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-Il serait vrai! s'écria le maréchal. A merveille, à merveille. Continuez, je vous prie. Ce que vous dites là me ravit.

A côté de ces ridicules, il faut pourtant l'avouer, reprit M. de Bâville, Cavalier a quelques qualités. Ainsi il m'a écrit que tant qu'on aurait de bons procédés pour son père, que nous gardons en prison, il ferait généreusement la guerre; mais que, s'il apprenait qu'on usât de rigueur envers lui, il serait sans pitié. Quoiqu'il soit peu politique de paraître céder aux exigences d'un rebelle, on traite son père avec égard, et c'est à ces ménagemens, je crois, qu'il faut attribuer l'espèce de loyauté avec laquelle Cavalier nous combat.

De mieux en mieux, dit M. de Villars qui semblait réfléchir. -Auretour du printemps de l'année passée, reprit M. de Bâville, je demandai à M. de Chamillard assez de troupes pour écraser la révolte d'un seul coup; il ne put me les accorder. Au lieu de cerner les rebelles dans les montagnes, nous fùmes donc réduits à nous tenir sur la défensive; le nombre des camisards augmentait chaque jour; leur audace devenait extrême. Ainsi, par exemple, apprenant une de leurs tentatives sur Alais, M. de Julien quitte Nîmes à la hâte, avec trois régimens d'infanterie et cinq compagnies de dragons, laissant la ville gardée par la milice urbaine. M. de Julien était à peine parti que Cavalier débouche du bois d'Aspères où il était embusqué, et pousse une reconnaissance jusqu'aux portes de la cité. La milice sort, elle est taillée en pièces; ses débris regagnent Nîmes en désordre, la panique se met dans la ville, on sonne les cloches, on lève les ponts-levis, et Cavalier a l'audace de s'arrêter dans le faubourg, et d'y établir ses troupes par billets de logement chez les catholiques, jusqu'au lendemain.

-D'après ce que j'ai vu de vos gardes urbaines à mon entrée dans Montpellier, dit M. de Villars en songeant à maître Janet, je conçois assez cette déroute. Mais les troupes régulières ne se seraient pas, j'espère, laissé entraîner par une telle panique?

Les troupes du roi, monsieur le maréchal, se sont quelquefois étrangement démoralisées; vous ne sauriez croire les bruits absurdes qui circulent parmi les soldats sur les camisards. Ce sont des démons, des sorciers, ou tout au moins des êtres invulnérables. Aussi, nos troupes ne marchent-elles contre les rebelles qu'avec répugnance. Pendant que Cavalier nous harcelait du côté de la plaine, Éphraïm et un nouveau chef nommé Roland occupaient les hautes et les basses Cevennes. M. de Montrevel avait environ quinze mille hommes sous ses ordres dans la généralité de Montpellier; les troupes des camisards

n'allaient pas au-delà de neuf à dix mille hommes; mais les rebelles étaient instruits de nos moindres mouvemens avec une incroyable exactitude. Ils évitaient tout engagement général; au moindre échec, ils disparaissaient. Leur parfaite connaissance du pays, les intelligences qu'ils s'y ménageaient, servaient merveilleusement leurs marches et leurs contre-marches, leurs attaques et leurs retraites; dans tous les villages des Cevennes, presque entièrement peuplés de protestans, ils trouvaient des vivres et des armes. Nos troupes, au contraire, étaient mal renseignées ou complètement fourvoyées. A notre approche les paysans religionnaires fuyaient dans les montagnes avec leurs troupeaux et emportaient ou détruisaient leurs vivres. Ni l'or ni les menaces ne pouvaient décider les prisonniers à nous découvrir les retraites, les magasins, les ambulances des camisards, ou à nous éclairer sur leurs mouvemens. Nos troupes ne marchaient que de jour et avec les plus grandes précautions, de peur des embuscades; si nos forces étaient réunies, les trois corps de camisards commandés par Cavalier, Éphraïm et Roland se séparaient, se divisaient à l'infini, et s'éparpillaient de tous côtés. Si, au contraire, imitant leurs mouvemens, nous formions de nombreux détachemens pour les poursuivre, ils se ralliaient en un seul corps avec une étonnante célérité, et tombaient sur nos troupes qu'ils attaquaient séparément, et sur lesquelles ils avaient alors l'avantage du nombre. Ainsi, elles furent complètement battues au passage du Bijoux, à Sauve, à l'Estable-desRives-d'Ost, et jusque sous le canon d'Alais, ville fortifiée, auprès de laquelle Cavalier avait eu l'impudence de venir en grande pompe célébrer la pâque, fête solennelle des religionnaires. Une autre fois, les habitans de Génouillac furent passés au fil de l'épée par la bande d'Éphraïm. Mais la plus sanglante affaire fut celle qui eut lieu près d'Uzès à Vergesser.

-Ne fut-ce pas là où les régimens de la marine et les dragons de Fitz-Marcon furent complètement défaits? demanda M. de Villars.

