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ce livre les traités de la Vieillesse et de l'Amitié, et dédia son travail à Jacques Tutor, professeur de droit canon à Orléans, son ami et son bienfaiteur. Il en fit paraître une seconde édition en 1519, ajoutant quelques notes très courtes et corrigeant quelques endroits altérés (1). A Venise, en 1508, il donna une édition de Térence et revit, pour Alde, les comédies de Plaute.

Un peu plus tard, il entreprit de rétablir le texte de Sénèque. Il avait trouvé à Cambridge quelques manuscrits précieux. Avec un compagnon de travail, il avait parcouru plutôt qu'il n'avait lu entièrement tous les ouvrages de Sénèque, notant à la marge les variantes, ou ses propres conjectures. Il y avait là un très grand nombre de points qui avaient besoin d'être examinés par un homme instruit et attentif. Obligé de quitter Bâle, il se reposa pour toute cette affaire sur un jeune lettré, appelé Nesenus, qui avait alors toute sa confiance. A vrai dire, il avait fait ce travail fort légèrement, s'il faut s'en rapporter au témoignage de B. Rhenanus, homme honnête, ami loyal (2). Le texte de la nouvelle édition se trouva donc très fautif et souvent même inintelligible. Érasme honteux se plaignit de l'incapacité et de la perfidie du correcteur. Il voulut devant le public faire retomber sur lui tout le déshonneur, au lieu d'en prendre sa bonne part. Il accusa même Nesenus d'avoir fait disparaître la partie du texte où se trouvaient les notes les plus nombreuses, pour qu'on ne pût le convaincre de sa négligence.

Autre mésaventure: il avait dédié cette édition de Sénèque à l'évêque de Durham et avait chargé un libraire de remettre l'ouvrage au prélat. Ce libraire, dont il eut plus d'une fois à se plaindre, assura qu'il avait fait sa commission. Érasme crut à une affirmation si positive, et dans ses lettres à l'évêque, il fit mention à plusieurs reprises du volume qui lui avait été

(1) V. 1er vol., p. 266. Il fut beaucoup aidé par le professeur Goclenius.

(2) V. 1er vol., p. 131.

dédié et remis. Le prélat qui n'avait rien reçu, s'imagina être le jouet d'une plaisanterie. Enfin, Érasme étant retourné en Angleterre, sans rien savoir de ce qui s'était passé, le trouva d'une singulière froideur à son égard et en rechercha la

cause.

Au reste, la honte que lui causa cette édition de Sénèque, loin de le décourager, aiguillonna son ardeur. Quelque mauvaise qu'elle fût, elle avait corrigé d'assez nombreuses fautes, et elle pouvait faire espérer aux gens instruits que ce terrain, hérissé de broussailles, deviendrait par de nouveaux efforts un champ cultivé et fécond. Il pria donc un de ses anciens amis, l'anglais Aldrisius, de faire collationner le Sénèque publié par Froben avec un excellent manuscrit du collége royal de Cambridge et marquer en marge les différences. Il voulait par là remplacer ce qui avait disparu. Mais les gardiens de la bibliothèque trompèrent Aldrisius et lui communiquèrent un manuscrit sans valeur. Aussi prit-il beaucoup de peine sans grand profit. Érasme lui demanda de recommencer un travail fastidieux, mais qui ne serait pas payé d'ingratitude. Il fut aidé quelque peu dans son œuvre par les corrections du Hongrois Mathieu Fortunatus, qui avait revu avec le plus grand soin les Livres des questions naturelles.

Il fit aussi usage d'un Sénèque, imprimé à Trévise cinquante ans auparavant et qui avait appartenu à Rodolphe Agricola. Cet homme si pénétrant paraissait l'avoir lu avec la plus grande attention, comme l'attestaient les notes innombrables, écrites de sa main. En beaucoup de points, il avait suivi, selon toute apparence, les conjectures de son intelligence plutôt que l'autorité de quelque ancien manuscrit, « Mais, disait Érasme, on ne saurait croire combien de choses a devinées ce génie vraiment divin. » Enfin Sigismond Gelenius, correcteur dans l'imprimerie de Froben, homme très instruit, découvrit heureusement un grand nombre de fautes qui avaient échappé. Érasme, dans sa préface, rendit à chacun ce qui lui était dû. Appréciant son œuvre, il s'exprimait

ainsi « J'ai fait disparaître des fautes monstrueuses et innombrables avec autant de bonheur que de hardiesse, grâce au secours de divers manuscrits dont quelques-uns sont d'une prodigieuse antiquité. J'ai peu donné à la conjecture, ayant appris par expérience combien ce moyen est peu sûr. Quelquefois cependant j'ai dû y avoir recours et je crois l'avoir fait assez souvent avec succès. » La première édition avait paru en 1515. La lettre dédicatoire de la seconde est du mois de janvier 1529.

