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ordres de mon capitaine, répondit le dragon en se dirigeant du côté de la cellule occupée par l'abbé Du Chayla.

Poul, malgré sa colère, sentit qu'il n'obtiendrait rien d'un homme aussi opiniâtre que Larose. Il le suivit chez l'archiprêtre.

L'abbé Du Chayla travaillait avec le capucin son secrétaire, lorsque le brigadier entra suivi du partisan.

Monseigneur, s'écria Larose, mon capitaine, M. le marquis de Florac, est mort ou prisonnier. Le cornette est tué pour sûr. Il ne reste pas vingt dragons de notre compagnie! Avant une heure peutêtre, vous serez attaqué ici par les fanatiques.

-

- Ils se montrent enfin! s'écria Poul avec une joie farouche.

- Oui, oui; et vous ne les verrez peut-être que trop tôt! reprit le brigadier, comme s'il eût encore été sous l'impression d'une grande terreur.

Malgré son impassibilité habituelle, l'abbé parut frappé de cette nouvelle.

- Que dites-vous? Expliquez-vous, dit-il au dragon.

Vous savez, monseigneur, que d'après les ordres de mon capitaine, j'étais parti pour Montpellier avec des lettres de lui et de vous, destinées à monseigneur le maréchal de Montrevel.

- Eh bien? dit l'abbé avec anxiété.

Je ne fais en route d'autre mauvaise rencontre que celle d'une jolie dame qui me demande des nouvelles de mon capitaine, et me fait boire d'un certain vin et manger d'un certain pâté...

Mais ces lettres! ces lettres! s'écria l'abbé en interrompant Larose.

— C'est juste, monseigneur; le vin est bu, n'en parlons plus. J'arrive à Montpellier, je remets mes lettres à M. de Basville. M. de Basville me dit d'aller me rafraîchir à l'office, et que je partirai le lendemain avec deux compagnies de fusiliers du régiment de Calvisson, qu'on vous envoyait pour renfort, monseigneur. Je devais leur servir de guide.

Et ces troupes? demanda l'archiprêtre.

- Ces troupes? Il y en a les trois quarts de tués, et le reste s'est débandé, fuit de tous côtés, et sera sans doute égorgé en détail par les fanatiques.

- Les rebelles vous ont donc attaqués? ils ont donc des forces considérables!

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Eh! quand ils seraient dix mille, vingt mille, s'écria Poul d'un

air méprisant, ce ne serait toujours que vingt mille paysans ou gar

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deurs de vaches. Je voudrais, mordieu! en leur montrant seulement les casaques de mes partisans, les voir fuir comme une nuée de moucherons.

Larose allait vertement relever cette forfanterie de partisan, mais l'abbé reprit :

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· Où avez-vous été attaqués?

A cinq lieues d'ici, sur la route de Nîmes, à l'endroit qu'on a appelé le Col de Saint-André-d'Ancize; nous y avons rencontré M. le marquis de Florac, mon capitaine, qui venait au-devant de nous avec sa compagnie. Parti d'ici ce matin, il avait fait un grand circuit pour battre et éclairer les environs en venant nous rejoindre.

- Il est, en effet, sorti d'ici ce matin au point du jour, dit l'abbé. -Après une halte d'une heure, nous reprenons le chemin du Pont-de-Montvert, et nous continuons de nous engager dans le défilé. Nous avions fait deux lieues, et nous allions en sortir, lorsque un cavalier de nos vedettes d'avant-garde se replie pour annoncer à M. le marquis qu'on apercevait à l'issue du défilé, sur la lisière d'un bois, un assez grand rassemblement d'hommes sans armes. Mon capitaine commande halte, et m'envoie en reconnaissance. Je trouve là une centaine de paysans et de montagnards, tête nue, occupés à écouter un homme vêtu de noir qui les prêchait.

- Quelle audace! en plein jour! jusque sous les yeux des troupes! s'écria l'abbé.

