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douleur dans la famille, l'encouragement au mal hors de la famille, la corruption sur la place publique et dans les théâtres; point de barrière, aucune protection. Les palliatifs imaginés par la philanthropie, salles d'asile, écoles primaires, pénitenciers des jeunes détenus, exercent une influence restreinte, voici pourquoi. La vaste séduction sociale l'emporte sur la répression partielle, qui cherche à s'établir au sein de cette séduction. Lutte inégale; ce que l'administrateur prêche en théorie, ce qu'il veut organiser dans la pratique, tous les faits extérieurs le démentent. Vous offrez à l'homme de l'instruction et quelquefois du pain. L'homme veut aussi du bonheur. S'il ne trouve pas ce bonheur dans le bien, c'est dans le mal qu'il le cherche. La modicité du salaire, l'égoïsme du propriétaire, l'exemple des compagnons, les leçons du théâtre rejettent l'ouvrier, en dépit de tout, dans le cercle fatal de la détresse au vice et du vice à la détresse. Les instructeurs du monde, qui sont les gens de lettres, manquent trop souvent à leur mission. Créatrice de jouissances, la civilisation multiplie, avec les besoins du riche qui les satisfait, ceux du pauvre qui s'irrite dans le vague de ses désirs perdus; armée d'expédiens insuffisans, elle ne remédie à aucun mal fondamental. Le mal moral et physique abonde pour le pauvre; le bien physique seul abonde pour le riche, que la délicatesse et la susceptibilité de ses goûts ne rendent pas moins malheureux. Un mécontentement immense, dont personne ne comprend l'étendue, dont on explique la cause par des sophismes, se répand partout. L'industrie, qui prétend moraliser la population, fait le contraire; car l'industrie, c'est la richesse créant la richesse par le travail. C'est la richesse augmentant le bien-être pour la richesse, et rejetant les travailleurs dans la misère. Comment voulez-vous que l'ouvrier soit heureux s'il n'est moral? qu'il soit moral si le maître ne l'est pas? que le fils soit moral si le père ne l'est pas? Perpétuelle rotation de ce fatal cylindre, à la marche.duquel vous opposez des grains de sable qu'il broie et des brins de paille qu'il anéantit. Revenez donc au principe moral, qui est la seule ame des sociétés; abandonnez l'effort matériel, et cessez de croire que vos discours, messieurs les députés, servent à autre chose qu'à gonfier de mots un journal et d'orgueil vos familles. De grace, messieurs, ne croyez plus qu'en faisant une ruche de castors humains vous ferez une société heureuse. Relevez ces remparts moraux, qui sont démantelés; relevez-les, si c'est possible. Vous êtes, dites-vous, les pères de la patrie; moralisez la famille, qui constitue la patrie. Les panacées politiques ne peuvent rien. Les mouvemens insurrectionnels, et même les changemens de formes politiques, ne sont guère que les mouve

mens convulsifs d'un malade qui augmente sa fièvre en se retournant dans le lit de sa souffrance. Ranimez le sentiment chrétien, réchauffez-le dans la famille. Tout se trouve dans la famille; il n'y a pas d'autre éducation que l'exemple. L'exemple aujourd'hui, c'est le gain adoré. Quand tous les rouages d'une société tendent à un but, moudre de l'or, faire de l'or, préparer du plaisir égoïste et en jouir, alors il faut que les petits, les faibles, les pauvres, entraînés et emportés par ces rouages aveugles, soient déchirés en lambeaux palpitans. Et ces morceaux renaissent, voyez-vous, pour maudire une société qui les torture, et pour la frapper. — Revenons à M. Frégier. Nous avons vu le fils de l'ouvrier devenir vagabond; il y a plusieurs milliers de ces enfans à Paris; ces malheureux font les voleurs et alimentent la population dangereuse. Un sergent-de-ville ramasse l'enfant, la nuit, sous l'arche d'un pont, commettant un petit vol, ou nanti d'objets dérobés. Mis sous la main de la justice, les parens, invités à le reprendre, exposent devant le public et le tribunal ses torts envers eux, ses égaremens, les vaines tentatives qu'ils ont faites pour le ramener à des sentimens meilleurs, en un mot, la nécessité d'infliger un châtiment à celui que l'indulgence et le pardon n'ont jamais pu toucher. Ces explications ont lieu en présence de l'enfant, assis sur la sellette des malfaiteurs. Il baisse la tête, il pleure, il est confus; mais l'indulgence doit avoir un terme. Le vagabond, âgé de douze ans peut-être, est jeté dans une maison de correction, qu'il habitera plusieurs années. Là se fera sa troisième éducation. La première date d'un grenier, la seconde d'une place publique, la troisième datera d'une prison. Il a d'abord appris à haïr, ensuite à voler; il lui reste à rédiger sa théorie en système. Nous le laissons dans ce triste lieu, et nous parlerons bientôt de sa sœur, la fille de l'ouvrier.

