Obrazy na stronie
PDF
ePub

sirs et ses devoirs, personne qui le soutienne et l'encourage. Il est seul; il se fait ses amusemens et ses bonheurs. De là cette vivacité ardente, cette dextérité hardie qui distinguent l'enfant du peuple à Paris; de là aussi sa terrible ressemblance avec le sauvage nomade dont il a les instincts et les goûts. L'opiniâtre et sévère labeur de l'école, comparé aux spectacles variés de la vie parisienne, lui devient bientôt insupportable.

Il a tant de choses à voir! Les boutiques étincellent, les équipages roulent, les bataillons passent, la musique militaire retentit. Le soir, les théâtres s'ouvrent et la foule se presse à leur porte. Si le gamin de Paris devenait philosophe, il dirait éloquemment quelle surexcitation de curiosité germe et se déploie alors dans le cerveau de l'enfant du peuple. Le dénuement de son logis contraste avec le luxe et la richesse qui l'environnent. Ces plaisirs, il le sait bien, ne sont pas pour lui. Le premier sentiment qui l'ébranle, c'est l'étonnement; le second, l'envie. Avant de connaître l'alphabet, la moitié des enfans du peuple désirent vainement, souffrent et haïssent.

Le fils de l'ouvrier qui a goûté cette liberté nomade y renonce difficilement; c'est la seule jouissance vive à laquelle il puisse prétendre. Il fait l'école buissonnière, est attiré par les jeux des enfans de son âge, s'y mêle avec empressement, trouve d'autres gamins, dominés comme lui par une répugnance naturelle pour le travail, contracte leurs habitudes et s'associe à leurs goûts. Ce crime bien mince de l'école buissonnière a des conséquences graves. Soit que l'enfant se fasse renvoyer de l'école à cause de ses absences continuelles, soit que ses habitudes vicieuses finissent par inquiéter ses parens, il est l'objet de leurs réprimandes. Le pauvre administre la morale avec dureté; il souffre trop pour être indulgent. Il frappe, il bat, il rudoie. C'est chose effrayante que la discipline des classes inférieures envers leurs enfans. Rarement exercée, dépourvue de continuité et de surveillance, elle a quelque chose d'odieux dans sa sévérité irrégulière. On entend, de la rue, les cris de ces petits êtres soumis au régime de la force et punis souvent avec justice, toujours avec excès, par des parens que le sort traite mal, et qui ne savent point se montrer clémens. Rudement corrigé, l'enfant fuit et ne reparaît plus. De tous les lieux du monde, celui qui offre le moins d'attraits au petit garçon, c'est la chambre où il est né, où l'attendent une nourriture chétive, l'esclavage et des coups. Peut-être, avant de fuir, a-t-il déjà commencé l'apprentissage du vol, sous la direction d'un de ses camarades. On lui aura dit comment il peut se procurer

des plaisirs inconnus à la maison paternelle, c'est-à-dire l'argent qui les représente; secret connu de tous les enfans du pauvre et de presque tous les domestiques. Ce secret consiste à retenir quelques sous pendant la semaine, sur le prix des fournitures de la famille, ou à les dérober au père et à la mère. « Il y a, dit M. Frégier, une foule de familles pauvres atteintes par ces larcins. Beaucoup d'entre elles ne l'ignorent pas, et elles sont néanmoins impuissantes à les prévenir par les menaces et les châtimens. » Quand ces châtimens se multiplient ou deviennent intolérables, l'enfant disparaît et se perd dans la masse des vagabonds.

Le gamin vient de naître sous nos yeux; souriez de l'importance donnée à ce berceau, vous avez tort. C'est quelque chose de grave qu'une pépinière de 15,000 petits bandits. Chantez le gamin, mes chers poètes, mais défendez votre bourse.

La chanson et le roman ont deviné la poésie de cette vie nomade; ils lui ont fait une apothéose de caprice, piquante sous le rapport de l'art, et semblable à celle dont les écrivains espagnols ont couronné leurs bandits. Signe fatal que cette tolérance pour l'oisiveté picaresque (1). L'Espagne croulait, quand Lazarillo de Tormès marchait à la gloire et préparait Figaro.

