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CHAPITRE XLIII.

De l'Inquisition d'Espagne pendant le

règne de Charles IV.

ARTICLE PREMIER.

État des lumières en Espagne. Quelques Procès.

I. CHARLES IV monta sur le trône le 17 novembre 1788; il abdiqua la couronne, le 19 mars 1808, à la suite des mouvemens qui eurent lieu à Aranjuez, et après avoir régné pendant vingt ans sur l'Espagne. Ce prince crut conserver ses jours, ceux de la reine son épouse, et du prince de la Paix, par l'abandon qu'il fit de ses droits de souverain en faveur de son fils aîné, Ferdinand, prince des Asturies, que les représentans de la nation avaient déjà reconnu pour l'héritier présomptif de la monarchie.

II. Les inquisiteurs généraux du règne de Charles IV furent D. Augustin Rubin de Cevallos, évêque de Jaen, mort en 1792; D. Manuel de Abad-y-laSierra, archevêque de Selimbria, ancien évêque d'Astorga, qu'un ordre de la cour obligea, en 1794, de donner sa démission; le cardinal archevêque de Tolède, D. François Lorenzana, qui renonça à ses fonctions en 1797, et D. Ramon Joseph de Arce, d'abord archevêque de Burgos, et ensuite de Saragosse, et patriarche des Indes.

III. Les lumières avaient commencé à pénétrer en Espagne pendant le règne de Philippe V elles firent

quelques progrès sous Ferdinand VI et Charles III, et s'accrurent d'une manière remarquable sous le gouvernement de Charles IV. Les deux obstacles qui avaient empêché jusqu'alors leur propagation n'existaient plus depuis la réforme des six grands colléges de la couronne de Castille et l'expulsion des jésuites. Avant cette espèce de révolution, les canonicats d'office des églises cathédrales et les magistratures de robe n'étaient donnés qu'aux membres ou aux aggrégés de ces colléges, pendant que le crédit énorme des jésuites éloignait des places et des honneurs quiconque n'était ni leur évève ni jésuite de robe courte; deux classes qui composaient en quelque sorté un tiers. ordre de la Compagnie de Jésus. Le marquis de Roda fut le principal auteur de cette double mesure politique, qui lui attira la haine des collégiaux et des disciples de Saint Ignace. Mais le nom de ce ministre a mérité une place honorable dans l'histoire, parce qu'en accordant à toutes les classes les récompenses dues au mérite, il excita une émulation générale, dont l'effet fut de répandre l'instruction et le goût des sciences. C'est ce qui a fait dire que la restauration de la bonne littérature espagnole a été l'ouvrage du marquis de Roda, qui opéra eet heureux changement en 1770, par l'application des mesures qui réglèrent l'état et le mode des études des universités et des colléges, lorsque l'instruction publique dans le royaume ne fut plus entre les mains des jésuites. Je pense cependant qu'on peut fixer, avec plus d'exactitude, le commencement de la bonne littérature en Espagne au temps de Philippe V; car on voit sous ce règne, dans la péninsule, les germes qui bientôt après produisirent des hommes tels que les Roda, les Campomanes, les

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Floridablanca, et beaucoup d'autres Espagnols non moins éclairés.

IV. Pendant les vingt anné es qui précédèrent l'avè nement de Charles IV, il se forma une multitude d'hommes distingués pour le règne de ce prince, et il est incontestable que leurs efforts eussent conduit l'Espagne à rivaliser avec la France, pour le bon goût et la perfection des ouvrages littéraires, si un des évènemens les plus malheureux de l'histoire n'eût arrêté l'impulsion que ces grands hommes avaient donnée. La révolution française vit naître une foule d'ouvrages sur les droits de l'homme, du citoyen, du peuple et des nations, dont les principes ne pouvaient qu'alarmer le roi Charles IV, et ses ministres. Les Espagnols lisaient avidement ces productions, enfantées par l'esprit de liberté, et les idées nouvelles gagnaient rapidement dans toutes les provinces. Le ministère craignit la contagion de la nouvelle doctrine politique; mais, en voulant l'arrêter, il fit rétrograder l'esprit humain. Il chargea l'inquisiteur général de prohiber et de faire saisir tous les livres, feuilles et journaux français relatifs à la révolution, et de recommander à tous les agens de son ministère de veiller avec le plus grand soin, pour en empêcher l'introduction elandestine dans le royaume : une seconde mesure employée par le gouvernement fut de supprimer dans les universités, et dans tous les autres établissemens d'instruction publique, les chaires d'enseignement du droit naturel et des gens.

