Obrazy na stronie
PDF
ePub

goûter et d'apprécier sa doctrine. De l'ensemble on doit raisonnablement conclure qu'au temps où il suivait les leçons de Polycarpe, Irénée devait avoir environ quinze ans1. Aussi peutil se vanter d'avoir gardé un souvenir précis de l'illustre presbytre, de sa personne, de ses manières, de ses habitudes. Les choses qu'il a apprises de lui comptent au nombre de ses connaissances les plus certaines et les mieux ancrées dans sa mémoire. En l'entendant, il a entendu un des représentants les plus autorisés de la tradition apostolique.

En effet, d'un passage du livre Contre les Hérésies, passage sur lequel nous aurons l'occasion de revenir (V, 33, 4), il résulte qu'Irénée considérait Polycarpe comme ayant été le contemporain de Jean l'apôtre. De plus, d'après la lettre à Florinus, l'évêque de Smyrne se plaisait à entretenir son auditoire des rapports familiers qu'il avait eus « avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur » et rapportait les miracles et la doctrine de Jésus en se basant sur l'autorité de ceux qui avaient été « les témoins oculaires de la vie du Verbe ».

La biographie de saint Polycarpe nous est à peu près inconnue. On admet généralement qu'il fut mis à mort en l'année 155. De plus, dans les actes de son martyre, il déclare lui-même être serviteur du Christ depuis 86 ans : ὀγδοήκοντα καὶ ἓξ ἔτη δουλεύω (v.1. ἔχω δουλεύων) αὐτῷ (τῷ Χριστῷ) 2. Zahn soutient que ce chiffre se rapporte à la période qui a suivi son baptême et nullement à la durée totale de sa vie 3. Harnack adopte l'interprétation plus simple qui reconnaît dans cette donnée l'âge du saint martyr4. En adoptant cette dernière opinion, nous obtenons l'année 69 comme date de la naissance de Polycarpe. Par conséquent, vers

1. On admet communément que Polycarpe est mort en 155. (Pour la justification de cette donnée chronologique, voir l'étude de Corssen dans le Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, III, p. 61 ss.) Si, comme nous croyons devoir l'admettre, il était âgé de 86 ans et si l'on place vers 150 l'époque à laquelle fait allusion le correspondant de Florinus, la naissance d'Irénée tombe vers l'année 135. Cette date est conforme à la chronologie que soutient Harnack.

2. Martyrium Polycarpi, 9, 3.

3. Forschungen, IV, p. 262 ss.; VI, p. 95 ss.

4. Chronologie, I, p. 342 s.

l'an 85, il était en âge de se choisir des maîtres et de s'attacher à eux. Qu'en ce temps-là il y ait eu en Asie-Mineure des apôtres et des hommes apostoliques, des disciples du Seigneur, personne, croyons-nous, n'osera nier la possibilité du fait. Rien ne s'oppose donc à ce que nous acceptions avec confiance les renseignements d'Irénée, lorsqu'il nous présente Polycarpe comme un héritier immédiat de la doctrine apostolique.

La tradition à laquelle se rattache Irénée semble donc solidement établie du côté de Polycarpe. L'ensemble des données historiques dont nous pouvons disposer nous autorise à conclure qu'Irénée a suivi les leçons de Polycarpe, disciple de saint Jean, et, par voie de conséquence, qu'il doit être sérieusement renseigné sur le rapport qu'il y a entre l'apôtre bien-aimé et l'Evangile qui porte son nom. Malgré cela, on ne saurait tenir son autorité pour décisive. En effet, on lui reproche à juste titre d'avoir embrassé une opinion manifestement erronée sur un point fondamental de l'histoire évangélique. Ce point, d'ailleurs, n'est pas étranger à la composition du IVe Évangile.

