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Celui-ci, regardant Claude comme un adversaire indigne de lui, dit à Toinon: Monseigneur vous attend, mademoiselle; il y a un carrosse à la porte.

Toinon s'enveloppa dans une mante grossière, et Taboureau prit son chapeau, mais le page dit à Claude-Monseigneur n'attend que mademoiselle.

- C'est possible, mon cher monsieur, mais j'ai à parler à Villars, il me connaît de longue date, il connaît aussi mes louis, qu'il a, tête-bleue, empochés plus d'une fois au jeu. Or, je compte sur sa bourse pour me tirer de cette affreuse peau de bête dans laquelle je suis défiguré et qui m'a valu vos dédains, mon cher petit seigneur, ajouta Claude avec une humilité bouffonne.

Voyant l'irrésolution dé Gaston, la Psyché lui dit fermement : M. Taboureau a aussi des renseignemens précieux à donner à M. le maréchal, et je vous prie, monsieur, de permettre qu'il m'accompagne.

-Soit, mademoiselle, dit le page.

Et la Toinon sortit, suivie de Taboureau qui, comme aîné de Gaston, passa sans façon devant lui pour gagner le carrosse qui les conduisit tous trois chez M. de Villars.

(La suite au prochain n°.)

EUGENE SUE.

Critique Littéraire.

DE L'ESCLAVAGE MODERNE,
PAR M. F. DE LA MENNAIS.

Le dernier écrit de M. de La Mennais est une preuve nouvelle des écarts auxquels peut se laisser entraîner, malgré son étendue et sa puissance, un esprit fourvoyé qui s'obstine. De l'Esclavage moderne, dit M. de La Mennais, et il ne parle pas, comme on pourrait le croire, du Nord de l'Europe ou de l'Amé rique: il parle exclusivement de la France, comme s'il y avait en France des esclaves ailleurs que dans son imagination, comme si nous n'avions pas définitivement conquis, au prix de larges flots de sang, la liberté, ce fruit de la croix mûri par les siècles, comme si la révolution française était un conte inventé à plaisir. De l'esclavage moderne! à quoi donc aurait servi cette permanente et laborieuse conspiration pour la liberté qui remplit six cents ans de l'histoire de France, vaste et pathétique drame dont le prologue est à la date du douzième siècle, et le dénouement à celle du 4 août 1789? La féodalité est donc toujours debout au milieu de nous, ou tout au moins son esprit anime puissamment l'époque actuelle; la monarchie absolue n'a pas remplacé le système féodal; il n'y a pas eu de dix-huitième siècle! Qu'est-ce que la Constituante? et le Code civil? et la Charte? Toutes ces réalités palpables et éclatantes sont non avenues pour M. de La Mennais, qui d'une main sûre grave ces mots au frontispice de son livre: De l'Esclavage moderne!

Le titre est clair et significatif; il y a cet avantage avec M. de La Mennais, qu'on sait d'abord à quoi s'en tenir. Il ne cache pas sa pensée dans des nuages, il l'expose au grand jour ; il n'imite pas ces bravi de l'intelligence qui portent

leurs coups dans l'ombre, il combat au soleil. Les demi-mots perfides, les réticences calomnieuses ne sont pas ses armes, il parle haut et ferme. Qu'il soit à la tête d'une bonne cause, ou à la remorque d'une cause injuste et perdue, il se jette dans la mêlée avec la même ardeur généreuse, et dans son oubli de lui-même, il ne songe guère à se réserver des moyens de retraite ; ce n'est point un guerillero, il ne connaît pas les embuscades; c'est un vrai soldat, il reste toujours à découvert. Certes, je n'hésite pas à placer dans mon estime, au-dessus de l'homme qui est dans la vérité, mais qui n'a pas le courage de son opinion, l'homme qui se trompe, mais qui a le courage de son erreur. Chez celui-ci il n'y a qu'illusion d'esprit, chez l'autre il y a manque de cœur.

Il faut reconnaître que c'est avec courage et désintéressement que M. de La Mennais se trompe, et que de bonne foi il offre l'étrange et désolant spectacle d'une ame honnête qui donne les plus funestes conseils, d'une vaste intelligence qui défend l'erreur. Les preuves de cette double contradiction abondent dans le livre de l'Esclavage moderne.