L'audace n'est pas encore là, monseigneur, elle est plus loin; vous allez voir, reprit Larose. Je reviens au galop rendre compte à M. le marquis que c'était un prêche. « Prends dix cavaliers avec toi, -charge ces drôles et disperse-les, me dit mon capitaine; s'ils résistent, foule-les aux pieds des chevaux, et ne fais tirer qu'à la dernière extrémité, car ces boucheries me répugnent. » Je prends dix hommes avec moi, je m'avance; le prédicant allait toujours son train. De par le roi, tirez d'ici, tirez vos chausses, et gagnez les champs, canailles, dis-je à ces gens, ou sinon vous allez sentir le poitrail de nos chevaux. Passez votre chemin, mon frère, et laissez en paix les fils du Seigneur implorer sa miséricorde pour les maux qu'ils souffrent, me répondit le prédicant. - Comment! que je passe mon chemin, chien d'hérétique! lui dis-je en marchant sur lui pour le prendre au collet; c'est quand je t'aurai attaché à la queue de mon cheval, que je passerai mon chemin, et tu passeras avec moi. En disant cela, je happe mon homme: Mes frères! s'écrie-t-il alors, à genoux ! et entonnez le psaume de la délivrance des fils d'Israël. Et voilà mes braillards et

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mes braillardes, car il y avait jusqu'à des femmes et jusqu'à des enfans dans ce rassemblement, qui se mettent à chanter à tue-tête leur damné psaume sur un air à porter le diable en terre. Impatienté d'entendre ce tintamare, M. le marquis se détache et arrive au galop avec quelques cavaliers; il veut faire taire les chanteurs à coups de crosses de mousquets; mais, bah! rien n'y fait; ils ont la peau trop dure à l'endroit de la religion. On a beau les rouer de coups, ils continuent de chanter; seulement à chaque bourrade ils détonnaient à vous rendre sourds. Le psaume fini, le prédicant, que deux de mes cavaliers commençaient à ficeler, se met à dire à M. le marquis : Au nom du Dieu vivant, je proteste contre la violence que me font vos soldats. Nous sommes inoffensifs, nous adorons Dieu, ainsi que l'ont adoré nos pères; laissez-nous libres. Oui, oui, nous ne faisons aucun mal, laissez-nous libres, répètent les chanteurs de psaumes. -Au nom du roi, dispersez-vous à l'instant, ou je tire sur vous comme j'aurais dû le faire, répond mon capitaine. Mais ce que vous ne croirez jamais, monseigneur, c'est que ce prédicant, que je m'apprêtais à attacher à la queue de mon cheval, se met à dire à M. le marquis: Et moi, une dernière fois, au nom du Dieu vivant, je vous somme de vous retirer, vous et vos troupes, et de nous laisser prier en paix.-Vous avouerez, monseigneur, que quand les voleurs veulent se mêler d'arrêter la maréchaussée, ça devient trop drôle; aussi M. le marquis, faisant demi-tour, pour ne pas tirer à bout portant," nous fit faire une décharge à une trentaine de pas.

- Vraiment? il s'y est enfin décidé? C'est fort heureux, dit Poul en ricanant. Et il a sans doute donné l'ordre de tirer en l'air?

-Tout à coup, monseigneur, continua Larose trop occupé de son récit pour avoir égard à l'interruption du partisan, nous entendons un chant terrible qui avait l'air de sortir de dessous terre; un feu épouvantable part du bois et nous prend en flanc; nous étions tombés en plein dans une embuscade.

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Une révolte à main armée! Ah! que de sang, que de sang va couler, dit l'abbé en levant au ciel son regard sombre.

-Et l'infanterie s'était, je l'espère, mise en bataille en dehors du ravin, pour le couronner, s'écria Poul.

Malheureusement non, dit Larose; elle était restée l'arme au bras dans le défilé. Qui se serait attendu à être attaqué? Aussitôt après leur décharge, les fanatiques, au nombre de deux ou trois mille, sortent comme des furieux de la forêt, nous chargent avec rage et nous rejettent dans le ravin; nous y refoulons notre infan

terie, qui venait au pas de course à notre secours; ainsi nous empêchons son feu. Pour nous achever, une foule de ces brigands se montrent sur les crêtes du défilé, et de là nous criblent de coups de fusil et de quartiers de rochers, qu'ils font rouler sur nous. L'entrée du chemin creux, par laquelle nous aurions pu en sortir, était défendue avec acharnement par une troupe d'enragés qui avait pour chef un démon incarné nommé Jean Cavalier, autrefois exilé à Genève.

- Le fils de Jérôme Cavalier qui est ici, dans les ceps? le fermier de Saint-Andéol? demanda l'abbé, ne pouvant se rappeler sans une secrète horreur la scène de la claie.

