Obrazy na stronie
PDF
ePub

Je ne m'étendrai donc pas davantage pour démontrer que les lumières bien dirigées sont la source de

commenté l'Apocalypse; le célèbre, l'excellent, l'universel géomètre Euler étoit, dit-on, crédule et dévot; Loke est souvent théologien, et le sage Condillac laisse de tems en tems percer le langage du prêtre à travers celui du philosophe. Que d'erreurs, de contradictions, de paradoxes et de chagrins, Jean-Jacques se seroit épargné, s'il eût mieux connu sa tête, s'il eût été plus instruit, et qu'il eùt pris la peine d'analyser ses opinions comme peut le faire un lecteur impartial et assez éclairé. De quelle im portance n'est-il donc pas pour l'homme de génie qui veut éviter de pareils écueils de commencer par acquérir une notion générale et très-exacte de toutes les sciences, afin de savoir au juste ce qui est du ressort de la raison, d'avec ce qui appartient aux fictions poétiques, à la mythologie et à la fable, afin de connoître à fond son esprit, comme un bon ouvrier connoît l'instrument dont il se sert et de se défier de l'influence de l'habitude et des préjugés de la première éducation. Car je ne puis faire aux grands hommes précités l'injure de croire qu'ils aient voulu employer leur génie et leur nom à consacrer des absurdités, ou à immortaliser des préjugés, autrement ce seroitlà, selon moi, une grande tache à leur gloire. On peut par amour pour la paix et le repos, éviter de choquer certains préjugés, mais c'est une bassesse de la part d'un philosophe de trahir à-la-fois sa conscience et la vérité en employant sa plume à les affermir et à les défendre.

L'homme qui se propose d'écrire sur les grands objets de la philosophie et de traiter à fond ces belles questions qui intéressent plus ou moins tout le genre humain, doit réunir à une tête vaste, à beaucoup d'instruction, cette disposition heureuse dont parlent Tacite et Salluste sine ira et studio, quorum causas procul habeo, a spe et metu animus liber erat : il est bon et beau de prendre pour devise: vitam impendere vero, mais il faut ensuite avoir grand soin quand on écrit de ne point la perdre de vue.

:

Croiroit-on, si la plupart de nos journaux (an 6, an 7, an 8, etc.) n'en faisoient foi, qu'un certain Recreim, connu d'abord par

la richesse et du bonheur des particuliers et des nations la chose est assez prouvée par le fait, Far la

:

quelques écrits qui ne sont pas tout-à-fait dépourvus de mérite › ait décrié publiquement les sciences et les arts, et déclamé toura-tour contre la peinture, la sculpture, la musique, la géométrie et l'astronomie, etc.; qu'il n'ait pas même respecté Newton et les hommes illustres ses disciples ou ses égaux; qu'en un mot il ait pris plaisir à proclamer lui-même son ignorance, en voulant raisonner sur des choses qu'il n'entendoit pas, et qu'entend parfaitement le dernier des élèves, je ne dis pas de l'Ecole polytechnique qui souvent renferme des gens de génie, mais de nos écoles départementales, et de presque toutes les écoles européennes où la vraie science est enseignée et honorée. Cette manière de vouloir s'illustrer ressemble trop à celle du fameux Erostrate, et il me semble que ceux qui l'emploient sont plus faits pour loger aux Petites-Maisons qu'au temple de l'immortalité.

[ocr errors]

Un autre fou du même genre qui, sans doute, a voulu en déclamant aussi contre les philosophes, se consoler du malheur de ne pouvoir les comprendre, nous a gratifiés d'une nouvelle physique appuyée sur le texte de la Genèse et le merveilleux systême des causes finales. Il ne voit par-tout qu'ordre, convenance, harmonie, consonance, contrastes, etc.; tout en nous parlant continuellement de lui, de ses malheurs, en se plaignant amèrement de l'injustice, de la méchanceté et de l'ingratitude des hommes, il veut nous persuader que tout est bien, trèsbien sur notre petit globe; que l'animal homme est l'enfant chéri, le mignon de la nature, et que les terres et les mers sc sont façonnées et arrangées tout exprès pour lui procurer la plus agréable et la plus commode des demeures mais où ce grand homme excelle, c'est dans son explication des marées. Les grandes vérités de l'astronomie physique mises à la portée des esprits les plus communs ne valent rien pour lui; l'entendre il faudroit presque brûler Newton, Kepler, Euler, d'Alembert et tous nos grands géomètres modernes qui ont donné à la théorie

supériorité évidente qu'a l'homme instruit et bien élevé sur l'ignorant et le rustre, par l'exemple jour

du systême du monde le plus haut degré d'évidence; il est clair que ces bonnes gens-là ne savoient pas étudier la nature.

L'homme dont je parle paroît avoir beaucoup voyagé, mais il semble qu'il n'ait regardé et vu les objets qu'avec les yeux de Malbranche, qui avoit le bonheur de voir tout en Dieu. On voit d'ailleurs presqu'à chaque phrase de son livre ( et il a la naïveté de nous en avertir lui-même), qu'excepté en botanique, il est fort ignorant dans les sciences: on peut donc l'inviter à en étudier les premiers élémens; il verra que ce beau pays de l'intelligence et de la raison humaine mérite bien au moins qu'il y fasse un voyage avant de le décrier. On l'invite encore à lire (si toutefois sa haine pour les philosophes le lui permet) le roman philosophique de Candide, par un de nos plus beaux génies du dixhuitième siècle, qui n'aimoit pas les Welches, et qui ne parloit de Newton qu'avec un profond respect. Ne sutor ultra crepidam; quand on n'est propre qu'à faire des romans, il faut se borner là, et se contenter de l'avantage d'amuser les hommes quand on n'a pas le talent de les éclairer.

