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avaient espéré ne jamais l'y revoir. D'où venait un si brusque retour? Le secret de leur complot était-il découvert? Afin de se concerter entr'eux, ils se réunirent dans la partie la moins fréquentée de l'infirmerie. « Je sais, dit un des fauteurs de «la révolte, Geoffroy de Lagny, que vous êtes incapables de << vous laisser ébranler comme des enfants, et de renoncer à << l'accomplissement de vos projets. Vous avez promis dé<< vouement absolu à Pierre d'Auvergne, l'abbé de votre << choix. Cependant, si vous m'en croyez, vous allez vous << engager de nouveau soit envers lui, soit envers chacun de <«< ceux qui soutiennent sa cause. » Ils y consentirent, renouvelèrent leurs serments impies, et passèrent toute la nuit en colloques. On se demande comment et pourquoi tant d'allées et de venues, tant de réunions suspectes, n'attiraient pas l'attention de ceux qui étaient chargés de veiller à la discipline de l'abbaye. L'audace des conjurés semble autorisée par l'aveuglement ou l'incurie de leurs adversaires. Heureusement les complots les mieux ourdis se trahissent eux-mêmes, par les confidences de quelques indiscrets ou la délation de quelques misérables. C'est ce qui allait arriver ici.

Malgré le danger d'une lutte violente avec le comte de Nevers, malgré le fardeau des dettes antérieures, malgré les discussions intestines, on construisait toujours à Vézelay. Les moines de la Madeleine, en secouant le joug de Cluny, avaient conservé intact le goût des constructions grandioses, qui est le caractère distinctif des Clunisiens aux xie et xie siècles. Ils avaient déjà complété leur immense basilique par l'adjonction du narthex, des tours latérales et de la salle capitulaire ce qui ne les avait pas empêchés d'élever l'église commémorative de Sainte-Croix. Ils avaient remanié de fond

en comble les bâtiments du monastère, et néanmoins ils venaient d'entreprendre un dortoir plus vaste et plus somptueux que celui qui existait auparavant. Maintes fois ils furent troublés dans l'exécution de leur dessein: rien ne les rebuta. Ils avaient fait faire un immense four à chaux, et, quand on y mettait le feu, ils allaient chercher, pour l'entretenir, du bois dans la forêt voisine. Un jour les satellites du comte de Nevers enlevèrent le bois et les charriots sur lesquels il était chargé, de sorte que la fournée, dont la valeur était considérable, fut complétement perdue. En dépit de tels mécomptes, fréquemment répétés, la construction du dortoir continua, et la première chose que fit Guillaume de Mello, le lendemain de son retour à Vézelay, fut d'aller inspecter les travaux alors en pleine activité.

Pendant qu'il se livrait à cet examen, un moine s'approcha du doyen Vincent et lui dit à la dérobée: « Prenez garde! << Plusieurs religieux de ce monastère se sont ligués avec le << comte pour renverser notre abbé. Pierre d'Auvergne et le << jeune Thibaut sont partis à la rencontre du pape Alexandre, << qu'ils espèrent décider en leur faveur. » Le doyen Vincent se hâta de transmettre à Guillaume de Mello la confidence qu'il venait de recevoir. Elle était si étrange, si imprévue, que ni l'un ni l'autre ne voulaient y ajouter foi. Mais un autre moine vint encore prévenir l'abbé, lai signalant les mêmes faits, et lui révélant en outre le nom des principaux coupables. Cette fois l'hésitation n'était plus possible. Guillaume de Mello convoqua dans sa chambre les dignitaires de l'abbaye sur la fidélité desquels il pouvait compter et leur raconta ce qu'il avait appris. A peine avait-il fini de parler que l'un des assistants, Geoffroy, le sous-prieur, dit à son tour: «Vos paroles réveillent dans mon esprit un souvenir

« que j'ai eu tort de négliger jusqu'ici. Il y a trois jours, Robert, l'économe, m'a déjà averti qu'il avait entendu << parler de dangers terribles menaçant notre église. Je lui << demandai de qui il tenait ces propos : il me répondit que « c'était du frère Maurice. Je lui demandai également s'il << savait en quoi consistaient les dangers dont nous étions << menacés et il m'assura que, malgré ses instances, il << n'avait pu obtenir aucune espèce de détail précis. » << Tout cela est grave, observa l'abbé Guillaume, nous << n'avons pas de temps à perdre pour agir. Le moindre <<souffle de vent suffirait pour allumer un incendie déplora«ble. » Aussitôt on délibéra sur les mesures à prendre, et l'on résolut d'interroger d'abord le frère Maurice, qui le premier avait dénoncé l'existence du mal. C'était un jeune homme de noble origine, d'un excellent naturel, et qui n'avait jamais reçu dans le monastère que des marques de bienveillance. On avait lieu de croire qu'il se déciderait à révéler la vérité tout entière. Effectivement, Maurice déclara qu'il existait un complot dont le but était de renverser l'abbé Guillaume et dans lequel on avait essayé de l'enrôler. Il n'avait pas voulu se lier par serment avec les conspirateurs, mais il avait eu la faiblesse de leur promettre qu'il ne s'opposerait pas à l'exécution de leurs desseins. Après lui, plusieurs autres moines, Renaud de Lésignes, Pierre de Sermizelles et Hilduin furent entendus successivement. Ils donnèrent des renseignements positifs sur les démarches que le parti de la révolte avait tentées auprès d'eux et qu'ils n'avaient pas eu le courage de repousser avec énergie.