La femme, plus faible, tombe plus rapidement et plus bas que l'homme. Reproche amer que nous adressons à cette société, adoratrice de la force, et qui a supprimé le christianisme comme trop doux, l'humilité comme abjecte, les asiles religieux comme inutiles, la charité du cœur comme ridicule, et la politesse même comme servile. Nous disons qu'elle a tort; que ce dévouement au culte de la force matérielle et brutale est un pas en arrière; que si elle sacrifie tous les faibles, leur masse finira par se soulever, et que, si elle repousse comme ennuyeux et inutiles les détails douloureux dont nous nous occupons avec courage, elle périra sans mériter la pitié de l'histoire, car elle périra par son égoïsme. PHILARETE CHASLES.

(La fin au prochain n°.)

BULLETIN.

L'attention publique s'est reportée de la question d'Orient sur nos affaires intérieures. On se demande avec inquiétude où doit nous conduire ce singulier laisser-aller qui se remarque partout. Chacun semble s'attacher à esquiver la responsabilité de quoi que ce soit. Le ministère n'est pas le dernier à donner l'exemple de cette abnégation, et l'on ne saurait lui reprocher de se préoccuper des intérêts de son amour-propre et de sa personnalité politique. Les critiques des commissions de la chambre sur ses différens projets le trouvent de la plus grande docilité; il ne défend pas ses propres conceptions avec un acharnement de mauvais goût, et il y substituera volontiers tous les changemens que lui suggérera la majorité. Si l'on octroie à M. Passy le principe de la conversion, il se déclare satisfait; il adoptera d'autres moyens d'exécution que ceux qu'il a proposés, pour peu que la chambre en témoigne le désir. M. Cunin-Gridaine n'a d'autre intention que de faire sortir des débats parlementaires une loi sur les sucres, mais quant à son projet, il en fait assez bon marché. A propos de la loi sur le conseil d'état, M. Teste disait dans les bureaux : Vous en ferez ce que vous voudrez. Par une pareille conduite, on se propose d'assurer sa vie ministérielle, en déclarant d'avance qu'on ne se tiendra jamais pour battu; on veut annuler les échecs et les défaites en ne les reconnaissant pas. Une semblable humilité peut prolonger l'existence d'un cabinet; mais au fond elle énerve le pouvoir. Les organes du gouvernement ont l'obligation morale de prendre toute la responsabilité des projets qu'ils apportent aux chambres dans leur teneur et leurs dispositions; ils ne sauraient se contenter, sur des matières importantes, de présenter au parlement des canevas et des cadres qu'on peut remplir à volonté. Les ministères vraiment politiques, comme le cabinet du 11 octobre ou l'administration du 15 avril, ont toujours défendu avec fermeté les plans qu'ils avaient élaborés avec réflexion.

Mais pour s'acquitter ainsi des obligations qu'impose le maniement du pouvoir, il faut à un ministère un accord et un ensemble qu'on chercherait en vain dans le cabinet du 12 mai. Entre MM. Duchâtel, Villemain et Cunin

Gridaine d'une part, et MM. Passy, Teste et Dufaure de l'autre, non-seulement il n'y a pas solidarité politique, mais il y a une lutte sourde et profonde. M. le maréchal Soult n'a pas l'ascendant nécessaire pour aplanir une partie des difficultés qui sont la suite nécessaire de ces dissentimens : il est lui-même souvent indécis et flottant. C'est ainsi que dernièrement, au moment de contresigner le rappel de M. Sébastiani, tous les détails qu'on lui donnait dans ses bureaux sur les services diplomatiques du général et sur l'estime dans laquelle on le tenait à Londres lui inspiraient des regrets et lui faisaient s'écrier : « Si j'avais su tout cela, j'aurais défendu le général dans le conseil ! »

MM. Passy, Teste et Dufaure inclinent vers la gauche; ils ont souvent pour auxiliaires ses votes et son silence. Le Temps est presque leur organe officiel et reçoit leurs confidences. S'il est question du retour du duc de Broglie à Paris, leur journal assure que ce retour n'est nécessité que par des affaires toutes privées; il nous apprend que M. Dufaure se défendait vivement chez M. Passy de l'intention d'appeler au conseil l'ancien président du 11 octobre. Nous ne croyons pas que M. de Broglie revienne avec une bien vive impatience de ressaisir le portefeuille des affaires étrangères; il s'est toujours plutôt laissé pousser au pouvoir qu'il ne s'y est porté lui-même avec impétuosité. Mais enfin son nom a été prononcé; il est venu naturellement à la pensée de ses amis aussitôt après la nomination du nouvel ambassadeur à Londres, MM. Duchâtel et Villemain désireraient un changement qui amènerait aux affaires étrangères un diplomate et un orateur. Si cette modification avait lieu, au moins la politique adoptée depuis la bataille de Nezib et les autres évènemens qui se sont passés en Orient, aurait un interprète avec lequel les hommes éminens des deux chambres pourraient entrer en conférence. Les discussions du parlement et de la presse trouveraient un point d'appui et un aliment dans la personnalité du nouveau ministre, et l'on pourrait savoir ce qu'il faut louer, ce qu'il faut blâmer dans les négociations suivies depuis huit mois et dans les résultats qu'elles ont produits.