- Oui, monsieur le maréchal; il n'en resta pas vingt hommes. Tous les officiers, deux colonels, trois majors et un brigadier des armées du roi, M. de la Jonquière, furent tués, Ce nouveau triomphe enhardit encore les révoltés, ils menacèrent Montpellier. Dans cette extrémité, j'écrivis au roi ; j'exposai à sa majesté que tant que les révoltés trouveraient de l'assistance dans les paroisses des Cevennes, on ne pourrait mettre fin à la rebellion. Il était impossible de poursuivre et d'atteindre les camisards dans leurs retraites inaccessibles. Il fallait donc les cerner dans leurs montagnes, et pour les affamer, les isoler

des populations environnantes. Sa majesté approuva ces idées, car elle me donna ordre d'anéantir, par la mine et par le feu, toutes les paroisses dont la destruction serait jugée nécessaire pour former une sorte de barrière de ruines entre les camisards et le reste des habitans du Languedoc.

A-t-on réellement exécuté à la lettre cet ordre du roi? ou bien n'a-t-on démoli que quelques maisons pour effrayer les hérétiques? demanda M. de Villars.

M. de Bâville, prenant un crayon, traça un triangle sur la carte du Languedoc qui était étalée sur la table, et répondit au maréchal avec un inflexible sang-froid:

-Vous voyez, monsieur, que les trois chaînes de montagnes, l'Aygoal, la Lozère et la Seranne, qui composent les hautes et les basses Cevennes, forment à peu près un triangle allongé qui, je suppose, aurait pour base l'Aygoäl et la Seranne, et pour sommet les monts de Lozère?

— Parfaitement. Ce pays de montagnes est sans doute le centre des opérations des insurgés?

-Oui, monsieur. Eh bien! dans un rayon de douze à quinze lieues, tous les abords de ce triangle sont complètement rasés; près de cinq cents villages ou hameaux protestans ont été détruits, et les vingt mille habitans qui les peuplaient ont été refoulés dans la plaine.

-Par le Dieu vivant! s'écria M. de Villars, ce fut là un énergique mais bien épouvantable moyen! Le roi a ordonné, par deux fois, le ravage du Palatinat. C'était un mal nécessaire. Les traces de cette effrayante exécution dureront bien long-temps après nous. Mais il s'agissait d'un pays ennemi... Tandis qu'un tel ravage en France!... En France! ah! c'est affreux, ajouta M. de Villars en ne pouvant cacher sa douloureuse surprise.

En reconnaissant que le ravage du Palatinat avait été un mal nécessaire, reprit M. de Bâville avec son calme impassible, vous venez, monsieur le maréchal, de justifier cette énergique mesure. Pourquoi donc, lorsqu'il s'agit d'une guerre civile bien autrement dangereuse qu'une guerre étrangère, reculerait-on devant la nécessité des mêmes moyens? Quand le feu menace de dévorer une ville. entière, faut-il hésiter à abattre un quartier pour isoler le reste de la cité du foyer de l'incendie? Sans doute ces extrémités sont toujours déplorables, sans doute il fallut au roi un grand courage pour donner de tels ordres, sans doute il fallut à ses serviteurs une foi profonde dans la fatale urgence de ces mesures pour les exécuter. Cette foi, je

l'ai eue, et je partage hautement la responsabilité de ces actes avec M. de Montrevel.

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Mais au moins ces actes ont-ils atteint le but que l'on s'était proposé? dit M. de Villars.

La destruction des paroisses a eu, comme toute chose, de bons et de fâcheux résultats; il a fallu beaucoup de temps pour la pratiquer. Les maisons étaient presque toutes solidement bâties. Il devenait très difficile de les abattre; la sape et la mine traînaient la démolition en longueur. M. de Montrevel écrivit en cour pour demander l'autorisation d'incendier les villages, au lieu de les démolir, d'après les avis de M. de Julien (1), maréchal de camp; les ordres du roi ne se

(1) Voici à ce sujet une lettre de M. de Julien, maréchal des camps et armées du roi :

« Au Pont-de-Montvert, 20 septembre 1703.

