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Tout comme les Colloques, il ne fut pas publié d'abord par Érasme. Il parut en 1522. Un nouvel Hollonius l'imprima en Angleterre sans son aveu. Il y avait environ trente ans qu'Érasme avait commencé à l'écrire à Paris pour un Anglais, ami peu sincère (1), sans avoir l'intention de le publier. Il avait voulu seulement faire à cet homme un présent digne de lui. Il ne consacra aux lectures et à la composition elle-même que deux jours. Puis il livra l'original tel quel à l'Anglais qui partait pour un long voyage, sans en conserver de copie. Quelque temps après, des amis qui avaient trouvé cet écrit, le copièrent et forcèrent Érasme par leurs instances à terminer ce qui n'était qu'ébauché. Il le reprit donc; mais comme en le revoyant il ne le trouvait pas à son goût, il le rejeta entièrement, ne se doutant pas que quelqu'un de son vivant, et malgré lui, aurait l'effronterie de publier ses manuscrits. Mais l'Anglais dont on vient de parler mourut et, après sa mort, la cupidité de libraires sans pudeur livra au public cet ouvrage imparfait. Érasme dut alors perdre quelques jours à retoucher ce qui avait paru, non sans un très grand ennui; car il aurait mieux aimé donner son temps à des travaux plus sérieux, aux études sacrées qui convenaient mieux à son âge. Il dédia ce livre au français Nicolas Béraud.

C'était surtout par des exemples d'amplification qu'Érasme voulait remédier à la sécheresse et à la stérilité scholastiques. De là ces digressions que l'on trouve partout dans ses ouvrages. Il y en avait plusieurs dans le traité sur la manière d'écrire les lettres. Il y en avait une à la louange du mariage qu'il semblait mettre au-dessus de la virginité, car ces digressions n'étaient pas seulement un exercice d'amplification oratoire et littéraire, elles étaient pour lui une occasion d'exposer ses idées sur la morale et la religion, sur les vices et

(1) Burigny a cru bien à tort que c'était Montjoy. C'est le noble Anglais dont il a été question à la p. 29 du fer volume. La lettre dédicatoire où nous avons pris ce détail est du 25 mai 1522. Érasme était donc à Paris vers 1492. V. 1er vol., p. 681.

les abus du temps. Elles rappelaient les déclamations des rhéteurs anciens. Comme eux, Érasme traitait quelquefois le pour et le contre; il soutenait les deux thèses opposées. Ces exercices devaient assouplir l'esprit, l'habituer à développer et à exprimer ses idées avec une facile et riche abondance. Après avoir fait l'éluge du mariage, il fit celui du célibat; mais, à vrai dire, il avait peu de goût pour l'ascétisme chrétien. Enfant de la Hollande et de l'Allemagne, son esprit était plus porté à célébrer le bonheur et les vertus de la vie conjugale.

Indépendamment de ces digressions insérées dans ses ouvrages, Érasme fit plusieurs déclamations séparées. En 1518, il publia un discours sur l'éloge de la médecine, composé jadis dans le temps où il s'essayait sur toute sorte de sujets. Plus tard, en 1529, il fit paraître une déclamation sur l'éducation libérale des enfants, qui devaient dès la naissance être formés à la vertu et aux lettres. Elle fut dédiée, comme les Apophthegmes, au jeune duc de Juliers, Guillaume de Lamarck (1).

Érasme n'est pas le seul des lettrés de la Renaissance qui ait composé des Déclamations. Thomas Morus a laissé des compositions pareilles sur des sujets même beaucoup plus étranges et plus éloignés de la vie réelle. C'était lui qui avait engagé son ami à s'exercer de la sorte. Ces deux hommes célèbres ont composé deux déclamations sur le même sujet; c'est la réponse à la déclamation de Lucien sur le Meurtrier du tyran. Mais en général les savants de la Renaissance se distinguaient des rhéteurs de l'ancienne Rome, en ce qu'ils ne cherchaient pas à traiter des questions étranges et bizarres. Au sortir du moyen âge, les esprits n'avaient pas besoin de cet attrait que demandait le goût corrompu des Romains de l'empire. Dans ses Déclamations, la Renaissance se contentait ordinairement de traiter des sujets d'un intérêt

(1) V. 1er vol., p. 573.

pratique et d'exposer dans ces compositions oratoires des idées morales, souvent empruntées à l'antiquité, mais parfois nouvelles et réformatrices, en rapport avec les besoins de l'époque.