Eclairé par cette enquête, l'abbé fit mander deux des chefs du complot Barthélemy-le-Batard et Guillaume Pideth. Barthélemy commença par nier effrontément, puis se rendant

aux instances du prieur Gilon, il reconnut l'existence du complot et avoua le rôle important qu'il y avait joué. Guillaume Pideth se montra plus opiniâtre: il se renferma dans un système de dénégation qui attira sur sa tête une sentence d'excommunication. En vain, suivant les instructions qu'il avait reçues de Pierre d'Auvergne, il s'écria qu'il en appelait au pape mieux informé. Malgré son appel, il fut saisi au corps et renfermé en lieu sûr. Le lendemain matin, après la célébration des matines, Guillaume de Mello se rendit dans la salle capitulaire, et là, en face de tous les moines assemblés, Renaud de Lésignes, Pierre de Sermizelles, Hilduin et même Barthélemy-le-Bâtard, renouvelèrent leurs aveux. Ils jurèrent sur les Saints-Evangiles qu'ils abjuraient tout pacte avec l'iniquité. Après quoi, l'abbé leur accorda grâce et leur donna le baiser de paix. Guillaume Pideth ne tarda pas à suivre l'exemple de ses complices. Se voyant abandonné, privé de tout secours, il se fit conduire au Chapitre, confessa son crime, feignit un repentir dont il était incapable et obtint à son tour un pardon qu'il ne méritait pas. Restait Geoffroy de Lagny, qui n'avait pas été signalé jusque-là parmi les chefs de l'insurrection. Son nom fut tout à coup prononcé. Alors il se leva, protesta de son innocence et offrit de jurer sur le texte de l'Ecriture qu'il n'avait jamais eu connaissance des projets exécrables ourdis contre l'abbé Guillaume. Ce dernier, indulgent et faible, se contenta des protestations du misérable, et, s'adressant à tous les religieux, il les exhorta à se mettre en garde contre les fauteurs de discorde, quels qu'ils fussent et quelque motif qu'ils alléguassent. Il leur représenta que leur salut et leur liberté dépendaient de leur conduite; que le comte de Nevers avait seul intérêt à les diviser, pour les réduire plus sûrement

à une dépendance absolue, et que, s'ils voulaient déjouer ses manœuvres, ils devaient s'efforcer de rétablir dans le monastère la paix et la concorde. Ensuite il ordonna une procession solennelle et célébra le sacrifice divin pour attirer sur l'abbaye les bénédictions du Seigneur.

Ceux des moines qui, ayant trempé dans le complot, se repentaient sincèrement de leur faute, s'empressèrent d'écrire à Pierre d'Auvergne pour le prévenir de ce qui s'était passé, et pour le dissuader de poursuivre le succès d'une entreprise désormais impossible. En même temps ils adressèrent au pape Alexandre, alors à Montpellier, une lettre collective dans laquelle ils déclaraient qu'ils avaient été trompés par un homme des mauvais jours, endurci dans le vice, et demandaient avec instance que cet homme, s'il venait à la cour apostolique dénoncer l'abbé légitime, fût repoussé comme un vil criminel. Pour plus de sûreté, Guillaume de Mello résolut d'aller lui-même auprès du Souverain-Pontife. Il fit secrètement ses préparatifs de départ, et, la nuit venue, il se rendit à Avallon, d'où il franchit en sept jours la distance qui le séparait de Montpellier (1).

Mais quelque diligence qu'il eût mise, il trouva ses adversaires déjà installés dans la ville et commençant leurs démarches. Pierre d'Auvergne et Thibaut n'avaient tenu aucun compte de la lettre qu'ils avaient reçue de leurs anciens complices. Au lieu d'abandonner leurs projets, les sachant découverts, ils redoublaient d'audace et d'activité. De son côté, l'abbé de Bourras, qui les accompagnait, profitant de

(1) Dans ce voyage, l'abbé Guillaume se fit accompagner de plusieurs religieux ou dignitaires de l'abbaye, parmi lesquels Hugues de Poitiers, le chroniqueur.

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