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S'il n'y a pas de verbe substantif en hébreu, comment donc alloit le discours dans cette multitude de circonstances où le grec, le latin, et surtout le françois, ne peuvent se passer de lui ?? Bergier l'a dit entre le verbe et l'attribut, on ne mettoit rien. Le verbe étre, dans les langues où il se rencontre, n'y sert guères que de copule et d'indication du temps: or, puisque les verbes hébreux n'ont point de temps, la langue n'avoit que faire du verbe-copule ou affirmatif.

S. XVIII. Examen de la proposition.

On enseigne en philosophie : « Toute proposition renferme » nécessairement trois termes, le sujet, le verbe, et l'attribut. >> Dans cette phrase, Dieu est grand, Dieu est sujet, grand >> attribut, est verbe. »

Je demande quel rôle joue le verbe étre dans la proposition. Y est-il mis pour exprimer l'être, l'existence? Non, dit Aristote; il n'y sert que de copule entre deux termes, de liaison entre deux idées, d'affirmation. Mais une copule, une affirmation, une exclamation, un souffle, n'est point un mot; et je demande encore si ce qui n'a pas de rang dans la grammaire, si ce qui existe à peine dans le langage et qui est insaisissable à la pensée, peut devenir le terme d'une proposition philosophique, parce qu'il se trouvera quelquefois représenté par un débris de verbe? Dans les langues grecque, latine, françoise, l'usage permet rarement, il est vrai, qu'une phrase aille sans verbe : mais il n'en est pas de même en hébreu et dans beaucoup d'autres langues, où l'attribut se joint au sujet sans verbe et sans copule. Quoi donc! y auroitil des règles de raisonnement et des principes de logique particuliers à tel peuple, nuls chez tel autre?

Alors le verbe étre est sous-entendu, réplique Aristote.Il est sous-entendu ! la raison est précieuse, et digne du Péripatétique: elle doit pleinement satisfaire des gens qui croiroient manquer d'air, si on les privoit de leur verbe substantif. Cela me rappelle l'ancienne horreur de la nature pour le vide. Et comment voulez-vous qu'on sous-entende ce que l'on ignore? est-ce aussi en vertu du principe que non datur vacuumin

rerum natura? Non; la substance et l'attribut existent unis sans intermédiaire; la pensée les voit de même; le langage, expression de la pensée, les énonce; et pendant des siècles cette simple énonciation tint lieu de copule, d'affirmation, de verbe ; le discours n'en avoit pas besoin.

Le verbe par excellence n'est donc pas plus nécessaire à la proposition qu'à la construction du verbe.

S. XIX. Définition du verbe.

Εω, eo, sert à conjuguer tous les verbes, rien n'est plus vrai; mais lorsque les grammairiens en ont conclu : « Done >> il n'y a qu'un verbe, et c'est le verbe substantif'>> ; et que les philosophes ont ajouté : « car pour être susceptible de mo» dification, il faut premièrement avoir l'existence, » les premiers ont posé un principe aussi faux en grammaire que l'argument des seconds est incontestable. Celui qui diroit: En grec et en latin, il n'y a qu'un seul véritable substantif, et c'est l'article, parce qu'il sert à décliner tous les noms ne raisonneroit pas moins juste.

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L'attributif haïah, w, eo, ayant revêtu des formes temporelles, on trouva commode de s'en servir dans toutes les occasions où l'on avoit besoin de faire connoître qu'une chose avoit été ou qu'elle seroit ; et malgré sa signification de vivre et de faire, on commença à lui donner pour sujets des noms de choses insensibles, et qui par elles-mêmes étoient dépour vues d'action et de mouvement. On s'étoit aperçu qu'une foule de substances, quoique inertes et sans vie, avoient néanmoins une manière d'exister qui étoit comme leur vie à elles : on ne pouvoit pas dire d'elles qu'elles fussent vivantes et agissantes, mais on ne pouvoit pas dire non plus qu'elles étoient mortes. Le verbe auxiliaire, par une extension métaphorique, passa donc à l'usage des sujets bruts et inanimés, et par une suite de cet usage devint le verbe métaphysique d'existence étre; tandis qu'en conjugaison il finit par ne plus marquer que les modifications de personnes, de nombre, de temps et de modes.

Mais les hommes se souvinrent long-temps de ce qu'avoit

été l'auxiliaire à la naissance des conjugaisons, et, ne pouvant lui rendre sa force primitive, cherchèrent du moins à l'imiter. qui d'abord avoit signifié j'exerce amitié, je fais l'amour, je vis en aimant, ne signifioit plus que j'aime : il falloit un nouveau moyen d'exprimer ce que l'auxiliaire ne disoit plus. Alors, au lieu du verbe ordinaire piɛt, il aime, on dit, conformément à l'ancienne valeur du veber,diateλı qid☎r, il vit aimant, il passe sa vie à aimer.» Au lieu de toi doxtï, que vous semble? εtorhoz, j'ai fait; on dit πs exus dñs, comment vous possédez-vous dans votre opinion; πornsas xw, je me trouve avoir fait. Dans la fable de l'Ane revêtu d'une peau de lion, Esope raconte que le Renard ἐτύγχανε γαρ αὐτοῦ προακηκουία, se trouvoit l'avoir entendu braire ; au lieu de dire simplement προακηκόει αὐτοῦ l'avoit entendu. Ces locutions sont familières en grec.

Dans le même but, le latin redoubloit le terme de l'action, et donnoit pour régime au verbe son propre radical: vivere vitam, dormire sommum, decernere decretum, etc. Toutes ces façons de parler sont des imitations, je dirois presque des réminiscences de l'énergie qu'avoit l'auxiliaire, lorsqu'il devint facteur de conjugaisons. En françois, vivre en béte, parler en sage, se conduire en jeune homme, sont encore autant de phrases construites sur l'ancien modèle, et qui représentent chacune un verbe, qui manque à notre langue.

