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moins content; à quatre, j'en ai eu honte; et à six, j'ai pris la poste pour revenir. A Montpellier, j'ai vu le maréchal. Il m'a dit votre route. Je passerai pour votre frère; rien de plus naturel! Quant au monde, il dira ce qu'il voudra, je m'en moque comme de Colin Tampon. Vous êtes une brave fille; il me plaît de faire ce que je fais, nargue du reste. On sera toujours le serviteur de mes cent mille écus de rente, et je ne ferai pas une lâcheté en vous abandonnant.

Il est de ces joies, de ces ravissemens, qu'il est inutile de peindre. Toinon ne put que prononcer quelques mots sans suite, en baisant les mains de Taboureau qu'elle baignait de larmes.

Le bon sigisbé, voulant garder le décorum et ne pas s'attendrir devant dame Bastien, faisait entendre de fréquens hum! hum! Pourtant il ne put s'empêcher de s'écrier dans cet épanouissement de l'ame que cause un généreux sentiment: Qu'ils viennent donc me parler de ridicule, après ces émotions-là! - Puis se calmant un peu, il dit en riant d'un gros rire: Ah ça! chère sœur, songeons à nos affaires. La position est neuve. Eh, eh! c'est nous qui courons après ceux qui doivent nous prendre.

- Et le cheval, dit Larose en s'approchant de la voiture, que faut-il en faire?

Le cheval, mon digne compagnon du pâté? faites ôter, je vous prie, ma valise de dessus son dos, placez-la sur le devant de la voiture et donnez la liberté au bucéphale; il retrouvera bien son chemin tout seul.

Ce qui fut dit fut fait. Le carrosse se remit en route, sous l'escorte des dragons, pour gagner les environs du camp de Cavalier, où les voyageurs devaient arriver le lendemain au point du jour.

EUGÈNE SUE.

(La suite au prochain n°.)

FABRIQUE DE VICE A PARIS EN 1840.

DES CLASSES DANGEREUSES DE LA POPULATION,
PAR M. FRÉGIER.

Voilà un titre qui mécontentera les philosophes et déplaira aux hommes d'état. Nos philosophes n'aiment plus les paroles hardies; aos gens d'état réservent leur éloquence pour les factices combats et les fausses colères dont le parlement est la lice. Il est convenu que tout langage amer naît d'une misanthropie affectée, et toute révélation courageuse d'une puérilité romanesque. Ainsi parlent les têtes politiques, pendant que l'émeute les menace; ainsi parlent les administrateurs et les philosophes, pendant que la société disjointe et détraquée s'organise en conspirations ridicules et journalières. Ainsi parle le chef d'atelier contre lequel les ouvriers se coalisent, on le ministre, plus facile envers le peuple qu'envers les rois, qui défend à perdre haleine, contre la meute des ministres futurs, la citadelle de son pouvoir. Ainsi parlent tous les habitans de ce grand vaisseau, bien dessiné, bien bâti, bien gréé, qui marche en chancelant pompeusement et ne veut pas être averti de ses contimuelles avaries. Il ne lui manque que deux choses, le lest et les ferrures. Il n'a rien qui le maintienne, le contienne et le soutienne. Mais les timoniers et les gens de quart n'entendent pas que l'on effraie l'équipage.-Taisez-vous! ne semez pas l'épouvante! les choses vont bien: ces mâts ne sont-ils pas polis, lustrés, lavés, blanchis? chacun n'est-il pas à son poste? Que voulez-vous, faux prophète,

homme de terreur? — Cependant, au milieu de ces paroles consolantes, il se fait un grand bruit; une conspiration à droite, un complot à gauche, une coalition ailleurs; le feu est ici; le vaisseau fait eau là-bas ; on donne sur un écueil. Les esprits qui se disent sérieux et qui ne sont qu'aveugles et sourds, s'étonnent considérablement, et regardent autour avec un ébahissement niais; celui qui voit la profonde erreur dans laquelle la société se démène, éprouve une angoisse extrême, dans laquelle se confondent le dédain, le dégoût, la tristesse et l'ironie.

Alors on lui jette cette parole: « Vous n'êtes pas sérieux. » - Sérieux! l'êtes-vous, vous qui ne percez jamais les enveloppes, ne pénétrez jamais au fond des faits et des idées, n'examinez rien de près, ne soulevez aucune question vitale; vous qui prenez les cartons d'un bureau pour le pouvoir, la tribune théâtrale de vos orateurs pour un instrument politique, le bruit des journaux pour la voix publique et le fracas des banqueroutes pour le commerce? Vous aimez l'illusion, vous la semez, vous en vivez et vous la respirez; vous ne voyez pas que toute société qui se repaît de formules, qui se nourrit de chimères, qui n'a pas atteint la vérité de son existence, est condamnée à payer le mensonge par la misère, le mensonge de l'industrie par la ruine, le mensonge des opinions politiques par le néant politique, le mensonge de la philanthropie par l'accroissement du crime. Voulez-vous que je vous dise quel est l'esprit sérieux? Celui qui voit loin et dit courageusement; celui qui est assez grave pour observer les choses graves; celui qui ne tait pas les faits, ne dissimule pas les réalités, ne respecte pas les sophismes; celui qui ose cela, les yeux ouverts, l'esprit calme, connaissant l'universelle répugnance et la bravant, sachant bien que ce n'est point par cette voie qu'on aplanit la route de sa propre fortune, que par cette tranquille audace l'ambition nuirait à son succès, la gloire à son éclat, et l'homme de parti à son crédit. Lorsque personne n'est sérieux, le devoir du philosophe est de l'être assez pour ne plus le paraître. Lorsqu'on a fait de la réticence, de la mollesse et de la fausseté, un système sérieux, il faut remonter à la seule chose sérieuse de ce monde et de l'univers, la vérité, cet autre mot qui veut dire Dieu, ce mot qui est aussi la moralité, la puissance, la force.

