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peut bien le penser, le nécrologe européen a continué de se remplir. Je ne trouve d'espace ici que pour deux des plus illustres parmi les morts de 1877: le général Changarnier et le poète Joseph Autran. Changarnier est une des plus grandes gloires militaires de la France, l'avant dernier des Africains, comme on appelait les généraux qui s'étaient formés dans ces guerres d'Algérie, si difficiles et si sanglantes, et où le Maréchal MacMahon lui-même a cueilli ses premiers lauriers.

Né en 1793, Changarnier n'était encore que chef de bataillon en 1836. Ce fut dans deux brillants épisodes des guerres d'Algérie qu'il acquit la célébrité qui ne l'a jamais abandonné depuis.

En 1836, l'armée d'Afrique avait échoué devant Contantine. Changarnier commandait un bataillon du deuxième léger, qui se trouvait à l'extrémité de l'arrière garde, poursuivi par des milliers d'Arabes que leurs succès inattendus avaient remplis d'ardeur et d'audace. Or, si l'arrière garde eût été entourée, l'armée elle-même se fût trouvée en grand danger. Ce fut alors que Changarnier, faisant replier ses tirailleurs, et formant le carré, dit avec le plus grand sang-froid à ses soldats: "Allons, mes amis, ces gens-là ne sont que six mille et vous êtes deux cent cinquante, vous voyez bien que la partie est égale! Vive le Roi et feu des deux rangs!"

Ces paroles qui dans leur héroïsme frisaient la gasconnade eurent, grâce à l'habileté et au courage de celui qui les prononçait, le succès le plus complet. Le torrent des cavaliers arabes fut arrêté et même refoulé, et Changarnier fut connu pour toujours comme le sauveur de l'armée dans cette habile et difficile retraite.

La seconde circonstance où le général s'illustra fut dans la prise du nid d'aigle où Abd-el-Kader se tenait retranché sur le piton le plus élevé de l'Atlas, et d'où ses fidèles cavaliers inondaient la plaine de la Mitidja, poussant leurs incursions jusqu'aux portes d'Alger. Trois colonnes escaladaient la montagne par trois chemins séparés. "La Moricière avec ses zouaves, dit M. de Lacombe (1), avait pris par la droite. Après avoir franchi tout, ou tout culbuté, il se trouvait arrêté à un endroit d'un escarpement énorme par un feu de deux rangs à demiportée de fusil, que dirigeaient des masses de Kabyles postés

(1) Le général Changarnier par H. de Lacombe-Correspondant du 10 mars.

de l'autre côté de l'abîme. Il cherchait à aller les joindre, lorsque tout à coup derrière eux, dans un épais brouillard, une vive fusillade se fait entendre, et à travers cette fusillade, un bruit de tambours et de clairons. C'est la marche de nuit du 2e léger! Comme elle monte toujours dans la nuée, elle annonce la victoire. C'est Changarnier! Il a trouvé les Kabyles; les habits et les épaulettes troués par huit balles, il renouvelle dans l'Atlas les exploits des preux de Charlemagne contre les Sarrasins des Pyrénées. Escaladant rochers sur rochers, il enlève à la baïonnette les retranchements qui protégent le piton: à ses soldats qui voient leurs camarades tomber par files, il dit pour les réconforter "Courage, nous serons toujours assez nombreux pour arriver là-haut." Il y arrive enfin, les Arabes éperdus abandonnent leur redoute et se précipitent dans tous les ravins. Changarnier, le premier, plante le drapeau de la France sur le sommet de l'Atlas; La Moricière est bientôt à ses côtés, et les deux héros s'embrassent au milieu de leurs soldats qui applaudissent."

Pour avoir commencé à monter en grade un peu tard, Changarnier n'en parvint que plus rapidement aux plus hautes dignités de l'armée. La révolution de 1848 le trouva général Il vint à Paris, et M. de Lamartine l'avait désigné comme am. bassadeur à Berlin, lorsque, le 16 avril 1848, il eut recours à lui pour réprimer une insurrection naissante. Sous la dictature de Cavaignac et dans les premières années de la présidence du prince Napoléon, le général fut la terreur des émeutiers et des ennemis de l'ordre. Vivement opposé à la politique de l'Elysée, il fut pendant un certain temps l'espoir des républicains et par là même, suspect.