L'esclavage est la destruction de la personnalité humaine dont la liberté est l'exercice. Appartenir à un autre, si grand ou si bon qu'il soit, c'est être esclave. S'appartenir, si pauvre, si malheureux qu'on soit, c'est être libre. L'esclave est un instrument, l'homme libre est une intelligence; l'esclave est une chose, l'homme libre est une ame. La différence entre ces deux états est radicale, c'est être ou ne pas être. Or, on n'arrive pas d'un bond du néant à la vie. On est toujours avant de naître; ce qu'il y a de plus immatériel en ce monde, la pensée elle-même, n'est-elle pas avant d'éclore? Mais, si pour préparer son avènement à la vie, quelques mois dans le sein maternel suffisent à l'homme qui ne fera que passer sur la terre, il faudra des siècles de préparation à une société qui doit se prolonger à l'infini. Ainsi, il a fallu des siècles pour que l'ilote devînt le prolétaire, pour que l'instrument devînt une intelligence, pour que l'esclavage antique devînt la liberté moderne. Telle est la loi de l'histoire : l'esclave conquiert ses droits un à un, et ce n'est pas par prudence qu'il agit ainsi, c'est aveuglément, sous la force des choses. L'esclavage abrutit, et l'esclave n'a pas d'abord l'intelligence de ses droits; sans songer à l'avenir, sans rien demander au ciel ni aux hommes, si ce n'est un peu moins de travail, il supporte longtemps le joug avec patience. Cependant un jour vient où il sent que la chaîne matérielle ou la chaîne morale le blesse trop vivement à telle partie de son corps ou de son ame; il murmure alors, menace, se lève, brise de la chaîne l'anneau qui le blesse, et, cela fait, rentre dans le repos. De si mince valeur que soit ce résultat du moment, cette victoire est immense pour l'avenir. Il est ouvert, le chemin qui mène à la liberté. La possession d'un droit forcera l'esclave à remarquer l'absence d'un autre, à lui en donner le désir, à lui en inoculer le besoin, de telle sorte que, les droits étant corrélatifs, l'un engendrant l'autre, il parviendra à les comprendre tous dans leur ensemble et leur virtualité, et par conséquent, ce qui est moins difficile, à les conquérir. Mais l'initiation et la lutte dureront des siècles, et l'histoire, quoiqu'elle puisse à si juste titre porter le nom de martyrologe, ne dira pas tout ce que cette initiation et

- cette lutte auront coûté de larmes et de sang. Eh bien! ce résultat immense obtenu, lorsque tous les droits seront conquis, qu'il ne subsistera plus aucune trace de l'antique servitude, que la liberté et l'égalité seront inscrites dans les lois et régneront dans les mœurs, que la démocratie, selon une parole fameuse, coulera à pleins bords, comme nous serons toujours en société, et qu'il y aura toujours dans les sociétés humaines des gens qui travailleront beaucoup pour recueillir peu, et des gens qui travailleront peu pour recueillir beaucoup, en un mot, des riches et des pauvres, un homme à la parole brûlante, un prêtre de l'Évangile, se lèvera et dira à ces derniers : « L'esclavage antique n'a fait que se transformer, et celui qui pèse sur vous est plus dur que l'antique servitude. Votre volonté est esclave, si votre corps ne l'est point; les chaînes et les verges de l'esclave moderne, c'est la faim! »

C'est l'auteur de l'Esclavage moderne qui parle ainsi.

« La liberté politique, dit l'auteur de l'Esprit des Lois, ne consiste pas à faire ce que l'on veut. Dans un état, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être pas contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir. » Si le prolétaire peut faire ce qu'il doit vouloir, s'il n'est pas contraint de faire ce qu'il ne doit pas vouloir, il est libre aux yeux de Montesquieu; cela ne suffit pas pour le rendre libre aux yeux de M. de La Mennais, qui établit une distinction entre la volonté et le corps, mais qui n'a pas vu que son raisonnement, si on le presse, conduit à la négation de la liberté humaine. En effet, quel homme, grand ou petit, seul ou chargé de famille, n'est pas forcé moralement de faire tel acte à la place de tel autre en mille occasions de sa vie? Est-ce que, selon l'auteur de la Journée du Chrétien, les causes déterminantes détruisent la liberté de l'homme? Le premier tyran contre lequel il faudrait alors se révolter, ce serait Dieu. Avec quelle force M. de La Mennais repousserait cette conséquence impie! Dès-lors, comment expliquer cette contradiction: le même raisonnement ne peut pas être faux dans l'ordre moral et juste dans l'ordre politique. Hélas! à quoi sert le génie, s'il n'est pas aussi clairvoyant que le bon sens?

