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Il montre en quel sens il faut entendre la parole de SaintPaul, la science enfle. Non content de réfuter les barbares par la raison, il les combat par d'imposantes autorités. Il cite l'exemple des pères les plus célèbres de l'Eglise, qui ont recommandé la science et en ont fait un excellent usage. Il nomme particulièrement saint Augustin et saint Jérôme. Il remonte même jusqu'à Moïse et Daniel, savants, l'un dans la science des Egyptiens et l'autre dans celle des Chaldéens. Il fait voir que la religion condamne, non pas l'usage, mais l'abus de la science profane.

Dans aucun de ses ouvrages, Érasme ne se montre plus agressif et plus acerbe contre l'ignorance, l'hypocrisie et la corruption des moines et des prêtres de son temps. On ne trouve point ici la fine ironie qui règne dans l'Éloge de la Folie. C'est un plaidoyer véhément, impétueux, où éclate l'invective souvent grossière, où l'on reconnaît le feu de la jeunesse, mais aussi une effervescence immodérée et verbeuse. Il ne veut pas souffrir que l'on dispose à son gré du ciel et de l'enfer. Il vante les vertus des païens et va jusqu'à dire que si certains païens ne sont pas sauvés, aucun homme ne l'est.

Il n'a publié que ce premier livre. Il avait promis de donner le second, s'il parvenait à le retrouver, et de refaire à fond les autres. Il invitait ceux qui seraient contents de ce qu'il publiait à joindre leurs efforts pour découvrir le reste. On le voit souvent dans ses lettres redemander son manuscrit à R. Pace. Plus tard, il fit faire des recherches à Ferrare et dans d'autres villes de l'Italie. Quelques passages obscurs de sa correspondance semblent trahir la crainte que certains de ses manuscrits ne fussent publiés indiscrètement. Avait-il en vue les livres confiés à R. Pace? On est réduit sur ce point à des conjectures. Vers la fin de sa vie, il recommandait encore au Portugais Damien de Goës, voyageant en Italie, de rechercher certains manuscrits et de les détruire.

Dans le livre dont nous venons de parler, la lutte des let

trés contre les adversaires des lettres est le sujet même de l'ouvrage. Cette lutte se retrouve dans la plupart des autres sous forme épisodique et par digression. Elle se montre surtout dans la correspondance d'Érasme. Enfant, il rompait des lances en faveur de Laurent Valla qui avait démasqué l'ignorance des barbares. Jeune homme, il adressait une exhortation véhémente à un poète du temps, l'engageant à redoubler d'efforts pour égaler les Italiens et dompter les monstres qui tenaient les lettres comme assiégées. Ailleurs il raillait avec une impitoyable ironie le langage barbare des auteurs scholastiques, tandis qu'il parlait d'Homère avec le plus vif enthousiasme. « C'est, disait-il, l'unique consolation de mes ennuis. Je suis épris d'un tel amour pour ce poète que, lorsque je ne puis le comprendre, sa vue seule me ranime et me nourrit. » Homme mûr, il écrivait à Rome en faveur de Reuchlin persécuté. Il félicitait Budé, qui avait entrepris d'affranchir les bonnes lettres de la tyrannie d'hommes dont la science n'était qu'ignorance, et de rendre à la Gaule la gloire littéraire d'autrefois. Mais pourquoi nous étendre sur ce sujet ? Toute sa correspondance respire l'amour des lettres et la haine de la barbarie. Elle concourt dans une large mesure à son œuvre régénératrice.

VII

Tels furent ses efforts pour propager et vulgariser la Renaissance. Il nous reste à dire quel en fut le succès. B. Rhenanus, son ami, il est vrai, mais froidement sincère, écrivant à l'empereur Charles V une lettre dont tous les termes devaient être posés, s'exprime ainsi : « En Allemagne et en France, les lettres étaient étrangement délaissées. A peine une ou deux personnes savaient le latin, nul ne savait le grec; et voilà que tout à coup, dès que les Chiliades des

Adages et les livres de l'une et l'autre Abondance eurent été publiés, comme si le soleil était apparu au milieu des nuages, la science des langues commença de prendre son essor. On voyait paraître successivement une foule de petits livres propres à la développer, la Grammaire de Gaza traduite en latin, les monuments d'un grand nombre d'auteurs grecs également traduits et publiés dans les deux langues, très commodes pour ceux qui voulaient apprendre le grec sans maître; car c'est par ce moyen, dit-on, qu'Hermolaüs luimême, cette gloire immortelle de Venise, fit des progrès jadis, conférant en son particulier les versions de Gaza avec les originaux; et déjà les hommes les meilleurs dans ces pays favorisaient la cause des lettres.