Associé aux petits mauvais sujets qui l'ont corrompu, et devenu libre, l'enfant commence par se livrer à ses goûts. A Paris, il n'a pas de plus vif penchant que le spectacle. Est-il parvenu à dérober, liard à liard, quinze sous, dix sous, moins peut-être, il trouve moyen de pénétrer dans un de ces sanctuaires rayonnans de lumière, assiégés de voitures, et où la foule se précipite. Il a tout vu, hormis le spectacle. Ses amis y vont et font un grand récit de leurs jouissances dramatiques. Il sait que le maître d'atelier, l'apprenti, le bourgeois, aiment le spectacle. Quelque prix que lui coûte une telle conquête, il l'obtiendra, soyez-en sûr, et vous le verrez, debout, aux derniers rangs des spectateurs, sous la voûte de quelque théâtre secondaire, s'attendrir et frémir de ce qu'il voit et de ce qu'il entend. Quelles leçons il reçoit là, vous le savez. Ce Robert Macaire qui nous fait rire, et ces passions furibondes qui nous touchent peu, sont les véritables maîtres, les seuls précepteurs de la population pauvre. Elle y étudie les tours d'adresse du malfaiteur, la gaieté du bagne ou la frénésie de la passion. Nous avons rencontré plus haut, tout au fond de cette manufacture inconnue de vice et de malheur, le pro

(1) Picaro, polisson, bandit.

priétaire avide, c'est-à-dire la société sans entrailles; ici, nous re-, trouvons encore l'auteur dramatique et le public indifférent, c'est-àdire la société sans principes. Prenons garde à ces sources premières, et si nous avons réellement à cœur une réforme sociale plus importante que toutes les réformes de nos lois, n'oublions pas que le mal tombe de haut et vient de loin. M. Frégier prouve l'influence immense du théâtre sur le peuple, non sur les classes aisées, mais sur le pauvre; non sur l'homme fait, mais sur l'enfant, ce qui est bien autrement redoutable. Une pauvre femme dont le fils était devenu voleur, racontait, avec cette naïveté qui est la meilleure des psychologies, le progrès de la démoralisation chez son enfant. «Il avait été au spectacle, et cela lui avait cassé les bras. Dès le lendemain, disaitelle, il ne travaillait plus; il avait la tête montée; d'étranges manies le possédaient; il pensait au suicide, qui sans doute lui paraissait d'un bel effet dramatique; il s'éveillait en sursaut, se mettait à genoux et priait. Un jour il disait à sa sœur: « Ce serait drôle si je m'accrochais à ce clou, et que ma mère me trouvât pendu.»-Les effets d'une surexcitation fébrile aussi intense sur une population. jeune, ardente, indépendante et sauvage, ne sont pas difficiles à calculer. Une telle éducation développe l'activité de l'intelligence dans l'absence des idées, et l'inquiétude de la passion dans le vide des principes.

Pour l'enfant de sept à seize ans, qui peut fuir le taudis paternel, toute la civilisation, toute l'instruction, le point culminant du bonheur et de la science, sont là. Le soir, il rôde autour des théâtres, et tâche d'y trouver place; le jour, il se confond avec la masse des petits vagabonds, qui forment une armée parisienne excessivement nombreuse, étudiée pour la première fois par M. Frégier.

Cette armée de mauvais garçons, menant une vie errante et paresseuse, impose à ses membres le devoir de se soutenir mutuellement pour échapper aux recherches des parens et des maîtres d'apprentissage. Les moins pervertis et les plus timides mendient, fréquentent les places et les halles, et offrent leurs services aux marchands, aux acheteurs, aux passans; la plupart commettent de petits vols : comment vivre? Les voleurs sont les dominateurs du corps, parce qu'ils en sont les principaux soutiens; c'est à leurs dépens que subsistent les nouvelles recrues ou les timides. Une prime se trouve offerte au plus audacieux dans le mal. Deux passions ardentes possèdent, tous ces vagabonds: le spectacle et le jeu. L'une ou l'autre suffisent pour déterminer l'enfant à quitter à jamais une famille marâtre, une

[ocr errors]

