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camisards, sera parvenue à leur échapper. Ses renseignemens peuvent être très précieux. Pendant que vous allez la recevoir, monsieur le maréchal, permettez-moi de vous quitter; j'ai à terminer mon courrier. Je vais réfléchir à ce que vous m'avez dit. Sans doute, la soumission de Cavalier serait d'une grave importance. Malheureusement, je ne vois pas à qui on pourrait confier le soin de négocier cette affaire si délicate. Pourtant j'y songerai.

A bientôt, monsieur de Bâville, dit cordialement M. de Villars; maintenant que je vous ai vu, je ne doute plus du succès de notre entreprise.

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Depuis que Toinon et Taboureau, guidés par Isabeau, étaient tombés entre les mains des camisards, on les avait gardés prisonniers dans une des inaccessibles retraites que les révoltés possédaient au milieu des montagnes. Taboureau s'était dit si riche, il paraissait d'ailleurs si peu dangereux, que les fanatiques le considérèrent comme un ôtage assez précieux à conserver; ainsi que Toinon, il fut confié à un nouveau chef nommé Caveyrac, spécialement chargé d'organiser, et, au besoin, de défendre les magasins et les ambulances des rebelles, tandis qu'Ephraïm, Cavalier et Roland commandaient les expéditions offensives.

Toinon et Taboureau étaient captifs depuis un an, lorsqu'un camisard, séduit par leurs promesses, aida leur évasion et les guida jusqu'aux portes de Montpellier.

Apprenant l'arrivée du maréchal de Villars qu'elle avait autrefois vu très souvent au théâtre de l'hôtel de Bourgogne et à l'Opéra, car le maréchal était grand amateur de comédies et de ballets, Toinon écrivit à M. de Villars, afin d'obtenir une entrevue.

Elle voulait lui donner des renseignemens sur le sort de Tancrède, ne doutant pas que le maréchal ne fît tout au monde pour sauver M. de Florac.

Nous conduirons donc le lecteur dans une modeste auberge de Montpellier, où la Psyché et son sigisbé avaient été reçus, non sans d'assez grandes difficultés, tant était grande leur apparence de misère. Retirés dans une sombre petite chambre, Toinon et Taboureau attendaient impatiemment la réponse du maréchal. La Psyché était pauvrement vêtue d'une vieille robe de gros cadis brun et d'une sorte

de bavolet de laine rouge. Mais grace à son élégance naturelle, Toinon, malgré le délabrement de ce costume, paraissait toujours char

mante.

Ses jolis cheveux châtains à reflets dorés, au lieu d'être coquettement frisés, se séparaient en bandeau sur son front de neige. Cette coiffure donnait un caractère candide et presque enfantin à sa piquante physionomie. Ses joues rondes, un peu colorées par le soleil du Languedoc, n'avaient rien perdu de leur fermeté unie et satinée. Ses grands yeux gris-bleu s'ouvraient toujours bien brillans sous leur frange de longs cils noirs, quoique la pauvre enfant eût souvent, souvent pleuré,

Cette jeune fille, habituée à toutes les élégantes recherches du luxe, loin de s'étioler pendant sa captivité, s'était, au contraire, pour ainsi dire, retrempée dans l'existence nomade qu'elle avait menée pendant un an au milieu de la solitude.

Taboureau, vêtu d'une casaque de peau de chèvre presque en lambeaux, de hauts-de-chausse de serge et de vieilles guêtres de cuir, avait pris un nouvel embonpoint.

Grace à sa vie aventureuse et aux dangers qu'il avait courus, le bon sigisbé semblait beaucoup plus résolu qu'il ne l'était auparavant. Sa figure souriante s'épanouissait au bonheur d'être libre.

Savez-vous, tigresse, dit-il à la Psyché, qui, faute de glace, tåchait de se mirer dans un des carreaux verdâtres de la fenêtre, pour lisser ses cheveux, savez-vous que c'est un grand bonheur pour nous que l'arrivée du maréchal de Villars? J'ai vingt fois fait sa partie de lansquenet et de quinola, chez Langlé (1) ou chez moi, par parenthèse; ce vaillant maréchal m'a gagné, dans un hiver, plus de cinq à six mille pistoles. Tête-bleue! ce sont là de ces souvenirs qu'on ne perd pas! Je vais tout bonnement lui demander une centaine de louis, acheter une chaise, car le diable sait ce que Mascarille et Zerbinette auront fait de la nôtre, et dans huit jours nous serons à Paris. Eh bien ! maintenant, Toinon, maintenant que nous voilà hors des griffes de ces misérables, il faut bien vous l'avouer, je ne regrette pas extrêmement cette année de misère. Peste! la vie va me paraître furieusement douce à cette heure. Quand je pense que je vais coucher dans un bon lit, manger sur une nappe avec de l'argenterie, porter une perruque, des dentelles, aller à l'Opéra, à l'Hôtel de

(1) Homme de peu, mais que son gros jeu et ses excellens soupers avaient mêlé au plus grand monde, et qui était admis au jeu du roi.