« Mais ce qui apporta le plus grand secours, ce fut le Collége des trois langues, institué à Louvain par le conseil d'Erasme... De ce collége, ainsi que du cheval de Troie, sont sortis jusqu'à ce jour une foule innombrable d'hommes instruits dans la connaissance des langues; et, s'il plaît au Ciel, il en sortira d'autres encore... Cet établissement attira aussi l'attention du roi François Ier. Il résolut de fonder à Paris un collége semblable et invita par lettres Érasme à venir en France, voulant que tout fût disposé d'après ses conseils. Déjà celui-ci avait reçu une patente royale pour la sécurité de son voyage; mais survinrent des circonstances qui empêchèrent son départ. Toutefois, là aussi furent institués des professeurs. Il est donc reconnu que les progrès des lettres dans nos contrées sont dus principalement à Érasme. Que ne fit-il pas, en effet, pour favoriser l'avancement des études? Avec quelle candeur il communiqua tout, voulut être compris de tout le monde, tandis que bien des savants rendent beaucoup plus obscures des choses obscures par elles-mêmes, en les expliquant!

« Sur le point de publier le livre des Adages, il fut forcé d'entendre ce reproche de la bouche de certains lettrés : « Érasme, vous divulguez nos mystères. » Mais lui désirait

ouvrir à tout le monde les trésors de la science, afin que tous pussent y puiser une instruction parfaite. Il n'avait pas une telle candeur, celui qui, un jour à Venise, voyant Alde Manuce se préparer à publier les Commentaires grecs sur Euripide et Sophocle, lui dit : « Gardez-vous d'en rien faire, de peur que les Barbares, aidés par ce secours, ne restent chez eux, et que moins d'étrangers ne viennent en Italie. » Il n'y eut pas de travail si humble auquel ce grand homme ne s'abaissa, dans l'intérêt des gens d'étude. Il daigna même corriger et interpréter la pièce de vers qui porte le nom de Caton, ne voulant refuser ses services ni dans les grandes. choses ni dans les petites. Il est vrai qu'on pourrait difficilement nommer un homme qui ait plus servi la cause commune des études. »

Ainsi parle Rhenanus. Erasme a décrit lui-même avec un légitime sentiment de satisfaction ce mouvement prodigieux de la Renaissance, qui était dû principalement à ses efforts. « Je ne suis pas bien avide de vivre, écrivait-il à Fabricius Capiton; j'ai presque assez vécu pour mon cœur, car je suis déjà entré dans ma cinquante-et-unième année; et d'ailleurs, dans cette vie, je ne vois rien de magnifique ou de doux pour une âme pénétrée de la foi chrétienne; mais, en ce moment, je rajeunirais presque volontiers pendant quelque temps, uniquement pour voir bientôt se lever l'aurore d'un âge d'or... Les lettres rendues à leur pureté native, les plus belles sciences vont revivre ou briller d'un nouvel éclat. De tous côtés elles trouvent de puissants protecteurs à Rome, Léon X; en Espagne, le .cardinal de Tolède; en Angleterre, Henri VIII, lettré lui-même; dans les Pays-Bas, le roi Charles, jeune prince d'une nature supérieure; en France, François Ier, qui appelle de tous côtés auprès de lui les hommes éminents dans les lettres et dans la science; en Allemagne, beaucoup de princes et d'évêques distingués. Grâce à leur bienfaisante influence, de toutes parts, comme à un signal donné, on voit s'éveiller et surgir de beaux génies, qui sem

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blent travailler de concert à la restauration des belles lettres. Ils se sont partagé le travail en quelque sorte, et l'œuvre marche heureusement. Les lettres, pendant si longtemps presque anéanties, sont cultivées jusqu'en Écosse, jusque dans le Danemark et l'Irlande. Nicolas Léonicus, à Rome; Ambroise Léon de Nole, à Venise; Guillaume Copus et Jean Ruel (1), en France; Thomas Linacer, en Angleterre, ressuscitent la médecine; G. Budé, à Paris; Zazius, en Allemagne, restaurent le droit romain; Henri Glareanus, à Bâle, les mathématiques. >>

Les hommes supérieurs qui forment la tête de l'humanité ont leurs moments d'ivresse, de naïf enthousiasme, de folles espérances. Ils se prennent à rêver un progrès impossible, ce merveilleux âge d'or célébré par l'imagination des poètes. Ces moments durent peu, mais ils se renouvellent souvent; et quand les événements viennent démentir ces espérances exagérées et rappeler à l'homme que dans la voie du progrès, au lieu de voler comme l'aigle, il se traîne comme la tortue, la déception est amère. L'antiquité retrouvée, un monde nouveau découvert, la paix rendue à l'Europe chrétienne par un grand pontife, un mouvement intellectuel embrassant tous les pays et toutes les branches du savoir humain, toutes ces merveilles étaient bien propres à faire naître, au commencement du XVIe siècle, ces espérances sans mesure, ces rêves de perfection sociale, de paix, de félicité universelle, que nos pères connurent aussi dans un moment solennel. Érasme éprouva cet enivrement d'autant plus qu'il s'y joignait l'ivresse de sa gloire personnelle, qui déjà remplissait le monde.

Chose remarquable, ce mouvement de renaissance à l'occident et au nord de l'Europe commença en Angleterre. Nous ne rechercherons pas ici les causes de ce fait, qui nous paraissent complexes. On pourrait peut-être les trouver dans

(1) De Soissons, un des fondateurs de la botanique.

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