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tenant une succession rapide de changements de résidence d'une ville à l'autre. Tout accroissement de commerce et de manufactures favorise encore cette assimilation en répandant la fortune, et en plaçant les plus grands objets d'ambition à la portée générale, par où il advient que le désir de s'élever n'appartient plus exclusivement à une classe, mais à toutes. Mais une influence plus puissante que toutes celles-ci pour amener une similitude générale parmi les hommes, c'est l'établissement complet dans ce pays et dans d'autres, de l'ascendant de l'opinion publique dans l'État. Comme les nombreuses éminences sociales qui permettaient aux personnes retranchées derrière elles de mépriser l'opinion de la multitude, se nivellent graduellement, comme l'idée même de résister à la volonté du public, quand on sait positivement qu'il a une volonté, disparaît de plus en plus de l'esprit des politiques pratiques, il cesse d'y avoir aucun soutien social pour la non conformité. Il n'y a plus dans la société de pouvoir indépendant, qui, opposé lui-même à l'ascendant de la majorité, soit intéressé à prendre sous sa prolection des opinions et des tendances contraires à celles du public.

La réunion de toutes ces causes forme une si grande · masse d'influences hostiles à l'Individualité, qu'on ne peut guère démêler comment elle sera capable de défendre son terrain. Elle y trouvera une difficulté

croissante, à moins que la partie intelligente du public n'apprenne à sentir la valeur de cet élément, à tenir pour nécessaires les différences, quand même elles ne seraient pas en mieux, quand même, selon quelques-uns, elles seraient en plus mal. Si les droits de l'individualité doivent jamais être revendiqués, le temps est venu de le faire, tandis que beaucoup de choses manquent encore pour compléter l'assimilation imposée. C'est seulement au début qu'on peut se défendre avec succès contre l'empiétement. La prétention générale de rendre les autres semblables à vous, croît par ce dont elle se nourrit. Si on attend pour lui résister que la vie soit presque réduite à un type unique, tout ce qui s'écarte de ce type sera regardé alors comme chose impie, immorale, et même monstrueuse et contre nature. L'espèce humaine deviendra promptement incapable de comprendre la diversité, quand elle en aura pendant quelque temps perdu le spectacle.

CHAPITRE IV

Des limites au pouvoir de la société sur l'individu.

Où sont donc les justes bornes de la souveraineté de l'individu sur lui-même? Où commence le pouvoir de la société? Combien de la vie humaine doitil être attribué à l'individualité et combien à la société? Chacune d'elles recevra la part qui lui revient, si chacune a celle qui l'intéresse le plus particulièment. L'individualité doit gouverner cette partie de la vie qui intéresse principalement l'individu, et la société cette autre partie qui intéresse principalement la société.

Quoique la société n'ait pas un contrat pour base, et quoiqu'il ne serve de rien d'inventer un contrat pour en déduire des obligations sociales, néanmoins tous ceux qui reçoivent la protection de la société lui doivent un retour pour ce bienfait. Le fait seul

de vivre en société impose à chacun une certaine ligne de conduite envers autrui. Cette conduite consiste: 1° à ne pas nuire aux intérêts d'autrui, ou plutôt à certains de ces intérêts qui, soit par une disposition légale, expresse, soit par un accord tacite doivent être regardés comme des droits; 2o à prendre chacun sa part (qui doit être fixée d'après. quelque principe équitable) des travaux et des sacrifices nécessaires pour défendre la société ou ses membres contre tout dommage ou toute vexation. La société a le droit absolu d'imposer ces obligations à ceux qui voudraient s'en exempter. Et ce n'est pas encore là tout ce que la société peut faire. Les actes d'un individu peuvent être nuisibles aux autres, ou ne pas prendre en considération suffisante leur bienêtre, sans aller jusqu'à violer aucun de leurs droits constitués. Le coupable peut alors en toute justice être puni par l'opinion, quoiqu'il ne le soit pas par la loi. Dès que la conduite d'une personne est préjudiciable aux intérêts d'autrui, la société a le droit de la juger, et la question de savoir si cette intervention favorisera ou non le bien-être général devient un sujet de discussion. Mais il n'y a pas lieu de débattre cette question, lorsque la conduite d'unc personne ne touche que ses propres intérêts, ou ne touche les intérêts des autres que parce que les autres le veulent bien (toutes les personnes intéressées étant d'un âge mûr et douées d'une intelligence or

dinaire). En pareil cas, on devrait avoir liberté complète, légale et sociale, de faire toutes choses, à tous risques.

On entendrait mal ces idées, si l'on y voyait une doctrine d'indifférence égoïste, prétendant que les êtres humains n'ont rien à voir mutuellement dans leur conduite, et qu'ils ne doivent s'inquiéter du bienêtre et des actions d'autrui, que lorsque leur propre intérêt est en jeu. Au lieu d'une diminution, ce qu'il faut c'est un grand accroissement des efforts désintéressés pour favoriser le bien d'autrui. Mais la bienveillance désintéressée peut trouver un autre moyen de persuasion que le fouet, figuré ou réel. Je ne veux nullement déprécier les vertus personnelles; seulement elles ne viennent qu'après les vertus sociales. C'est l'affaire de l'éducation de les cultiver toutes également. Mais l'éducation elle-même procède par la conviction et la persuasion, aussi bien que par la contrainte: et c'est seulement par les deux premiers moyens qu'une fois l'éducation finie on devrait inculquer les vertus individuelles. Les hommes doivent s'aider les uns les autres à distinguer le mieux du pire, et s'encourager à préférer le premier et à éviter le second. Ils devraient se stimuler perpétuellement à un exercice croissant de leurs plus nobles facultés, à une direction croissante de leurs sentiments et leurs vues vers des objets, non plus stupides mais sages, non plus abjects mais

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