Bourgogne, retrouver mes soupers de l'ordre des Côteaux, ma belle maison de la rue Sainte-Avoie, ma salle de bains, mon jardin, ah! tenez, tenez, Psyché, il me semble que je vais jouir de toutes ces choses pour la première fois. Et, je crois, morbleu, que je dois vous remercier de m'avoir mis à même de trouver l'existence plus adorable que jamais!

- Mon ami, que vous êtes généreux et dévoué! dit Toinon en serrant les mains de Taboureau dans les siennes avec attendrissement. Durant cette année de peine et de dangers, jamais vous ne m'avez fait un reproche, jamais une plainte, jamais un mot d'amertume; et pourtant, combien vous avez souffert à cause de moi? que de privations? que de périls?

Et où diable vouliez-vous que je prisse le courage de vous gronder, s'il vous plaît! quand je vous voyais souffrir avec tant de résignation. Est-ce qu'une grosse panse comme moi pouvait se permettre de souffler seulement, quand vous, si délicate, si gentille, vous vous montriez brave comme un petit lion. Jamais ne songer à vous, mais toujours à ce malheureux Florac, dont le sort mystérieux et terrible est sans doute épouvantable, d'après le peu que nous en savons. Allons donc, allons, Psyché! il faudrait être un monstre pour n'être pas touché de votre conduite, et vous savez que Claude Taboureau a quelque chose là qui bat généreusement quand il s'agit de vous. →→→ Et le sigisbé appuya la main de Toinon sur son cœur avec émotion. Excellent homme! s'écria Toinon en attachant sur Taboureau des yeux baignés de larmes. Puis elle reprit d'un air accablé, qui disait tout son chagrin de ne pouvoir répondre par son amour au dévouement de Taboureau: Ah! tenez, Claude, croyez-moi, je suis bien malheureuse.

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Taboureau la comprit. Sa bonne et grosse figure prit une expression triste et fâchée. Et qui vous dit, mademoiselle, s'écria-t-il, que j'agis d'une manière intéressée! Depuis un an vous ai-je donné le droit de penser que je vous reprochais, même à part moi, de ne pouvoir pas m'aimer? Vous ai-je dit un mot de mon amour, dont tout le premier j'ai reconnu le ridicule et la vanité?

Claude, mon ami, ne me grondez pas.

- Et je veux vous gronder, moi, mademoiselle, car vous le méritez. Vous calomniez un honnête homme, qui s'est attaché à vous comme un frère. Est-ce que vous croyez, mademoiselle, s'écria le sigisbé de plus en plus irrité, et comme s'il eût fait à Toinon une sanglante récrimination, est-ce que par hasard vous croyez que vous

n'êtes pas assez intéressante par la folle passion qui vous consume, par votre opiniâtre dévouement, par votre courage, pour qu'on ne puisse s'attacher à vous sans être votre amoureux, s'il vous plaît?

Claude, Claude, eh bien! j'ai eu tort. Je ne voulais pas vous affliger. Pardonnez-moi!-Et elle appuya ses petites mains blanches d'un air suppliant sur le bras de Taboureau.

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Hum! hum! dit le sigisbé en fronçant ses gros sourcils avec un reste de courroux, ce que j'ai fait, je l'ai fait parce que ça m'a plu, entendez-vous, mademoiselle? Vous auriez été borgne, bancale et bossue que j'aurais agi tout de même. Apprenez cela.

A cette exagération, la Psyché ne put s'empêcher de sourire à travers ses larmes. Elle dit à Taboureau, d'un air coquet, en redressant sa jolie taille comme une couleuvre qui se joue au soleil : Quant à cela, Claude, je ne vous crois pas. Vous êtes trop fier du peu d'agrémens que possède votre petite amie, votre enfant, comme vous m'appelez quand vous n'êtes pas fâché...

- Vous ne savez pas ce que vous dites, satané démon en jupe et en bavolet! s'écria Claude, moitié riant, moitié grondant.