Au livre IIe de l'ouvrage Contre les Hérésies, ch. 22, l'auteur soutient que Notre-Seigneur avait presque cinquante ans lorsqu'il fut crucifié et que, par suite, sa vie publique, inaugurée à l'âge de trente ans, embrasse une période de près de vingt années. Il appuie sa thèse sur deux arguments. Le premier (§ 5) est tiré de l'autorité des presbytres, disciples de Jean, disciple du Seigneur : A quadragesimo autem et quinquagesimo anno declinat jam in ætatem seniorem, quam habens dominus noster docebat, sicut evangelium καὶ πάντες δὲ οἱ πρεσβύτεροι μαρτυροῦσιν, οἱ κατὰ τὴν ̓Ασίαν Ἰωάννῃ τῷ τοῦ κυρίου μαθητῇ συμβεβληκότες παραδεδωκέναι αὐτοῖς ταὐτὸ (ν. 1. ταύτα) τὸν Ἰωάννην παρέμεινε γὰρ αὐτοῖς μέχρι τῶν Τραϊανοῦ χρόνων. Quidam autem eorum non solum Johannem sed et alios apostolos viderunt, et hæc eadem ab ipsis audierunt et testantur de hujusmodi relatione. Quibus magis oportet credi? Utrumne talibus, an Ptolemæo, qui apostolos nunquam vidit, vestigium autem apostoli ne in somniis quidem assecutus est?Le deuxième argument (§ 6) est basé sur une donnée du IV® Évangile. Il s'agit de la repartie des Juifs à Jésus, qui prétend être aussi ancien qu'Abraham : tu n'as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? (8,57). Cette réponse, remarque le docteur

de Lyon, n'a sa raison d'être que si le Christ, à ce moment-là, approche de la cinquantaine 1.

Ici, Irénée commet une erreur manifeste, et l'on est conduit à se demander ce que vaut cette tradition apostolique, sur laquelle il prétend baser une telle opinion. Il est vrai qu'il invoque des raisons de convenance et un argument exégétique; mais il n'est pas moins vrai qu'il allègue avec solennité le témoignage de tous les presbytres réunis en Asie autour de Jean, le disciple du Seigneur 2. Or, il est impossible qu'un apôtre ait commis une telle méprise. L'opinion qu'Irénée met au compte de la tradition johannique est une erreur d'origine tardive, qui paraît avoir son point de départ soit dans le passage évangélique Jo. 8, 57, soit dans les discussions auxquelles donna lieu la divergence chronologique qui sépare le IV Évangile des trois autres. Dans le même. passage de son livre (§ 6), l'évêque de Lyon semble prendre parti pour l'Evangile johannique et avoir surtout à cœur de démontrer que Jésus vécut plus de trente ans et que son ministère dura plus d'une année. Il convient de remarquer que l'apôtre Jean est mis en question, non pas précisément comme auteur du IVe Évangile, mais comme représentant de la tradition. D'ailleurs, ce n'est pas directement à lui, mais à son entourage, qu'Irénée rapporte son opinion. Il s'agit d'une croyance commune, d'un témoignage collectif.

Nous avons déjà remarqué que les références de l'évêque de Lyon par rapport aux presbytres sont de deux sortes, les unes collectives, les autres individuelles. Parfois Irénée en appelle vaguement aux presbytres, parfois il fait intervenir, sans le nommer, un presbytre, avec lequel il doit avoir eu des rapports personnels et suivis. Ce presbytre, selon toutes les apparences, n'est autre que Polycarpe. Nous croyons qu'Irénée n'eut jamais de relations avec d'autres presbytres que l'évêque de Smyrne, dont il écouta les enseignements au temps de sa première jeu

1. Hoc autem consequenter dicitur ei qui jam XL annos excessit, quinquagesimum autem annum nondum attigit, non tamen multum a quinquagesimo anno absistat. (II, 22, 6).

2. Harnack, Chronologie, I, p. 334 s. Contra cf. Zahn, Forschungen, VI, p. 61 ss.

nesse. Si les renseignements qu'il prétend tenir des presbytres en général sont des dires dépourvus d'autorité, ceux qu'il tient de l'évêque de Smyrne méritent d'être pris en considération. Mais dans laquelle des deux catégories faut-il ranger l'attribution du IVe Évangile à l'apôtre Jean (III, 1, 1) ?