Cependant l'énergie de l'auxiliaire n'a pas tellement disparu des verbes, qu'il n'en reste vestige. Qui ne sent, par exemple, la différence qu'il y a entre sapiens sum, et sapio, le premier n'exprimant que l'existence d'une qualité, le second une manière d'agir ? Posséder ne dit-il pas plus que étre propriétaire; appartenir, qu'étre le bien ou le sujet? Qu'on demande à une femme si j'ai de l'amour pour vous est la même chose que je vous aime. Il n'y a pas jusqu'aux verbes destinés à exprimer le repos, le silence, l'insensibilité, la mort, par conséquent l'absence de vie et d'action, qui n'aient conservé dans leur physionomie quelque chose de cette force singulière avec laquelle l'auxiliaire peignoit la pensée. Quiesco et quietus esse diffèrent autant que rien faire et ne rien faire, dans ces yers de La Fontaine et de Boileau :

La nuit à bien dormir, le jour à ne rien faire. LAF.
Passer la nuit à boire, et le jour à rien faire. BOIL.

On sait que l'académie ayant été prise pour juge de ces deux expressions, décida que la dernière étoit la meilleure, parce que rien faire étoit envisagé par le poète comme une espèce d'occupation. Taceo, faire silence, renferme l'idée de vie et d'action, puisqu'on ne peut dire sans figure d'une statue, d'un rocher, d'un monument, qu'ils se taisent; au lieu que l'on dit sans métaphore, un désert silencieux. Sto a été fait actif dans Jupiter Stator, et il est presque synonyme d'agir dans cette phrase, ad ostium sto et pulso. Jaceo enfin, jaceo lui-même emporte l'idée d'agir, puisqu'il signifie mot à mot faire le mort. (iac) en hébreu, c'est lancer, frapper, tuer; de là viennent' jacio, jeter, lancer; et jaceo, être jeté de son long, comme un homme mort.

On doit comprendre à présent, que lorsque j'envisage l'action dans le verbe, ce n'est pas dans la partie appelée radical; c'est dans la terminaison ou l'auxiliaire. C'est cette terminaison seule qui forme la ligne de démarcation entre le verbe et l'adjectif; c'est par elle que quiesco, sto, jaceo, etc. expriment l'idée d'agir aussi bien que laboro et curro, tandis que vivus, operosus, n'emportent pas plus, par la forme, l'idée de vie et d'action, que exanimis, piger, somnolentus, etc. Qu'est-ce donc que le verbe, ou attributif conjugué, par opposition à l'adjectif, ou attributif simple?

Le verbe est attributif d'action; l'adjectif est attributif d'état. Le verbe étre est attributif de temps et quelquefois d'existence, engendré des conjugaisons.

Demander si une langue a ou n'a pas de conjugaisons, c'est demander si dans cette langue les pronoms se placent après ou avant le radical.

Demander si une langue a des temps dans ses verbes, c'est demander si elle a ou n'a pas d'auxiliaire.

S. XX. Digression sur le participe et le verbe pronominal.

Le grec est riche en participes; au passif comme à l'actif il en a pour tous les temps: le latin manque du passé à l'actif, et du présent au passif.

Le françois est encore plus pauvre que le latin: il n'a qu'un présent, aimant ; et qu'un passé, aimé; et ce dernier sert de participe passif dans les verbes qui ont un passif.

Rien de plus opposé que les divers systèmes que l'on a imaginés pour expliquer cette dernière forme de participe, et pour rendre raison des différentes règles de concordance qui le régissent. MM. de Port-Royal, l'abbé Girard, Dumarsais, Duclos, Beauzée, Court de Gébelin, etc., sont tous divisés d'opinion; tous ils ont appuyé leur sentiment particulier sur des argumens plus ou moins plausibles; mais personne encore n'a eu la gloire de réunir tous les suffrages, et la question est aujourd'hui aussi chaudement controversée que jamais.

Si aimé est participe passif, pourquoi dans cette phrase, j'ai aimé cette personne, ne le fait-on pas accorder avec le nom qu'il est censé modifier, personne ? S'il est actif, pourquoi dans cette autre phrase, la personne que j'ai aimée, le met-on au féminin? Pourquoi cet accord monstrueux d'un sujet avec son régime? Et pourquoi suffit-il au participe d'être précedé ou suivi de son régime, pour en prendre ou non les modifications?

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Tout adjectif, verbe, ou participe doit s'accorder avec șon sujet pourquoi aimé n'est-il pas au féminin dans cette phrase, elle a aimé, comme dans cette autre elle est tombée. Tombée est-il adjectif passif? On n'oseroit le soutenir, car alors je demanderois quel est l'actif. Pourquoi le changement d'auxiliaire met-il une si grande différence entre des termes parfaitement identiques?

A tout cela, on n'a rien répondu de satisfaisant . Quelque

Ecoutons ce que dit à ce sujet l'abbé d'Olivet: « Si l'on demande » pourquoi le participe se décline lorsqu'il vient après son régime, et » qu'au contraire, lorsqu'il le précède, il ne se décline pas, je m'imagine qu'en cela nos François, sans y entendre finesse, n'ont songé qu'à leur plus grande commodité. On commence une phrase, ne sachant pas bien quel substantif viendra ensuite; il est donc plus commode, pour ne pas » s'enferrer par trop de précipitation, de laisser indéclinable un participe > dont le substantif n'est point énoncé, et peut-être n'est point prévu. »

Voilà tout ce que l'abbé d'Olivet, grammairien de renom, a imaginé de mieux pour expliquer l'énigme. Credat Judæus, non ego. Il faut

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