A ce moment l'hôte ouvrit la porte; il tenait son bonnet à la main. Après avoir respectueusement salué, il annonça un page de monseigneur le maréchal de Villars, qui demandait à parler à Mme Toinon de la part de son excellence.

Enfin, s'écria Taboureau, je vais pouvoir sortir de cette casaque, et faire peau neuve, comme on dit.

Gaston entra bientôt avec l'aisance résolue d'un page de cour. Sans accorder un regard à Claude, il s'approcha de Toinon, qu'il avait vue souvent danser, et s'écria très impertinemment :- Eh! par Dieu! ma charmante, quel affreux déguisement est celui-là? Et pourtant sous cette bure, on retrouve toujours la plus séduisante danseuse de Paris. C'est qu'elle est, vrai Dieu! encore embellie, et capable de faire de nouveau tourner toutes les têtes! s'écria le page en prenant la main de Toinon, et en attachant sur elle un regard effronté qui la fit rougir de honte.

La pauvre fille s'était presque réhabilitée à ses propres yeux par la conscience de ce qu'elle avait souffert pour Tancrède; le langage et les manières du page lui rappelèrent toute l'humilité de sa condition.

Pourtant avec ce tact parfait que la nature seule vous donne, et que développe l'habitude du monde, la Psyché, cachant sa mortification, retira doucement sa main. Puis, avec autant d'aisance et de fine raillerie que si elle eût été dans son charmant salon de la rue Saint-Honoré,

entourée de la fleur des beaux de la cour, elle répondit au page qui venait encore de s'écrier: C'est qu'elle est vraiment charmante ainsi!

C'est sans doute à monsieur (et Toinon montra Taboureau, qui, choqué de l'impolitesse du page, le regardait d'un air sournois), c'est sans doute à monsieur que M. de Mercœur adresse sa flatteuse exclamation sur ma beauté? Il ne pouvait invoquer un témoignage plus partial, car M. Taboureau est le meilleur et le plus cher de mes amis, ajouta Toinon d'un air très digne et très ferme.

Un peu dépité de recevoir cette leçon en présence de Taboureau, le page fit à ce dernier un froid salut rempli de hauteur, auquel Claude répondit avec son assurance de millionnaire qui sait sa valeur dans un siècle où l'or est tout (1) : —Je vous baise les mains, mon cher monsieur; je suis vêtu comme un mendiant, c'est ce qui fait que vous me traitez comme un gueux. Vous avez raison d'une façon, mais vous avez tort de l'autre. Eh! eh! tel que vous me voyez, j'ai dans mes coffres de quoi acheter toutes les étoffes de la rue SaintDenis (2), et la rue Saint-Denis par-dessus le marché, si ça me faisait plaisir. Mais venez me voir à Paris, tout bourgeois que je suis, vous souperez chez moi avec la meilleure compagnie de la cour et de la ville, car mon cuisinier est excellent, je joue le jeu qu'on veut, et je ne redemande jamais l'argent que je prête.

Gaston de Mercœur, très indigné de l'impertinence de Taboureau, lui répondit fièrement : - Je ne soupe jamais, monsieur, que chez les gens que je connais.

C'est absolument comme les gens qui disent qu'ils ne mangent jamais rien à jeun, répondit Claude, très insoucieux de l'impertinence du page.

(1) Chose fort curieuse et qui prouve que presque tous les siècles ont la même physionomie. A cette époque, il n'était bruit, comme de nos jours, que de l'influence de l'aristocratie d'argent. Si du moins on n'employait pas ce terme, cette pensée se retrouvait partout. Partout la robe, la cour et l'épée étaient sacrifiées à la fortune des traitans. Ainsi, dans les Souhaits (comédie de l'hôtel de Bourgogne), Isabelle dit à Colombine : « Quoi ! Colombine, un simple financier l'emportera sur tant de concurrens redoutables? — Colombine : Qu'appelez-vous un simple financier? Savez-vous quelle bête c'est qu'un financier auprès d'une femme? A la vue du financier, les anciens meubles disparaissent, les pagodes se multiplient sur les cheminées, les étoffes des Indes se développent, les laquais du logis deviennent plus insolens; en un mot, la face de l'univers est changée à la voix d'un financier.» (Les Portraits, comédie en trois actes, Du Long de Montchenay.)

(2) Les plus grands magasins d'étoffes de Paris se trouvaient alors rue Saint-Denis.

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