école où il dort, un domicile de malheur, que les mauvais traitemens, une lourde tâche, des punitions cruelles, des corrections humiliantes lui rendent odieux. Il trouve sur les ports, sur les boulevarts et sur les places, mille petits joueurs de profession dont les excitations et les conseils fomentent en lui la passion du jeu; elle le préoccupe et l'absorbe. Souvent, livré à ce nouveau désir, il vend sa cravate, son mouchoir ou sa casquette, pour en jouer le prix. Quelque soir, après le spectacle, il rentre tard, il heurte en vain à la porte de son misérable domicile; la colère de ses parens le force à coucher sur le palier ou dans la rue: le lendemain, on le met au pain et à l'eau et on le bat. Il va retrouver ses camarades dont il grossit les rangs; comme eux, en haillons, sans chemise, endurci à toutes les intempéries, le front nu, l'ame bronzée de bonne heure, l'esprit plein de ressources, incapable d'attention ou de travail; il joue et court, il mendie et vole; il s'élance au premier mouvement de sédition; tout bruit le charme, tout groupe l'attire, tout attrait de curiosité l'emporte. Il sillonne Paris dans tous les sens, il sort des pavés à toute apparence d'émeute; il est gai, il chante, il rit, il dérobe, il escamote, il pille; il a de l'esprit, de l'audace et de l'expérience; il forme la constante pépinière du vice; il dépense beaucoup et il vit de rien; les voleurs d'un âge mûr le recherchent, et il les recherche. Ainsi se continue une éducation si bien commencée. L'argot du gamin est le même que celui du voleur. C'est-à-dire qu'à la première faute, placé sur une pente fatale, l'enfant du pauvre se trouve emporté vers les derniers bas-fonds du vol et de la misère. Je ne parle pas des fils de voleurs que l'on élève pour la profession. M. Frégier en cite un qui, à trois ans, démontait une serrure, et qui plus tard amusait chaque soir son père par le naïf récit de ses exploits.

C'est un fait constaté que l'existence de plusieurs bandes de jeunes garçons voleurs, qui procédaient et qui opèrent encore avec un ensemble et une habileté peu commune. L'une d'elles était forte de dix-huit membres, tous de neuf à seize ans. Les jeunes vagabonds dirigent principalement leurs tentatives contre les marchands étalagistes et contre les divers groupes de curieux; tous les lieux de réunion publique sont, du reste, le théâtre de leurs prouesses. Il n'y a pas huit jours qu'une bande de ces nomades a été découverte la nuit, chargée de son butin, sous l'armature en fer du pont des Saint-Pères à Paris; la crue excessive des eaux de la Seine avait placé les aventuriers dans une position fort dangereuse. Quand le petit voleur a de l'argent, cet argent s'en va vite; quand il n'en a plus, il existe on

ne sait comment; aux jours de dénuement complet, vous le voyez mendier et dormir; essaim misérable qui s'abat la nuit sur les bateaux, sous les piliers des halles, dans les baraques, les caves, les voitures, les carrières, sur les fours à plâtre, dans les embrasures de portes. On les ramasse, on les rend à leurs familles. Les mêmes motifs ne tardent pas à les rejeter dans leur vie désordonnée, aussi chère à leurs souvenirs que l'indépendance nomade est chère au Kosak. Un de ces pauvres enfans a été pris et repris quarante fois sur la voie publique, à des heures indues, en état de vagabondage. Toujours seul, sans bas, sans cravate, sans gilet, sans casquette et sans mouchoir, il n'avait commis aucun acte répréhensible, si ce n'est l'opiniâtreté de sa vie errante. Comme beaucoup d'autres, il cédait à la nécessité. Mais une société bien faite garantit l'homme contre cette nécessité.

Telle est la gradation établie par les faits nombreux que M. Frégier révèle. Le gamin, c'est tout bonnement la larve du voleur. Vous avez dédaigné notre analyse microscopique : vous verrez bientôt toutes les feuilles de la forêt envahies par cette population qui va grandir. M. Frégier, administrateur éclairé, zélé, vigilant et (comme nous l'avons prouvé) sagace, espère que les efforts d'une administration sévère suffiront à l'œuvre de la réforme morale. Nous ne le croyons pas. Tout en rendant justice aux intentions des législateurs et des philanthropes, nous disons que les formules, les réglemens et les institutions, remèdes purement extérieurs, viendront se briser contre le mal intérieur. Il ne suffit pas de recueillir les enfans du peuple, pour les empêcher d'être vagabonds puis voleurs; il faut les empêcher de désirer le vagabondage et le vol. Médecin, si vous corrigez par le régime seul une maladie chronique, ou la phtysie pulmonaire par la diète, vous obtiendrez des résultats incomplets. C'est au fond des entrailles qu'est le siége du mal. Pour notre société, ce mal est la faiblesse morale; ou si l'on veut l'individualité; ou si l'on veut l'égoïsme. Rien de convenu; rien de consenti; chacun se faisant un trône et y plaçant sa volonté comme reine. Point de lien commun; le riche, inaccessible à toute considération, si ce n'est de se conserver; le pauvre, ne pensant qu'à usurper. Trop de primes offertes au vice; trop peu d'encouragemens offerts au bien. Il n'y a pas, dans un tel état, de plus courageuse et de plus belle mission que celle du moraliste qui sait voir et qui ose dire.

La pente de la misère au vagabondage, du vagabondage à la rapine, de la rapine accidentelle au dol permanent, et de là au crime, se trouve donc aplanie, et presque inévitable. La détresse et la

« PoprzedniaDalej »