L'entrée dans le cabinet d'un homme aussi gouvernemental que M. le duc de Broglie s'accorderait mal avec la politique de MM. Passy, Teste et Dufaure. Nous doutons même que le ministère tel qu'il est, privé comme il l'est d'un chef qui étende son examen et son autorité sur toutes les questions et les mesures importantes, approuve l'un des derniers projets de M. Teste, la loi sur l'organisation du conseil d'état. Ne lisions-nous pas dernièrement dans le journal de MM. Passy, Teste et Dufaure, que M. Teste, en présentant spontanément aux délibérations des chambres son projet sur le conseil d'état, avait acquitté loyalement une dette du libéralisme?..... Le même journal invitait les chambres à voter le projet de confiance, sans entrer mesquinement dans les détails. << Malheureusement, ajoutait-il, tout porte à croire qu'il n'en sera pas ainsi; les chambres voudront discuter, amender, contester. » N'est-il pas plaisant de voir un des soutiens du gouvernement parlementaire se plaindre de l'examen probable des chambres? La composition de la commission justifie les douloureuses prévisions du Temps. Deux anciens ministres en font parTOME XIV. — SUPPLÉMENT.

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tie, MM. Martin (du Nord) et Salvandy. D'autres hommes compétens leur sont associés. On parlait d'une discussion fort vive dans le premier bureau. M. de Chasseloup aurait signalé, dans une longue et piquante énumération, tous les actes du ministère relatifs au conseil d'état, et aurait demandé si, dans les administrations précédentes, on pouvait trouver l'équivalent d'un semblable arbitraire. La justification du cabinet, entreprise par M. Schneider, a été loin d'être heureuse et brillante. L'examen des hommes politiques de la chambre se portera aussi sur les dispositions relatives au service extraordinaire: ils apprécieront la convenance des catégories imaginées par M. Teste. Il est singulier de voir un ministre circonscrire de gaieté de cœur la sphère d'action et d'influence du gouvernement, et travailler à l'empêcher de s'entourer des talens et des forces qu'il peut trouver dans les différentes positions sociales. La chambre des pairs et le haut enseignement ne figurent pas dans les catégories de M. Teste. L'expérience a déjà démontré l'inconvénient de ces catégories arbitraires décrétées à l'avance, qui laissent en dehors de notables aptitudes et appauvrissent les corps qu'il s'agit de recruter. Il est facile de reconnaître la pensée qui a dicté le projet qu'auront à juger les chambres; on veut obtenir un bill d'indemnité pour tous les actes de faveur et de réaction dont le conseil d'état a été le théâtre; on veut associer les chambres à toutes les passions et à toutes les intrigues qui ont pris M. Teste pour instrument. Il est fort douteux qu'elles y consentent, et il se pourrait que le Temps eût raison, quand il voit déjà le projet repoussé et rejeté dans la poussière des cartons ministériels.

Par quelle singulière fatalité M. le garde-des-sceaux ne peut-il parvenir à prendre l'esprit et le langage d'un homme de gouvernement? Nous lui rendrons volontiers cette justice, que, dans la dernière séance consacrée par la chambre à la proposition Gauguier, il a fait des efforts pour se montrer conservateur; mais le naturel et des habitudes invétérées ont repris le dessus, et il a égayé toute l'opposition par cette concession qu'il y avait quelque chose à faire. Voilà bien, comme l'a dit avec une énergique justesse M. Dupin, la plus détestable des formules! M. Dupin a donné à M. Teste une véritable leçon de gouvernement; son langage a été ferme et lucide; il a fait toucher au doigt toute la portée de la question, qui n'est rien moins que le premier chapitre de la réforme électorale. Personne ne s'attendait à l'adoption de la proposition Gauguier; mais on s'est livré pendant deux jours à une conversation dont quelquefois le ton a été passionné, sur un des sujets les plus délicats de notre organisation politique, et l'opposition garde dans ses souvenirs, comme une conquête, ce mot d'un des organes du pouvoir : Il y a quelque chose à faire! Ce serait plutôt aux mœurs qu'à une loi de parer aux abus que peut présenter la pratique. Il faudrait que les électeurs s'habituassent à discerner parmi les fonctionnaires ceux que leur situation et leur talent appellent convenablement à la chambre : le temps seul peut donner au corps électoral ce tact et ce discernement qui produiraient des effets supérieurs à ce qu'on peut attendre des incompatibilités légales. Dans l'état actuel de notre civilisation politique, le corps

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