Érasme signalait comme les deux causes principales de l'incroyable corruption du texte, d'abord un style affecté, subtil, énigmatique, coupé; en second lieu la faveur dont Sénèque jouit parmi les anciens chrétiens, qui le revendiquaient comme un écrivain presque orthodoxe. Saint Jérôme le plaça même dans son Catalogue des Saints qui, du reste, contenait des personnages d'une sainteté assez douteuse, le juif Josèphe, Tertullien, Novatien et Donat. Aussi les livres du philosophe étaient-ils lus et expliqués à la jeunesse dans des temps de barbarie où l'on dédaignait la littérature profane. L'ignorance littéraire et historique des maîtres du moyen âge devait inévitablement amener des altérations sans nombre dans un texte qui ne pouvait être compris qu'imparfaitement. De là une confusion étrange dans quelques parties où ils ne s'accordaient ni entre eux ni avec la vraie leçon qui ne se trouvait que dans de très anciens manuscrits. Les fautes des copistes étaient plus faciles à démêler et à corriger, parce qu'elles laissaient presque toujours quelques traces du véritable texte, qui pouvaient guider les esprits pénétrants dans leurs conjectures. Il en était de même des fautes commises dans les dictées. Mais les correcteurs ignorants, mêlant tout, brouillant tout à leur façon, déjouaient la sagacité des plus grandes intelligences. Toutefois, grâce à la bonne opinion que les chrétiens avaient de Sénèque, il avait été mieux conservé que tant d'autres écrivains éminents.

Érasme ne se flattait pas d'avoir corrigé toutes les fautes,

mais il espérait qué si un homme plus savant, plus favorisé, ayant plus de loisir, améliorait son édition autant qu'il avait amélioré lui-même les éditions antérieures, on aurait enfin un Sénèque qui pourrait être lu sans ennui. Il avait ajouté des notes peu nombreuses et courtes, afin d'empêcher les altérations à l'avenir. Pétrarque avait écrit la vie du philosophe d'après Suétone, Tacite et saint Jérôme. Érasme en donnait un extrait, mais sans nommer l'auteur. A ses yeux, Sénèque n'était pas un chrétien semblable à Nicodème, comme certains le prétendaient vainement; les lettres sur lesquelles s'appuyait cette opinion étaient apocryphes, et il était aisé d'y découvrir l'œuvre d'un écolier. Si Sénèque avait été chrétien, n'aurait-il pas laissé voir sa croyance au moins dans les derniers écrits de sa vieillesse ? Néron n'en aurait-il rien su, et en quête de crimes imaginaires, ne l'aurait-il pas accusé de christianisme? Mais ce qui levait tous les doutes, c'est que dans ses derniers écrits Sénèque parlait quelquefois des dieux et des déesses et doutait même de l'immortalité de l'âme. On pourrait admettre qu'il eût dissimulé sa foi par crainte de la mort; mais non que dans des livres publiés il se fût mis en contradiction avec les dogmes chrétiens.

Au reste, il valait mieux lire les livres de Sénèque comme ceux d'un païen; « car, disait Érasme, si vous voyez en lui un païen, vous trouverez qu'il a écrit en chrétien; si vous voyez en lui un chrétien, vous trouverez qu'il a écrit en païen. En effet, il y a dans les livres des païens des choses qui peuvent mieux nous exciter à la vertu, par cela même qu'elles nous viennent des païens. Certaines de leurs paroles, certaines de leurs actions, condamnables devant la sagesse chrétienne, ont cependant un singulier caractère de vertu, comme cette parole de Socrate, « je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien » parole extravagante en ellemême, mais bien capable de nous faire rougir de notre arrogance; comme aussi l'action de Lucrèce, détestable en ellemême, mais bien propre à nous inspirer l'amour de la

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chasteté. De même, si on lit Sénèque comme un païen, le bien fera plus d'impression et le mal aura moins de danger. Il a de fausses notions sur Dieu. Son système est celui du panthéisme en opposition formelle avec les dogmes chrétiens. Il est plus près de la morale que de la théologie du christianisme. Combien donc la lecture de Sénèque serait dangereuse, si on lisait ses livres comme venant d'un chrétien ! »

Quant aux qualités de l'écrivain, Érasme acceptait le jugement de Quintilien. Aux yeux de ce critique, un de ses plus grands mérites, c'était d'élever l'âme du lecteur, de l'enflammer d'un merveilleux amour pour ce qui est honnête. Toutefois il fallait reconnaître ses défauts. Il fut un censeur peu équitable du génie d'autrui. On voit par là qu'Érasme regardait Sénèque le rhéteur et Sénèque le philosophe, comme un seul et même personnage; car c'est dans les Déclamations qu'on trouve ces jugements passionnés qui n'épargnaient ni Virgile, ni Cicéron. La satire des vices et des mœurs n'était pas elle-même irréprochable. Il tombait souvent dans l'exagération, la recherche, la bouffonnerie. Il allait jusqu'à peindre certains raffinements de luxure dont la description n'était pas sans danger pour les mœurs. Il voulait tout dire par sentences; il visait sans cesse aux traits brillants et aux pensées fines. Il déployait un pathétique affecté et à tout propos. Dans les grands sujets, il n'était dépourvu ni de grandeur, ni de pompe tragique; son éloquence était éminemment théâtrale. Il manquait d'ordre dans la composition. L'unité, si importante dans toute œuvre littéraire, tant recommandée par Aristote, lui faisait défaut. En écrivant, il suivait plutôt l'élan de son esprit que le jugement de sa raison. Il s'avançait avec impétuosité et par saillies. Sa construction était mauvaise. Il n'employait guère les conjonctions qui sont comme les nerfs du discours. Il affectait de parler autrement que les autres. Il réprouvait les questions subtiles, et il donnait souvent lui-même dans cet abus. Pour ce qui regarde les Tra

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