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Si Changarnier eût eu plus de confiance dans l'assemblée, si l'assemblée n'eût pas été divisée en un si grand nombre de fractions, si enfin on se fût mieux entendu de part et d'autre, le coup d'état eût été impossible. Aussi lorsqu'au mois de janvier 1851, on enleva au général le commandement de la garde nationale, M. Thiers s'écria "l'Empire est fait!" Au mois de décembre suivant, Changarnier était enfermé au château de Ham, puis exilé en Belgique où il retrouva son ancien compagnon d'armes, Lamoricière. Rentré en France plus tard, il continua à être suspect à l'empereur, et lorsqu'éclata la dernière guerre, on eut le tort de refuser ses services, ce qui ne l'empêcha point d'accourir généreusement au secours de sa patrie, à Metz, dans les derniers jours du second empire.

Son héroïsme fut récompensé sous la république ; il fut élu sénateur parmi les inamovibles, et il fut tellement regardé jusqu'à sa mort comme un ennemi des révolutionnaires, que les honneurs militaires qui lui étaient si justement dus et que le Maréchal MacMahon lui a fait rendre, ont été l'objet de manifestations tout à fait inconvenantes de la part de ses adversaires, qui n'ont su respecter ni la majesté de la tombe, ni celle de la nation à laquelle l'illustre défunt avait rendu d'incontestablesservices.

Joseph Autran était, avec Laprade, du petit nombre des vrais poètes que la France possédait encore, puisque Victor Hugo, s'exagérant surtout dans ses défauts, en est arrivé à se parodier lui-même. Laprade, Brizeux, Autran, Reboul étaient les chefs de la seconde génération poétique qui succédait à celle de Lamartine, Hugo, de Lavigne, de Vigny, Barthélemy, Barbier. Bien plus jeune est l'école de Sully-Prudhomme, André Lemoine, Lecomte-Delisle, Coppée, Manuel et tutti quanti, qui procèdent d'Alfred de Musset, cisèlent le vers, font fi de l'hémistiche et de la césure, et s'inquiètent assez peu de l'idée, pourvu que la rime soit riche et sonore, et que l'image soit fraîche et colorée.

Autran, né à Marseille en 1813, avait cependant 64 ans; mais quoiqu'il ait débuté en 1832 par une ode à M. de Lamartine, ce ne fut qu'en 1848 qu'il arriva à la célébrité par sa tragédie, la Fille d'Eschyle, qui partagea le grand prix Monthyon avec la Gabrielle de M. Emile Augier.

Ses principaux recueils, Poèmes de la mer, La vie rurale, Les laboureurs et soldats, ont été publiés depuis 1850. La simplicité, le naturel, et très-souvent l'élévation de la pensée, et le vif sentiment de la nature, lui assignent un rang distingué parmi les poètes de notre siècle. Peut-être le calme et la sérénité de sa muse étaient-ils comme dépaysés dans l'époque tourmentée et passionnée ce qui expliquerait comment il n'a pas eu autant de vogue qu'il méritait d'en avoir.

Québec, 8 avril 1877.

P. C.

BIBLIOGRAPHIE

POPULAR SAYINGS FROM OLD IBEBIA.-Québec, DAWSON ET CIE.

Un charmant recueil de proverbes, maximes, apophtegmes et dictons de la vieille Espagne. Choisis avec soin et avec un goût parfait dans une mine presque inépuisable de poésie et de philosophie populaire, ces adages ont été traduits en anglais de façon à ne rien perdre de leur primitive saveur. La délicatesse du sentiment, la profondeur de la pensée, ou la finesse du trait, ont été rendus avec une souplesse de style qui eût peut-être trahi son origine, si quelques journaux n'avaient soulevé le voile de l'anonyme qui cachait les auteurs du petit volume, signé des noms de plume Fieldat et Aitiaiche.