Dans le passage qu'il consacre à la composition des Évangiles, l'auteur du traité Contre les Hérésies ne se réfère à aucune autorité. Il paraît condenser des informations puisées à différentes sources. Aussi, malgré la précision et la clarté avec lesquelles il s'exprime, nous croyons qu'il y a lieu de distinguer. La notice concernant l'Évangile johannique est particulièrement instructive. Nous ne croyons pas cependant qu'on doive la prendre à la lettre et la tenir pour rigoureusement exacte jusque dans la forme de l'expression : Ἔπειτα Ἰωάννης ὁ μαθητὴς τοῦ κυρίου, ὁ καὶ ἐπὶ τὸ στῆθος αὐτοῦ ἀναπεσών, καὶ αὐτὸς ἐξέδωκε τὸ εὐαγγέλιον, ἐν Ἐφέσῳ τῆς ̓Ασίας Staτpisov. L'emploi du verbe owxe donne clairement à entendre que Jean publia lui-même l'Évangile pendant son séjour à Éphèse. De graves motifs, que nous exposerons plus loin, portent à croire que le IVe Évangile ne fut pas publié du vivant même de l'apôtre, mais seulement après sa mort. L'expression dont se sert saint Irénée reflète l'opinion commune, qui ne distinguait pas entre la doctrine du IV Évangile, que saint Jean avait enseignée à Éphèse, et le livre lui-même. A part ce détail, les renseignements qu'il nous donne doivent être tenus pour certains: Jean l'apôtre séjourna à Éphèse; ce personnage n'est autre que le disciple bien-aimé de Jésus, dont parle le IVe Évangile; il est l'auteur de l'Évangile qui porte son nom. Sur ce dernier point, qui est capital, le témoignage est sujet à quelques restrictions. C'est vraisemblablement par Polycarpe qu'Irénée connaît l'activité de Jean en Asie. Or, l'authenticité johannique de l'Evangile n'est pas présentée par lui comme l'objet d'un témoignage formel; on dirait plutôt que c'est le résultat d'une induction: Irénée a entendu l'enseignement que Polycarpe donnait comme étant celui de Jean; d'autre part, il est familiarisé avec la doctrine du IVe Évangile. C'est, semble-t-il, en comparant le contenu du livre avec l'enseignement de l'évêque de Smyrne, qu'il arrive à conclure : l'apôtre Jean est l'auteur de l'Évangile. N'est-ce pas ce qu'il insinue dans sa lettre à Florinus, lorsqu'il dit : ὡς παρὰ τῶν αὐτοπτῶν τῆς ζωῆς P. CALMES.-Évangile selon saint Jean.

2

τοῦ λόγου παρειληφώς ὁ Πολύκαρπος, ἀπήγγελλε πάντα σύμφωνα ταῖς l'on ypzqzię? L'expression «< témoins de la vie du Verbe » que croit être empruntée à I Jo, 1, 11, se rapporte évidemment à la vie du Sauveur, telle qu'elle est exposée dans le IVe Évangile, et c'est par rapport à ce dernier livre qu'Irénée déclare l'enseignement de Polycarpe « conforme aux Écritures ».

Il n'est pas probable qu'Irénée ait eu des rapports personnels avec Papias. Il connaît l'évêque d'Hiérapolis seulement par ses œuvres. Après avoir cité un assez long passage des Explications concernant les rêveries millénaristes, le docteur de Lyon poursuit par une notice devenue célèbre : ταῦτα δὲ καὶ Παπίας Ιωάννου μὲν ἀκουστής, Πολυκάρπου δὲ ἑταῖρος γεγονώς, ἀρχαῖος ἀνήρ, ἐγγράφως ἐπιμαρτυρεῖ ἐν τῇ τετάρτῃ τῶν αὐτοῦ βιβλίων· ἔστι γὰρ αὐτῷ πέντε βιβλία Guvtstaypéva. La manière dont Irénée parle de l'ouvrage de Papias et la longue citation qu'il lui emprunte prouve que ce document lui est parfaitement connu; il a dû l'avoir à sa disposition et le mettre à profit dans une mesure que nous ignorons. Mais sur Papias lui-même, il n'a que des renseignements indirects. S'il avait eu avec lui des relations personnelles, si seulement il l'avait connu, il aurait trouvé quelque occasion de nous le faire savoir. Ce n'est certainement pas à lui qu'il fait allusion, lorsqu'il parle, au IVe livre de son ouvrage, de ce presbytre, dont il a suivi l'enseignement (presbyter dicebat presbyter reficiebat nos apostolorum discipulus disputabat). S'il avait été son élève, il en appellerait à ses leçons orales plutôt qu'à ses écrits. La formule par laquelle il le caractérise, ápxałog ávýp, indique qu'il lui est personnellement étranger, qu'il le considère comme un homme déjà loin dans le passé. Et c'est ce qui l'amène à en faire un disciple de Jean et un compagnon de Polycarpe.

et dicebat

Bien que la biographie de Papias nous soit presque entièrement inconnue, on peut déterminer avec assez de précision l'époque à laquelle l'auteur des Explications exerçait son activité littéraire. Dans un fragment de l'Histoire chrétienne de Philippe de Side,

1. Zahn, Forschungen, VI, p. 104. Dans la première épître johannique, les termes sont les mêmes, mais la relation qui les unit est tout autre ; il s'agit « du Verbe de vie », του λόγου τῆς ζωῆς.

« PoprzedniaDalej »