- Lui-même, monseigneur. Mais il faut que ces bandits aient été dressés à manier les armes par quelque vieux soldat; je n'ai jamais vu de feu de peloton mieux nourri que le leur: on eût dit un roulement de timbales. Trois fois nous avons voulu forcer ce passage, trois fois nous avons été repoussés. Le ravin était si étroit que six hommes à peine pouvaient y marcher de front; nous gênions les fantassins, qui nous gênaient; nous tombions dru comme des mouches; enfin, mon capitaine me dit: Larose, nous allons tenter une dernière charge; si tu en réchappes, et si tu parviens à passer sur le ventre de ces brigands, tâche de courir à l'abbaye prévenir monseigneur l'archiprêtre de notre déroute. Au moment où il donnait cet ordre, le feu des fanatiques se ralentit un peu; nous les chargeons avec tant d'impétuosité, que nous en renversons quelques-uns, en faisant une trouée dans leur masse; mais ils se reforment bientôt, heureusement derrière moi j'étais passé. Tout en piquant des deux, je me retourne, je vois mon pauvre capitaine tomber de son cheval, et cet infernal Jean Cavalier courir sur lui le sabre levé.

Le marquis est-il mort? est-il prisonnier?

-Je ne sais, monseigneur; si j'avais eu la moindre chance de le secourir, je ne l'aurais pas abandonné; mais je vis les rebelles, se reformant après cette charge, se précipiter en masse dans le défilé, en chantant un de leurs psaumes d'une voix éclatante. L'infanterie aura été massacrée. Quant à la cavalerie, le peu qui en reste a pu battre en retraite et arriver à l'autre issue du défilé. Tout ce qu'il y a à espérer, c'est que quelques-uns des fuyards gagneront Montpellier et y donneront l'alarme. M. le maréchal enverra des forces imposantes, et nous serons secourus.

Poul avait écouté le récit de Larose avec attention; il semblait profondément réfléchir et oublier sa dédaigneuse audace.

- Ces misérables ouvrent la campagne par un brillant avantage sur des troupes réglées : cela ne vaut rien, dit-il en hochant la tête. Le cheval qui mord une fois impunément son maître, deviendra dangereux et indomptable.

Mais vous êtes blessé! dit l'archiprêtre au brigadier en remarquant le sang qui souillait son uniforme.

-Oui, monseigneur, à l'épaule, je crois, mais c'est peu de chose, car je ne le sens pas. Ah! monseigneur, quelle guerre! quelle guerre! J'ai fait celle de Hollande, celle du Palatinat; mais je n'ai jamais rencontré de forcenés pareils! j'en ai vu qui, n'ayant pour toute arme qu'un morceau de rocher dans chaque main, se précipitaient tête baissée dans nos rangs et achevaient nos `blessés à coups de pierre. On tuait ces enragés sur le corps de leur victime, c'est vrai; mais c'est égal; ah! c'était atroce à voir.

- Que pensez-vous, capitaine? dit l'archiprêtre à Poul avec son calme habituel. Quelles dispositions jugez-vous convenables pour assurer la garde de nos prisonniers, dans le cas où les rebelles viendraient attaquer l'abbaye?

Je vais aller donner un nouveau coup d'œil au dehors et faire pour le mieux, monsieur l'abbé. Quant à vous, mon garçon, ne dites pas un mot de ceci à mes miquelets, vous leur feriez peut-être partager votre panique.

- Si les dragons de Saint-Sernin ont tourné bride, 'c'est que des soldats, plus braves que les miquelets, auraient lâché pied; il n'y a pas là de panique, répondit Larose d'un air courroucé.

— Je ne doute pas de votre courage, ni de celui de votre capitaine, mon garçon; mais il faut une certaine habitude pour supporter de sang-froid la première attaque de ces furieux. J'ai vu des hordes de Bulgares à demi sauvages, seulement armés de pieux et de frondes, mettre en déroute les plus vieilles et les meilleures troupes impériales; mais cela ne durait pas; la tactique et la discipline l'emportent bientôt sur ces bandits féroces.

Je compte sur vous, capitaine, pour assurer la défense de l'abbaye et la garde de nos prisonniers, dit l'archiprêtre à Poul; et vous, Larose, allez trouver le frère lai qui m'accompagne; il a quelques connaissances en chirurgie et pourra vous donner les premiers soins..

Le partisan et le brigadier se retirèrent; l'abbé Du Chayla resta. seul avec son secrétaire.

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