Dans ce court écrit, M. de La Mennais met en présence le riche et le pauvre, sous les noms de capitaliste et de prolétaire. Il détaille une à une toutes les misères du pauvre, et une à une toutes les jouissances du riche, et il exagère si bien dans l'intérêt de sa thèse, qu'il arrive peu à peu à représenter l'existence du pauvre comme un sombre enfer, et celle du riche comme un riant paradis. Son imagination ardente et chagrine fait du moindre abus une monstruosité, du moindre mal une plaie immense, prend l'exception pour la règle et maudirait, je crois, tous les juges du monde, parce qu'un tribunal aurait une fois condamné un innocent. M. de La Mennais ne discute plus maintenant sans s'emporter; l'exagération est devenue l'état habituel de son esprit, et la colère l'état habituel de son ame. Cependant l'exagération est peu philosophique et la colère peu chrétienne; mais quand on méconnaît toutes les idées de gouvernement, n'est-on pas en dehors des voies de la philosophie et du christianisme?

M. de La Mennais ne s'est pas servi, cette fois, de la langue biblique et de l'apologue oriental: il a donné à son petit livre plutôt la forme du traité que celle de l'ode, et il semble s'être surtout appliqué à établir les faits. Qu'on ne se laisse pas prendre à l'apparence! pour n'avoir pas les allures extérieures de la poésie, le livre n'est pas plus vrai au fond. Eh! qu'importe que M. de La Mennais déduise avec méthode et clarté, s'il ne déduit si savament que des illusions? Je me trompe, il importe beaucoup; l'auteur est plus dangereux; on donne plus facilement sa confiance à un philosophe qu'à un poète; l'extérieur grave impose aux esprits superficiels. Pour peu qu'on y soit intéressé d'ailleurs, on ne peut trouver que parfaitement juste un raisonnement qui se présente en syllogisme. Dans son auditoire passionné, M. de La Mennais trouvera une foi entière à ses raisonnemens basés sur des faits qu'il a créés à son usage; il flatte et il raisonne, il ne peut pas avoir tort. On le croira sur parole, lorsqu'au lieu de prendre le prolétaire tel qu'il est dans sa famille, dans son atelier, sur la place publique, il le fait passer dans des sphères fantastiques, comme dans des cercles ardens de quelque infernale comédie d'un Dante inconnu; lorsqu'il montre le prolétaire partout et toujours en proie à d'abominables injustices; lorsqu'après avoir prouvé que, faites par les hommes du privilége, les lois sont toutes dirigées contre lui, il place au bout de toutes ses actions, comme des conséquences inévitables, la faim, la prison ou la mort!

Après avoir contemplé ces tableaux étranges, on éprouve le besoin de se recueillir pour bien se convaincre qu'il s'agit de la société que nous avons sous les yeux, de la civilisation moderne, et non pas de Rome et de Sparte. C'est bien de ce siècle que parle M. de La Mennais, de ce siècle où tous les pouvoirs sont si fortement imprégnés de démocratie, où la presse exerce un contrôle si étendu, et pénètre avec ses mille regards dans tous les détails de l'administration de la fortune publique et de la justice, où la publicité est la sauve-garde de la liberté, car le moindre citoyen dont les droits sont blessés a dans le journal un vengeur officiel et retentissant. Singulier siècle d'esclavage! Toute l'erreur de M. de La Mennais consiste en ceci; il prend pour l'esclavage la pauvreté, fait d'une trop grande évidence, fait malheureusement indestructible, et, sous le coup de cette méprise, il dirige contre la société moderne un acte d'accusation qui frappe toutes les sociétés humaines passées et futures.

L'orateur qui doit se surveiller avec le plus d'attention, et exercer sur ses paroles la critique la plus sévère, est celui qui s'adresse à l'auditoire le plus impressionnable et le moins capable de le contredire. C'est dans ce sens qu'au dire de la sagesse latine, un grand respect est dû à l'enfance. Ce respect qu'on doit à l'enfance, pour le même motif on le doit au peuple. Un livre à l'usage du peuple ne doit pas être jugé abstraitement, il doit l'être surtout dans ses résultats. Mais l'excitation fébrile qui s'est emparée de M. de La Mennais et le pousse sans cesse en avant, ne lui permet pas de considérer la portée de sa parole. Lorsque Jean-Jacques Rousseau eut un jour la fantaisie singulière de signer un de ses écrits: J.-J. Rousseau jusqu'à ce jour homme civilisé et

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