[ocr errors]

Un troisième personnage, grammairien distingué, mais qui ne dédaigne pas pour se faire valoir de recourir aux petites ruses de l'hypocrisie, de l'intrigue et du charlatanisme, qui de plus a le malheur de se croire le premier métaphysicien du monde, et de décrier des gens de beaucoup supérieurs à lui, paroît s'ètre imaginé que le titre de philosophe n'étoit pas par lui-même assez beau, et qu'il étoit bon de l'embellir par un langage et une conduite dignes d'un capucin; mais je doute fort que le fanatisme, j'ai presque dit le cagotisme qu'il a affecté avec tant d'ostentation, ait réussi à autre chose qu'à lui enlever l'estime des hommes faits pour estimer, et les seuls dont le suffrage soit flatteur pour un homme d'un vrai mérite. On n'habite pas en même tems deux pays antipodes, et l'on ne peut être à-la-fois théologien et philosophe. Ce sont-là deux rôles incompatibles, il faut nécessairement opter.

C'est avec une profonde douleur que le vrai philosophe, l'ami

nalier de cette foule d'individus qui ne doivent l'acquisition, la conservation ou l'accroissement de leur

sincère des progrès de l'esprit humain, voit des hommes à talent encens r l'erreur, caresser des préjugés qui ont fait si longtems Je malheur de l'espèce humaine, et en cherchant à corrompre et à égarer l'opinion, ont toujours l'air de regretter le règne ténébreux de la Scholastique et la doctrine des absurdités. Qu'est-ce que cette étrange production qu'on vient de nous donner pour la Philosophie de Kant? Comment dans cet écrit, plus digne du treizième siècle que du dix-neuvième, a-t-on pu insulter aussi effrontément Bacon, Loke, Condillac, Voltaire, Helvétius, etc., et tous ces hommes qui ont fait ou qui font l'honneur de leur espèce et la gloire de l'esprit humain? Pourquoi substituer au langage simple et clair de la vérité et du bon sens, à l'ordre et à la méthode qui caractérisent tous les bons ouvrages philoso phiques, et sur-tout ceux des écrivains français (l'Europe savante et pensante en convient), ce désordre, cette foule d'expressions barbares, d'assertions fausses, cet inutile échafaudage de termes ( empirisme, dogmatisme, rationalisme, transcendentalisme, etc.) qu'Horace appeloit avec tant de raison sesquipedalia verba, et qui rendent l'ouvrage en question aussi dégoûtant par la forme qu'il l'est par le fond, composé d'un ramas de chapitres décousus, surchargé de citations, et d'injures trèspeu philosophiques contre les seuls vrais philosophes.- Si c'estJá la philosophie allemande ( ce que j'ai peine à croire), combien je rends graces au ciel d'être Français (*).

Au reste je pense et je crois avoir prouvé de reste qu'il ne peut, qu'il ne doit y avoir qu'une bonne philosophie (parce qu'il n'y a qu'une nature, qu'une raison, qu'une vérité, qu'une géométrie ). La mienne et celle de mes compatriotes, dignes du nom de philosophes, n'est donc pas plus française, qu'anglaise, suédoise,

(*) Le C. Degerando a, dit-on, pris la peine de réfuter l'ouvrage dont il s'agit; en ce cas, je trouve qu'il lui a fait bien de l'honneur. Nota. Je ne connois personnellement aucun des individus dont je parle ici; l'amour seul du vrai m'anime, et seul il m'animera toujours.

fortune, qu'à leur industrie, à leurs talens, à leur esprit enfin, et par celui de tous les peuples civilisés

italienne, etc., elle n'est que humaine : elle doit être de tous les pays et de tous les siècles, et durer autant que l'organisation actuelle de l'homme sur laquelle elle est fondée. J'aurois donc pu intituler mon livre : Elémens de la vraie philosophie ou Fondemens des sciences et de la raison humaine. Et c'est à ce a revient le titre qu'il porte.

que

Il ne faut pas profaner l'éloquence et l'art d'écrire en les em-ployant à semer dans les têtes humaines des erreurs et des préjugés. Rien de plus dangereux que tous ces livres qui offrent à l'esprit l'alliage d'un peu de vrai avec une immense quantité de faux. De pareils écrits ne sont propres qu'à faire rétrograder là raison humaine, à nous replonger dans l'ignorance et la barbarie. Heureusement l'opinion publique commence à être assez formée en Europe pour faire justice de pareilles productions ; opinionum commenta delet dies, naturæ judicia confirmat: par malheur aussi le nombre des mauvais juges et des charlatans est encore incomparablement plus grand que celui des bons esprits, des vrais philosophes ; et peut-être tout gouvernement sage et ami du progrès des lumières devroit-il nommer dans chaque pays une commission formée des premiers savans, des meilleures tètes pensantes, pour empêcher la circulation des mauvais écrits à-peu-près comme on défend les poisons; ou du moins en publiant comme un contre-poison le tableau des faussetés qu'ils renferment, mettre le public, et sur-tout la jeunesse, en garde contre eux : c'est ainsi que les papiers publics préviennent les citoyens d'un état qu'une main ennemie de la société a introduit dans la circulation de fausses pièces de monnoie ou de faux billets de banque, en indiquant les caractères auxquels on peut les reconnoître. Nous avons eu assez longtems des censeurs pour empêcher le bon sens, la justice et la raison de circuler, ne pourrions-nous pas en établir pour arrêter le cours de l'erreur des préjugés et du mauvais goût.

[ocr errors]

Quoi! nous entrons dans le dix-neuvième siècle, et malgré ecite foule de grands hommes qui ont éclairé et illustré le siècle

« PoprzedniaDalej »