V. Le comte de Floridablanca était alors premier ministre, secrétaire d'état. Cette conduite le perdit entièrement dans l'esprit de la nation. On lui reprocha de n'être qu'un novice en matière de gouverne

ment', d'ignorer les véritables moyens de préserver l'Espagne d'une révolution, et de ne savoir employer que des mesures plus propres à retarder le mal qu'à l'empêcher; car, disait-on, la défense n'augmente pas seulement la curiosité, elle rend aussi plus inquiet et plus ardent le désir de la satisfaire.

VI. Les instructions que le gouvernement venait d'adresser aux inquisiteurs, furent cause que les commissaires du Saint-Office reçurent l'ordre formel de s'opposer à l'introduction des livres composés par les partisans de la philosophie moderne, comme contraires à l'autorité souveraine, en disant dans les édits publics qu'elles étaient réprouvées par l'Écriture Sainte, particulièrement par Saint Pierre et Saint Paul; et en ordonnant de dénoncer les personnes dont ils connaîtraient l'attachement aux principes de l'in

surrection.

VII. Il serait difficile de calculer le nombre des dénonciations qui suivirent la mesure que le gouvernement de Charles IV venait de prendre. La plupart des dénoncés étaient de jeunes étudians des universités de Salamanque et de Valladolid; il y en eut aussi dans les autres villes et universités du royaume. Ceux qui aimaient à lire les écrits publiés en France, sur la révolution, bravaient la défense des inquisiteurs, et employaient toutes sortes de moyens pour se les procurer; ainsi le droit de la nature et des gens fut alors plus étudié qu'il ne l'avait été avant la suppression de cette partie de l'enseignement. La sévérité de l'administration n'eut d'autre effet que de donner naissance à un nombre presque infini de procès commencés contre les personnes dénoncées, et dont l'instruction préparatoire occupait inu

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tilement les commissaires et les notaires du SaintOffice; parce qu'ils restaient suspendus faute de preuves, à moins qu'on ne vit se multiplier les dénonciations et les témoins de quelque propos qui méritât la censure théologique.

VIII. Beaucoup d'Espagnols, les uns d'une naissance illustre, les autres d'un savoir éminent, furent l'objet d'informations secrettes comme suspects d'impiété et de philosophisme, particulièrement D. Nicolas d'Azara, qui était alors ambassadeur à Rome; D. Antoine Ricardos, général en chef de l'armée de Catalogne, comte de Truillas et de Torrepalma; D. Benoît Bails, professeur de mathématiques à Madrid; D. Louis Cagnuelo, avocat des conseils du roi; D. Joseph Clavijo Faxardo, directeur du cabinet d'histoire naturelle; D. Thomas Iriarte, chef des archives de la première secrétairerie du ministère d'état; D. Félix-Marie de Samaniego, baron et seigneur d'Arraya; D. Grégoire de Vicente, docteur et professeur suppléant à l'université de Valladolid, et D. Ramon de Salas, professeur dans celle de Salamanque. Dans les chapitres XXV et XXVI de cet ouvrage, j'ai fait l'histoire de leurs procès.

IV. Il y eut aussi des requêtes et des examens secrets de témoins contre un grand nombre d'autres Espagnols, qui n'étaient pas moins dignes de l'estime de la nation, par leur rang, leurs emplois, leurs talens ou leurs vertus, après qu'on les eut dénoncés comme jansénistes. Parmi les victimes de cette ridicule imputation, on remarque D. Antoine Tabira, successivement évêque de Canarie, d'Osma et de Salamanque; D. Antoine Palafox, évêque de Cuença; D. Marie Francisque de Portocarrero, comtesse

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