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trième; c'est la religion. Elle est sur-tout destinée à contenir, à régir et à consoler la portion des sociétés la plus nombreuse, la plus pauvre et la plus ignorante ; mais elle n'agit que peu ou n'agit point du tout sur les esprits cultivés et les têtes pensantes qui voyant clairement à travers le mécanisme de toutes les religions, la fausseté, les préjugés et les erreurs de convention dont on les a composées, ne les prennent que pour ce qu'elles sont, et ne les estiment que ce qu'elles valent, mais qui se font un devoir de les respecter quand elles sont douces et bienfaisantes, et que leurs ministres s'honorent d'être hommes: car il faut se souvenir que l'imagination est souvent une grande source de bonheur, et laisser à chacun la jouissance libre et entière des illusions qui ne font de mal à personne; il ne faut les combattre que quand d'audacieux et d'intolérans sectaires veulent, par les tortures, le fer et la flamme, les faire adopter par tout le globe comme des vérités géométriques, ou, ce qui revient au même, transformer les absurdités en raison, et contraindre les hommes de quitter celle-ci pour cellelà. Le penchant à la superstition est une sorte de maladie naturelle à l'homme né timide, ignorant, et crédule encore plus que curieux. Ce mal qui, sans doute, n'est pas incurable, semble ne pouvoir être guéri que par le progrès insensible des lumières devenues générales, et par la plus complette tolérance : qu'il soit donc permis à chacun d'être sot ou fou à sa manière, pourvu que personne n'ait à se plaindre de sa sottise et de sa folie; et peut

être que,

las de parcourir les divers tourbillons de l'erreur, les hommes finiront enfin par se reposer dans le temple de l'immuable vérité.

Ce sont-là les quatre puissances qu'emploient les gouvernemens pour former, comprimer ou diriger les passions et les facultés, pour agir à-la-fois sur le corps, l'esprit et le cœur des gouvernés : plus l'une d'elles est foible, plus les autres doivent être fortes, afin de maintenir toujours l'équilibre: et comme la bonté des gouvernemens (supposés vouloir le bien) dépend beaucoup de l'étendue de leur puissance ou de la longueur du levier qu'ils emploient pour faire exécuter un bon plan de législation, j'en conclus qu'aux trois premières forces précitées on peut raisonnablement ajouter la quatrième qui (quand on sait la concilier adroitement avec elles) ne peut qu'ajouter un nouveau degré d'étendue aux moyens donnés par la nature et la société aux chefs des nations pour bien

les hommes.

gouverner

La religion, maniée avec toutes les précautions convenables, me paroît donc pouvoir être, jusqu'à un certain point, un ressort utile dans la main des législateurs et des gouvernans, et peut-être seroitil impolitique de leur part d'ôter entièrement à la classe la plus nombreuse des sociétés cette source de bonheur et de s'ôter à eux-mêmes un des grands moyens qu'ils ont pour la civiliser, la gouverner et la rendre heureuse. Seulement il faut avoir soin de faire cadrer la religion avec l'état actuel des connoissances, l'opinion, l'éducation et les lois :

à

ainsi dans un état républicain où l'on est plus instruit, plus ami des lumières et de la liberté de penser, la religion doit avoir un air et un fond de raison qu'elle n'a point d'ordinaire dans les états despotiques. Sans doute une nation qui seroit toute composée de sages ou d'hommes de bon sens et sans préjugés n'auroit besoin d'aucune religion; le code de la nature et de la raison formeroit tout son culte religieux ; et les législateurs qui aspireroient à former un peuple raisonnable ne pourroient, sans contradiction, laisser subsister dans leurs institutions aucun genre d'erreur et d'absurdité. Ils doivent donc en élaguer ce tissu de fictions grossières formant la base commune des systêmes religieux. Mais lorsqu'au lieu d'un peuple neuf on a gouverner une nation vieillie, habituée à une certaine classe de préjugés, leur destruction ne peut être que lente, successive et graduée sur le progrès insensible des lumières. Il semble que les foibles yeux des mortels (dans l'état présent de l'espèce humaine) ne puissent soutenir l'éclat de la vérité et de la raison pure le jour leur est, pour la plupart, insupportable comme à ces oiseaux de nuit, qui ne se plaisent que dans les ténèbres, ou peuvent au plus supporter un foible crépuscule : ne pouvant changer tout-à-coup leurs yeux ou leur en donner d'autres, il faut les accoutumer à voir peu-à-peu le jour, en proportionnant la quantité de lumière à la foiblesse de leur vue. Les hommes naissent et vivent longtems brutes et barbares, il faut des siècles pour les civiliser et les éclairer; et presque tou

jours leur décadence, leur retour vers la barbarie sont aussi rapides que leur élévation avoit été lente.

