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que qui ait jamais été envoyé dans notre pays, une troupe de pèlerins canadiens-français présentait ses hommages à l'illustre Pontife, et une autre troupe composée de nos compatriotes d'origine irlandaise débarquait en Irlande, après une traversée des plus longues et des plus périlleuses.

Le Tablet de Londres reproduit en français l'adresse lue par Mgr Racine et donne, sur les présents envoyés du Canada, des renseignements plus circonstanciés encore que ceux qui ont paru dans nos journaux. On voit aussi dans cette feuille que Lady Cartier et ses deux filles se sont jointes aux 40 pèlerins présidés par l'évêque de Sherbrooke, et ont été admises à la même audience.

Le mouvement intellectuel qui s'est fait du Canada vers Rome, depuis un certain nombre d'années, a contribué beaucoup à nous faire connaître là, ainsi qu'à Paris ; et l'on peut dire qu'il y a dans ces deux grandes capitales, maintenant, comme deux petites colonies canadiennes, qui se renouvellent, il est vrai, sans cesse, mais qui commencent à avoir quelqu'importance, ne fûtce qu'au point de vue de la curiosité internationale.

La presse européenne, au milieu de ses grandes préoccupations, n'a jamais consacré autant d'attention à notre pays que depuis quelque temps. Un excellent livre, Montcalm et le Canada Français, par M. de Bonnechose, a été revu et commenté par tous les journaux de Paris et par plusieurs feuilles de la province. M. Paul de Cazes publie en ce moment, dans le Monde, une remarquable série d'articles sur les écrivains canadiens; enfin le Correspondant a donné dernièrement sous ce titre, la France Canadienne, un travail consciencieux et très-étendu, sous la signature J. Guérard, qui me paraît être un pseudonyme. En dehors de ces articles ex-professo, on trouve deçà et delà, un peu partout, quelque chose sur le Canada. C'est ainsi que tout dernièrement la Revue Britannique rendait compte à ses lecteurs de l'élection du comté de Charlevoix et de la questiou de l'influence indue. Depuis un peu plus d'un an, les trois principales Revues publiées en France que j'ai eu l'occasion de citer si souvent dans mes revues européennes de l'Opinion Publique: le Correspondant, la Revue des Deux-Mondes et la Revue Britannique, ont perdu leurs directeurs ou propriétaires gérants, M. Douniol, M. Buloz et M. Pichot. Leurs noms étaient identifiés avec leurs publications respectives. Ce n'est pas une petite affaire que de mettre sur pied, ou seulement de diriger une de ces grandes

Revues, de saisir, grouper et choisir les écrivains qui y contribuent, d'accorder à chacun sa place, de concilier tous les amours-propres intéressés, de satisfaire la curiosité et les goûts changeants du public qu'on s'est créé; enfin de diriger la partie matérielle, tout en surveillant la partie intellectuelle. Il faut pour cela un homme de lettres, doublé d'un homme d'affaires, d'un administrateur.

J'ai parlé ailleurs de M. Douniol; je dois à mes nouveaux lecteurs quelques mots sur M. Buloz et sur M. Pichot.

Buloz était né à Genève en 1803. Il débuta à Paris dans la littérature par des traductions de l'anglais, et en 1831 il fonda la Revue des Deux-Mondes, qu'il a ainsi dirigée pendant quarantecinq ans. Nommer tous les écrivains qui, pendant ce long espace de temps, ont figuré dans ce receuil prendrait plusieurs pages de cette Revue. Quoiqu'en général le rédacteur en chef ait sacrifié le plus souvent à l'esprit de la libre-pensée, et que quelques-uns des plus mauvais romans de Madame George Sand et des écrivains de son école y aient trouvé place, la Revue a donné une multitude de travaux honnêtes et consciencieux, comme ceux qu'y publient en ce moment M. Saint-Réné Taillandier et le comte d'Hausonville. Il n'y a pas jusqu'à M. Louis Veuillot, qui a inventé le terme de Buloziers pour désigner les écrivains ordinaires de la Revue, qui n'y ait figuré autrefois; il est vrai que c'était à une époque où les dangers de la société étaient si grands, que la Revue des Deux Mondes elle-même s'en alarmait et trouvait qu'après tout la religion avait du bon.

Comme M. Buloz, M. Amédée Pichot a débuté dans les lettres par des traductions de l'anglais, mais il a été beaucoup plus que les directeurs du Correspondant et de la Revue des DeuxMondes, un homme de lettres.

Ses ouvrages sont nombreux et importants. C'est M. Xavier Marmier, cet écrivain si bien connu au Canada, qui a fait dans la Revue Britannique, l'article nécrologique sur son ami, dont il a été souvent le collaborateur.

Né en 1795, M. Pichot avait 81 ans et quelques mois lorsqu'il est mort, le 12 février dernier, et jusqu'au dernier moment il a tenu la plume, aidé de son fils, qui lui succède. C'est là une de ces longues et vaillantes vieillesses que l'Amérique peut envier à l'Europe, et qui sont beaucoup plus rares de ce côtéci de l'Océan parmi les lettrés et les hommes d'affaires, phénomène dont les causes mériteraient d'être étudiées.