« J'ai reçu, madame, dans un mouvement bien vif, votre lettre du 17. Nous commençons demain à faire raser trente-une paroisses, dépendantes des HautesCevennes, condamnées par le roi à être rendues désertes. J'en ai douze pour ma part, avec tous les villages et hameaux de trois autres dont on veut conserver le lieu principal, où il y a des troupes. M. le maréchal de Montrevel en a dans son canton seize à faire raser. M. de Canillac en a trois, avec deux cent vingt-cinq villages voisins de l'Aygoal et de l'Esperou. Ce dernier commença hier, parce qu'il avait reçu avant-hier mille hommes de milice venus des côtes du Languedoc, lesquels ont les outils propres à renverser les maisons. Les deux mille hommes de milice du Gévaudan sont arrivés aujourd'hui, de sorte que demain au matin on mettra les mains à cette démolition. Tout le peuple a fui; il n'y a qu'une partie des femmes, petits enfans et vieillards qui se sont soumis, tremblant qu'on ne les égorge, et nous n'avons aucune envie de leur faire du mal. Le roi veut les nourrir ailleurs et veut raser leurs habitations. Nous voilà occupés pour long-temps, à moins qu'on ne se serve du feu, comme je l'ai proposé. Je souhaite que ce grand et étendu châtiment produise le fruit qu'on s'en propose; mais je n'en espère rien de bon. Si j'avais été le maitre, j'aurais projeté d'enlever tous les paysans des quatre paroisses, et j'aurais exécuté dans une saison plus convenable, sans détruire aucune maison. Je prévois que ceci durera bien long-temps, si on ne se tient à ce que j'ai proposé. Mais Dieu soit loué de tout! J'ajoute ici un quatrain fait par Me Guillaumain, avocat de Nimes, au sujet d'une cavale qui avait été prise par les camisards à un prêtre et qui revint chez son maître bien enharnachée, tandis que les religionnaires l'avaient prise toute nue. (Suit le quatrain, qui est détestable.)

<< Recevez, madame, etc.

« DE JULIEN. >>

(Manuscrit déjà cité, pag. 65,écrite à Mme de Merez, de l'Incarnation, assistante du grand couvent des Ursulines de Nîmes.)

Un auteur catholique, le prêtre L'Ouvreleuil, dans son Histoire du Fanatisme, décrit ainsi les suites de cette dévastation par le feu : « Aussitôt cette expédition fut comme une tempête qui ne laisse rien à ravager dans un champ fertile. Les maisons

feront pas attendre le feu remplaça le levier, et l'exécution fut bientôt terminée.

-Ainsi, près de cinq cents villages ont été détruits et vingt mille malheureux habitans ont été chassés de leurs demeures (1) ? s'écria M. de Villars.

-Oui, monsieur le maréchal, mais grace à cette formidable extrémité, à cette heure les rebelles, sans avoir, il est vrai, presque diminué de nombre, sont au moins resserrés dans l'espace que je vous ai indiqué. Cavalier a son camp retranché dans les monta

ramassées, les granges, les baraques, les métairies écartées, les cabanes, les chaumières, tous les bâtimens tombèrent sous l'activité du feu, tout de même que tombent sous le tranchant de la charrue qui les coupe les fleurs champêtres, les mauvaises herbes et les racines sauvages. >>

(1) Nombre des villages qui ont été détruits :

18 villes dans la paroisse de Frugères; — 5, paroisse de Fraissinet-de-Lozère; 4, paroisse de Grizac; -15, paroisse de Castagnols; -11, paroisse de Vialas; 6, paroisse de Julien-de-Poins; -8, paroisse de Saint-Maurice-de-Ventalon; → 14, paroisse de Saint-Frézal-de-Ventalon; — 7, paroisse de Saint-Hilaire-de-Lavit; - 6, paroisse de Saint-Andéol-de-Clerguenot; 28, paroisse de Saint-Prival-deVallonque; -10, paroisse de Saint-André-l'Ancize; - 19, paroisse de Saint-Germain-de-Calverte; — 26, paroisse de Saint-Étienne-de-Valfrancesque; 9, paroisse

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de Princes-et-Montvaillant; -16, paroisse de Florac.

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Autres villages et paroisses non compris dans cette liste qui devaient être détruits et qui le furent en effet :

Saint-Martin-de

Frugères, le Pompidou, Saint-Martin-de-Lancize, Campselade, Saint-Laurent-de-Trèves, — Vebron, — les Rousses, - Barre,

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Bousquet-de-la-Barthe,
Sainte-Croix-de-Valfrancesque,

Saint-Eulien-d'Arpaon,

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Roman, Saint-Martin-de-Bobeaux, la Melouse, le Collet de Dèze, - SaintMichel-de-Dèze.

Ce qui comprenait en tout 466 villages ou hameaux détruits, dit un historien, habités par 19,500 personnes. Mais je crois qu'il se trompe, et qu'il y avait plus d'habitans dans ces lieux détruits qu'il ne le dit, puisqu'en 1698 on comptait dans le seul diocèse de Mende, d'où dépendaient presque toutes ces paroisses détruites, 18,189 protestans, sans compter les gentilshommes. (Histoire des Camisards, liv. VI.)

Fléchier écrivait, à propos de cette expédition, à M. de Montrevel: « Le projet que vous exécutez est sévère et sera sans doute utile; il coupe jusqu'à la racine du mal, il détruit les asiles des séditieux et les resserre dans des limites où il sera plus aisé de les contenir et de les trouver; mais quoique nous nous fussions bien attendus que durant l'expédition que vous faites dans les montagnes les rebelles tomberaient sur nous dans la plaine, et qu'ils feraient quelques désordres dans notre voisinage, nous ne pouvions nous imaginer qu'ils y exerceraient tant de cruautés, et qu'ils vinssent brûler jusque sous nos yeux les églises, les villages et les meilleurs domaines de notre campagne. » (Lettre de Fléchier, septembre 1703.)

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