Nous sommes la réaction du XVIIIe siècle. Il s'exaltait, nous dormons; il exagérait, nous affaiblissons. Il hurlait la philanthropie, nous serinons l'espérance; il tonnait contre le vice, nous caressons nos faiblesses; il grossissait tout, nous effaçons tout. On cherche en vain

aujourd'hui un seul écrivain moraliste qui ose dire toute la vérité; les uns sont de la chambre des députés et font des adresses, pratiquant et apprenant l'art de tout dire sans rien dire, sans rien dédire et sans rien contredire, mais sans rien affirmer, avec une admirable certitude d'incertitude; les autres, emportés loin d'un présent qui leur répugne vers un avenir brûlant qui satisfait leur passion, jettent un grand génie dans des hymnes d'espoir ou de désespoir. Il y a des coins de roman et des fragmens de critique, qui renferment un débris de vérité, mais menue, rompue, honteuse, par fragmens et timide. Une voix héroïque s'élèverait du sein de ces mollesses, on ne manquerait pas de crier: « O pessimiste! ô Timon! ô misanthrope! » Oui, l'on trouve bien des colères et des injures, quand on le veut, mais c'est contre un rival; on se fâche, mais dans son intérêt, jamais dans l'intérêt de la vérité. Le journaliste attaque le journaliste, et le romancier le romancier; on se venge, voilà tout. La Bruyère, Molière, Aristophane et Shakspeare sont devenus impossibles: la contemplation et la transmission du vrai ne touchent plus des gens si fort ensevelis dans le calcul des intérêts présens et brutes. Caisse générale d'amortissement, où toutes les consciences viennent dormir; jeu dont toutes les cartes sont bizautées, accommodement sans fin, compromis universel; transaction, concession, ménagement de tout pour tout et de tous pour tous. Je sens déjà combien ce que je dis paraît blessant et rude à ceux qui l'écoutent; c'est un fait incontestable que l'amoindrissement des partis, l'affaiblissement des nuances et leur subdivision infiniment subtile, perdue au sein des vapeurs; on sait que la question littéraire, si insolemment et si mensongèrement posée, est morte; que la question industrielle, si imprudemment, si follement, si violemment mise sur le tapis, est morte; que les millièmes de fractions et de nuances qui subdivisent les partis expirent après un rapetissement douloureux qui rappelle les vers du vieux poète :

Toujours, toujours ils s'amenuisent,
Tant, que vous en mettrez bientôt

Trente ou quarante dans un pot (1).

Voilà pourquoi est muette la société notre fille.

Voilà pourquoi toute voix semble trop hardie, toute observation trop misanthropique, toute lueur de vérité trop ardente.

(1) La Bible Guyot.

Je préviens ceux qui trouveront cette citation trop française, et qui pourraient préparer contre elle une accusation sérieuse d'inexactitude au premier chef, que ces vers sont exacts, mais qu'ils sont traduits.

L'excellent livre (1) publié par M. Frégier est un livre « vrai », autant qu'un livre peut l'être aujourd'hui. Il faut le chiffre, le fait, la statistique, non le raisonnement, pour que la vérité se fasse jour. Dans une population spirituelle, active et crédule, jamais les raisons ne manquent contre la raison. Contre l'argument du chiffre, contre la force irrésistible du fait, aucune éloquence n'est valable. Aussi regardons-nous ces deux volumes comme un des plus éminens services que l'on ait rendus au temps présent. Ils n'exagèrent rien; tout au contraire, ilsatténuent. L'auteur est un administrateur sagace, attentif et circonspect, que ses découvertes épouvantent quelquefois, et qui les voile ou les colore de temps à autre; qui, se chargeant de faire la nosologie sociale, craint de répandre la maladie en la découvrant;" qui n'attaque et ne déconsidère jamais l'administration à laquelle il appartient; qui ne heurte pas de front son époque et montre une grande confiance dans le progrès qu'elle poursuit. On peut donc se livrer à lui en toute conscience. Il vous fera connaître et pénétrer tous les détails de ce Paris inconnu, de ce Paris souterrain, qui a ses catacombes et ses cavernes comme l'autre Paris au-dessus duquel nous marchons. Le résultat définitif de son œuvre modeste et puissante, c'est que les améliorations réelles n'ont pas marché du même pas que les améliorations apparentes; c'est que, si la vie matérielle a beaucoup gagné, la vie morale et le bien-être véritable ont gagné peu de chose; c'est que la civilisation, après s'être donné de meilleures maisons, de meilleures rues, une existence physique plus saine et plus large, doit travailler, si elle ne veut périr, à se donner une meilleure ame, une meilleure intelligence et un bonheur moins grossier; c'est que le matérialisme enfin ne conduit jamais, quoi qu'en ait dit Condorcet, à l'assainissement moral de l'espèce; c'est que toute la portion morale de la réforme sociale est encore à faire. Comme corollaire de ce résumé, vous trouvez d'autres maximes, faites pour surprendre les législatenrs; c'est que les formules de la politique n'influent pas autant qu'on le croit sur le bonheur des hommes; c'est que la source réelle de ce bonheur ne gît pas dans certaines lois, mais dans la prédisposition des esprits, dans l'existence des habitudes auxquelles ces lois seront appliquées; c'est que les vrais amis du progrès ont un autre devoir à remplir que de discuter d'inapercevables et d'inutiles nuances d'opinions fractionnées; c'est enfin que les esprits les plus avancés, les voyans, les bienfaiteurs

(1) Des Classes dangereuses de la population dans les grandes villes. - Paris, Baillière.

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