Au reste il ne faut pas perdre de vue, dans aucun systême religieux, que s'il peut être bon de ne pas négliger tout-à-fait les plaisirs de l'imagination et de l'illusion, en donnant ou en laissant aux hommes l'espoir d'une autre vie pleine de délices pour les bonnes gens, et de supplices pour les méchans, il vaut mieux encore ne rien négliger pour leur procurer (provisoirement ) dans celle-ci tout le bonheur dont leur nature les rend susceptibles; et qu'il est tout au moins aussi sage de préparer, avant leur naissance, et de leur conserver durant le cours de leur existence, les matériaux et les instrumens de leur félicité viagère, que de s'occuper des moyens de les rendre éternellement heureux après leur mort.

Voici en quoi je trouve qu'une religion douce et sage peut être utile aux hommes. La tête du paysan, de l'artisan, et en général celle de l'homme simple et peu instruit, ne renferme pas, à la vérité, un grand nombre d'idées, mais en revanche son cœur a souvent une assez grande capacité de sentimens, un fond de desirs vagues, une inquiétude qui a besoin d'être fixée (1), les hommes ont en général

(1) Peut-être aussi cette inquiétude n'est-elle due qu'à l'importance, à la vogue que les ministres de la religion et du culte out su donner par-tout à leur ouvrage, en courbant peu-à-peu l'esprit et le cœur de l'homme sous le joug des préjugés religieux, et un systême d'habitudes devenues sacrées avec le tems; peut-être sans cet artifice, qui est venu à bout de lui faire divi

beaucoup d'imagination, fort peu d'intelligence, une grande passion pour le merveilleux, et fort pen

niser des fantômes, éprouveroit-il moins le besoin de se faire des dieux, et d'adorer des chimères, car cette maladie de l'imagination due en grande partie, ce me semble, à l'ignorance, à l'extinction du bon sens, etc., ne tourmente guère l'enfant, le sauvage et l'homme instruit ; l'un se livre à ses jeux, l'autre à la chasse, à la pêche, etc.; l'étude et le travail remplissent tous les momens du troisième. Mais les personnes oisives ou peu occupées, dont la tête est vide d'idées et le cœur de sentimens, n'ont pas d'autre res source que celle de se jetter à corps perdu dans le pays des fantômes (et voilà pourquoi presque toutes les femmes laides ou vieilles sont dévotes). Tous les hommes avides du merveil→ leux aiment plus ou moins à faire des châteaux en Espagne; et d'habiles imposteurs ont su, dans tous les tems et dans tous les pays, mettre à profit et renforcer singulièrement ce penchant naturel, qui a d'autant plus d'activité, que l'on est plus ignorant et plus oisif; l'on veut au moins rêver le bonheur dont on ne peut jouir; le monde imaginaire est bien plus étendu que l'univers réel, on s'y sent plus à son aise; d'ailleurs tout le monde a la fureur d'expliquer, tant bien que mal, ce qu'il ne connoît pas ou ne comprend pas. Eh puis on a peur de tout quand on est ignorant. Voilà ce qui a porté les premiers hommes à semer des dieux sur tout le globe ( primus in orbe deos fecit timor). C'est au milieu des tempêtes que le nocher les reconnoît et les invoque, il les oublie avec le calme qui ramène la sécurité. Nés parmi les convulsions d'un globe nouvellement organisé; longtems spectateurs et victimes de ses fréquentes secousses, des tremblemens de terre, des volcans, des affaissemens, des inondations, des tempêtes de l'air et des eaux, etc., en un mot de tous ces grands phénomènes contre lesquels ils sentoient que la force humaine ne peut rien; ne sachant à quel moyen recourir pour empêcher les terribles effets d'une force supérieure et inconnue, ils ont dû naturellement s'adresser à cette force même qu'ils voyoient répandue dans tout l'univers, et employer pour l'appaiser, la flé

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