"Amédée Pichot, dit M Marmier, appartenait à une de ces braves vieilles familles de Provence dont M. de Ribbe, le religieux chroniqueur, se plait à compulser les archives, et il avait fait ses premières études à Juilly. Par le volume intitulé les Arlésiennes, qu'il publia en 1860, on peut voir comme il avait gardé ses junéviles et ses viriles impressions. Il y a là tout un recueil de fidèles souvenirs : des stances touchantes à sa mère, des épîtres à ses amis, des chroniques d'Arles, sa chère ville natale, des épisodes de ses relations avec diverses célébrités, des vers dans son dialecte provençal, ce vif et musical dialecte des troubadours, glorifié de nouveau par Frédérick Mistral, puis les poésies qu'il composait pour les anniversaires de Juilly; et comme M. le Chancelier Pasquier et M. Berryer, il s'honorait d'avoir été l'élève de cette congrégation d'Oratoriens, dont Bossuet a dit: "Compagnie où l'on obéit sans dépendre, où l'on gouverne sans commander, où toute l'autorité est dans la douceur et où le respect s'entretient sans le secours de la crainte."

M. Pichot, devenu d'abord docteur en médecine, se fit ensuite homme de lettres. Ayant une disposition toute particulière pour l'étude des langues étrangères, il apprit plusieurs langues méridionales et l'anglais, et se trouva pour ainsi dire le champion de la littérature anglaise. Le premier il traduisit Byron en entier ainsi que plusieurs ouvrages de Shakespeare, de Walter Scott et de Thomas Moore. Après avoir dirigé quelque temps la Revue de Paris, il prit en 1839 la direction de la Revue Britannique, établie en 1825, et qui répondait parfaitement à l'idée qui était devenue prédominante chez lui, celle de faire connaître en France, d'y naturaliser l'histoire et la littérature de la GrandeBretagne. Dans cette Revue, en effet, les meilleurs articles des Revues anglaises, les romans anglais les plus en vogue sont presque tous traduits ou analysés.

Avec son infatigable activité, dit encore M. Marmier, quand il pouvait se soustraire quelque temps à ses occupations parisiennes, c'était son bonheur de s'en aller tantôt à Londres ou à Edimbourg, à Dublin ou dans le Westmoreland, voir les poëtes et les romanciers, dont il traduisait les œuvres et dont il dépeignait le caractère, tantôt chercher au "British Museum" ou dans les archives de Belgique des documents pour quelque œuvre historique.

"A ses diverses explorations nous devons ses curieux volumes sur l'Angleterre, l'Ecosse et la principauté de Galles; son

histoire de Charles Edouard et son histoire de l'abdication de Charles Quint, qui, louée par Prescott, un grand maître, aura sa place marquée dans les bibliothèques entre les excellents livres de Mignet et de M. Sterling."

Quoiqu'il ait traduit Byron en entier, M. Pichot était surtout l'admirateur passionné de Shakespeare, et pour prouver que tout est dans Shakespeare, il conçut l'idée bizarre de prendre pour épigraphe des vers de cet auteur, pour chacune de ses chroniques mensuelles. Il s'en est tiré jusqu'au bout, et pour lui rendre hommage, ses continuateurs ont choisi, pour la chronique qui annonce son décès, un funèbre passage du poëte anglais C'est très-bien; mais je leur conseille de s'en tenir là. Un tour de force qui dure déjà depuis si longtemps, commence à devenir périlleux.

Québec, 12 juin 1877.

P. G..

PÊLE-MÊLE (1)

Voici un joli volume ajouté à la liste de nos ouvrages canadiens. Joli ne s'applique, bien entendu, qu'à la forme extérieure ; car la valeur intrinsèque de l'ouvrage mérite une épithète plus caractéristique, qui ressortira de la suite de cette étude.

Les vers sont extrêmement communs, dans ce pays; les poëtes y sont beaucoup plus rares. Tout le monde, cependant, se mêle de versifier; et chacun, en offrant son contingent de lignes mesurées, apporte aussi ses améliorations. C'est ainsi que certains poëtes (?) moins corrects qu'abordants, en sont arrivés à produire, sans le moindre effort apparent, des vers de treize, de quatorze et même de quinze syllabes. Où s'arrêtera cette course désordonnée? Je ne sais pas; mais si l'on doit en juger d'après la vitesse initiale, il n'y a pas de raison pour que cela finisse, à moins que le bon sens du public ne vienne s'en mêler. Cette dernière hypothèse est peut-être encore une illusion; car les critiques qui ont la mission de former le goût littéraire, sont, en général, complètement dépourvus de la compétence nécessaire. Ils jugent, comme je l'ai déjà dit ailleurs, non pas suivant le mérite de l'œuvre, mais d'après les sentiments que leur inspire le nom de l'auteur. Ou bien, s'ils entreprennent ce qu'ils appellent un examen sérieux et raisonné, ils démembrent les phrases, analysent chaque mot sans s'occuper du contexte, tranchent dans les détails sans tenir compte de l'ensemble; bref, ils font un véritable travail d'écolier de sixième et prétendent rendre une sentence sans appel. Malheureusement, et quelqu'inexpliquable que soit ce résultat, ce sont eux qui font et défont les renommées, qui forment et modifient l'opinion de la plupart des lecteurs.

C'est ce qui fait que notre littérature est aujourd'ui inondée d'œuvres incolores et sans aucune valeur, qui prennent le premier rang et refoulent prétentieusement au troisième dessous, les quelques bons écrivains qui font honneur à leur pays et lui

(1) Fantaisies et souvenirs poétiques, par Louis-H. Fréchette, 1 vol. in-12 gr., 274 p.; Montréal, compagnie d'impression et de publication Lovell, 1877.

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