. Il ne songeait qu'à lui-même; tout ce qui touchait les autres ne lui importait guère.

Il chemina donc tranquillement sur la grève, le long des branches, tant que dura le crépuscule; puis, lorsque la nuit fut tout à fait tombée, et qu'il n'eut plus à craindre d'être reconnu, il remonta vers le grand chemin et continua sa route, allant, comme il le croyait, à la conquête du bonheur et de la liberté.

Cependant, vers neuf heures du soir, pendant que notre héros poursuivait son voyage, on avait commencé, dans sa famille, à concevoir des inquiétudes. Le père de Jean-Louis alla s'informer chez les voisins; mais personne n'avait vu le déserteur. Avec l'aide de quelques amis, et muni d'une lanterne, il parcourut les environs, explora les buissons et les fossés; mais toutes ses recherches furent vaines; et lorsqu'il rentra accablé de fatigue, sur les deux heures du matin, il se laissa tomber sur une chaise, la tête entre les mains, et resta là sans dire un mot, pendant que sa femme, assise près de la table, veillait et pleurait, et jetait de temps en temps un coup d'œil vers la porte, dans

l'espoir de la voir s'ouvrir. Mais la porte resta close. Ce fut une longue et triste nuit.

Le lendemain et les jours suivants, les recherches recommencèrent. On s'informa dans les paroisses voisines: personne n'avait vu Jean-Louis.

Enfin, au bout de quelques semaines, les parents de Jean-Louis en prirent leur parti; son couvert, qui jusque-là avait été mis à la table de la famille, fut retranché. Le père avait la figure plus sombre, la mère pleurait plus souvent, vers le soir, mais la famille reprit son train de vie ordinaire. On ne parla plus du fugitif, pour tâcher de l'oublier.

Cependant, le soir de son départ, Jean-Louis avait marché jusque vers les onze heures. Il avait fait plusieurs lieues; la faim et la fatigue commençaient à le gagner. Arrêter dans les maisons, il n'y fallait pas songer; car, comme Jean-Louis n'était pas menteur, il eût été obligé, à la première question, de dire qu'il était parti en déserteur. A trois ou quatre reprises, il essaya de pénétrer dans les granges qu'il voyait ouvertes; mais les chiens faisaient bonne garde et aboyaient assez fort pour éveiller tout le canton. D'ailleurs, il vaut autant l'avouer de suite, Jean-Louis avait grand'peur des chiens et aimait toujoursà conserver, entre eux et lui, une distance respectable. C'est une faiblesse, direz-vous; je vous crois, mais je connais bien des hommes qui la partagent. Quoi qu'il en soit, vers minuit, Jean-Louis, n'y tenant plus, avisa un bocage d'épinettes qui s'élevait sombre et silencieux à quelques arpents du chemin sur la lisière de la forêt, et y pénétra non sans trembler un peu.

Pour un enfant, le bois n'est jamais rassurant, surtout la nuit. Notre héros choisit une épinette trapue qui étendait ses basses branches en arceaux épais au-dessus du sol tapissé de feuilles. mortes. Il se blottit dans cette espèce de caverne, et après avoir fait sa prière du mieux qu'il put, il essaya de s'endormir.

Mais, hélas! le sommeil qui, tout-à-l'heure, lui faisait pencher la tête, semblait maintenant le fuir, pour le laisser en proie à une sorte de tremblement nerveux qui ne lui permettait pas de clore l'œil.

C'est que Jean-Louis n'avait pas compté avec ces mille bruits vagues et mystérieux qui planent, la nuit, sur le silence des forêts et ressemblent à des esprits qui se parlent d'un arbre à l'autre et soupirent dans les feuilles, comme les échos douloureux d'un cœur trop plein.

Et puis, il y avait la peur des ours et des loups, le souvenir des loups-garous, des feu-follets, des chiens-volants, et de tous ces personnages effrayants dont il avait entendu raconter les histoires, le soir à la veillée.

Le craquement d'une branche, la chute d'une feuille sèche, la plainte d'un oiseau le faisaient tressaillir et penser à toutes sortes de choses effrayantes. Il eût donné beaucoup pour être couché chaudement dans son petit lit, à l'abri de tout danger, même avec la perspective d'aller passer toute la journée du lendemain à l'école. Dans sa position présente, tout ce qu'il avait considéré autrefois comme des malheurs insupportables lui apparaissait comme des inconvénients bien faciles à endurer, et il n'eût pas hésité à échanger cette nuit contre tout un été de sarclage ou d'école.

Pour comble de malheur, vers deux heures du matin, la pluie se mit à tomber pressée et froide - car on était en septembre. Jean-Louis n'y fit d'abord que peu d'attention: les branches de l'épinette le protégeaient suffisamment. Mais au bout de quelque temps, quand l'arbre fut bien humecté, de larges gouttes d'eau commencèrent à tomber sur Jean-Louis pour se succéder ensuite plus rapidement. Bref, au bout d'une heure, notre héros était complètement trempé. Il lui fallut pourtant attendre le jour dans cette position gênante.

Enfin, vers six heures du matin, il put quitter son trou humide et étirer un peu au soleil levant ses membres engourdis.

La journée s'annonçait superbe ; mais Jean-Louis n'avait rien mangé et la faim le faisait souffrir. En suivant la lisière du bois, il put trouver quelques mûres sauvages et quelques framboises oubliées aux branches. Il découvrit également des noisettes, dont les écorces piquantes lui causèrent aux mains de cuisantes démangeaisons.

Ce fut un bien maigre repas, et l'humidité aidant, Jean-Louis en vint à la conclusion que les choses ne pouvaient plus aller ainsi. Il en avait assez d'une liberté aussi dure; il pensa à l'enfant prodigue et résolut de retourner à la maison de son père.

II quitta donc le bois et redescendit vers le grand chemin.

L'endroit où il se trouvait n'avait pas d'habitations. Au nord du chemin et au pied des rochers taillés presqu'à pic, on apercevait le fleuve qui se dorait sous les rayons du soleil levant et que sillonnaient au loin les voiles grises des barques de pê

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