Ce dernier donne le son anglais des initiales de l'un des auteurs, Miss Annie T. Howells, l'une des filles du consul des Etats-Unis à Québec, et la sœur du célèbre romancier américain, M. Wm. D. Howells, dont les ouvrages deviennent de jour en jour plus populaires dans notre pays, où se passent plusieurs des scènes les plus intéressantes de ses écrits. Miss Howells est l'un des membres les plus distingués d'une famille d'écrivains; plusieurs remarquables travaux littéraires lui ont déjà acquis une réputation aux Etats-Unis et parmi nous. Fieldat - fidélité - est le pseudonyme sous lequel M. le comte de Premio Real, consul général d'Espagne à Québec, contribue depuis plusieurs années à la littérature de son pays. M. le comte a voulu cette fois apporter à la littérature anglaise un intéressant élément exotique, et son idée a été artistement exécutée.

Les Popular Sayings portent au frontispice deux colonnes avec l'exergue Plus Ultra. Ce sont les armes de l'Espagne depuis que le navigateur génois a franchi les Colonnes d'Hercule pour aller à la découverte de l'Amérique.

BIOGRAPHIES ET PORTRAITS, par M. L. O. David-1 vol in-8°-Beauchemin et Valois, libraires-imprimeurs, Montréal, rue St. Paul, 237 et 239.

Le livre que nous avons sous les yeux renferme vingt-et-une biographies. Ces biographies, aujourd'hui accompagnées de portraits, ont déjà paru dans nos journaux, et notamment dans

l'Opinion Publique, L'idée de les réunir en un volume est excellente éparses dans nos feuilles quotidiennes et même hebdomadaires, elles auraient été bientôt oubliées. La chose eût été extrêmement regrettable, puisque, comme le dit l'auteur, elles sont destinées à jeter de la lumière sur la vie d'hommes remarquables dont le souvenir mérite d'être conservé."

Nous n'avons pas, pour le présent, à apprécier les actes de ceux qui font l'objet de ces biographies, non plus que le théâtre où se sont exercés le patriotisme des uns, la science ou les vertus des autres: une telle appréciation nous mènerait trop loin, et dépasserait de beaucoup les limites resserrées d'une simple notice bibliographique.

Comme tout ce qui sort de la plume de l'auteur, ce livre est écrit avec cette abondance, cette souplesse d'expression qui sont les traits les plus caractéristiques du style de M. David. Une analyse quelque peu sévère trouverait peut-être que la diction n'est pas toujours assez châtiée, et que parfois les figures manquent de justesse. Nous dirons, néanmoins, que M. David excelle dans l'art de peindre, et qu'à ce point de vue, il soutiendrait avantageusement la comparaison avec d'autres littérateurs de l'ancien monde.

Mais ce qui, à notre avis, constitue le principal mérite de l'ouvrage, c'est ce parfum de patriotisme que l'on y respire à chaque page. De plus, le soin quasi minutieux que l'auteur, nouveau Plutarque, a pris de mettre en relief les talents et les vertus de ces hommes qui sont comme l'auréole du nom Canadien, fait que son œuvre sera lue et conservée par tous ceux qui ont à cœur le culte du passé et celui de la patrie.

Nous laissons de côté la partie matérielle de l'ouvrage, parce que nous ne sommes pas connaisseur en fait de typographie: nous pensons, cependant, qu'il aurait été mieux de laisser de côté les gravures qu'on y a mises: ce sont de véritables carica

tures.

J. O. CASSEGRAIN.

LES QUEBECQUOISES, Poésies, par W. Chapman, 1 vol. in-8° de plus de 200 pages, élégamment imprimé par M. C. Darveau, de Québec.-Prix $1.00. Depuis quelques années la littérature canadienne, débarrassée des langes qui entravaient ses premiers pas, a grandi tout à coup et s'est développée d'une manière prodigieuse, sous les auspices de sa mère vénérée, la littérature française. Mainte

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