Érasme croyait cet exercice extrêmement utile et désirait qu'il fût rétabli un jour dans les écoles. C'était, selon lui, faute de le pratiquer, que beaucoup d'hommes, même en lisant les orateurs les plus éloquents, n'en restaient pas moins incapables de s'exprimer éloquemment, quand les circonstances le demandaient. « Si, disait-il, à l'exemple de Cicéron, de Quintilien et des anciens, nous étions rompus dès notre jeune âge à de tels exercices, on ne verrait pas, sans doute, une si grande disette d'éloquence, une si misérable impuissance de langage, une si honteuse stérilité de parole même chez ceux qui enseignent publiquement les lettres. »

En parlant des ouvrages d'Érasme qui ont eu pour but de propager la Renaissance, nous ne devons pas oublier l'Abrégé, extrait des Élégances de Laurent Valla. Il avait environ dixhuit ans quand il le composa, sur les instances d'un maître d'école, pour l'usage des écoliers ignorants. Il n'en avait pas gardé de copie « Car il ne songeait pas plus, dit-il, à le faire imprimer qu'à s'aller pendre. » Il fut publié cependant, et il s'en répandit une foule d'exemplaires. C'est une espèce de traité de synonymes tout à fait élémentaire, où sont déterminées les nuances délicates et la véritable acception d'un grand nombre de mots latins, semblables ou dissemblables. On lui avait donné le titre ridicule de Paraphrases. On y avait mêlé des choses ineptes qui n'étaient ni dans son livre, ni dans Valla, et qu'Érasme enfant n'aurait pas voulu dicter à des enfants. D'un autre côté, on avait omis ce qui n'aurait pas dû l'être. On avait ajouté à la mauvaise foi la dernière sottise. Au lieu de laisser réunis les mots comparés entre eux, comme avait fait Valla, on les avait séparés pour les ranger chacun d'après l'ordre alphabétique. Toutefois le petit livre avait eu déjà deux éditions et l'on en préparait une troisième.

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Érasme revit alors ce qui avait été imprimé, ajouta, retrancha et fit de très nombreux changements, afin d'améliorer un peu l'ouvrage, puisqu'il ne pouvait être supprimé.

III

Les traductions qu'il donna des auteurs grecs contribuèrent aussi à favoriser le mouvement de la Renaissance.

On peut même dire qu'avec ses poésies, ses lettres, ses premiers Adages et son Panégyrique, elles commencèrent sa réputation. Les fautes de détail qui lui échappèrent ne pouvaient faire obstacle à l'heureuse influence que ces traductions devaient exercer à une époque où l'on ne connaissait guère les auteurs grecs que de nom. A Paris, lorsqu'Érasme y arriva, vers 1492, personne ne savait leur langue. Le seul George Hermonyme bégayait un peu de grec, mais si peu, qu'il n'eût pas pu enseigner cette langue, s'il l'avait voulu, et qu'il ne l'eût pas voulu, s'il l'avait pu (1). Les livres manquaient non moins que les maîtres. Érasme, qui dans son enfance avait pris quelque teinture du grec, y revint à l'âge de trente ans environ. Forcé d'être son maître à lui-même, il traduisit un grand nombre d'ouvrages, en partie dans le but de les lire plus attentivement. Son premier essai en ce genre, d'après son propre témoignage, fut une déclamation de Libanius, celle où Ménélas redemande son épouse aux Troyens. Il y joignit la traduction de deux autres petites déclamations bien inférieures en mérite, et d'auteurs incertains, un discours de Médée avant d'immoler ses enfants, et un discours d'Andromaque après la mort d'Hector. C'étaient, disait-il, trois petites fleurs cueillies dans le jardin des Grecs (2). Vers le même temps, il entreprit à Louvain une œuvre plus ardue, la traduction de l'Hécube d'Euripide en vers latins. Ce qui l'avait excité à tenter ce travail, c'était l'exemple

(1) Catalogue à Botzemus.

(2) V. 1er vol., p. 72 et 79.

de 'Philelphe qui, dans un discours funèbre, avait traduit la première scène avec peu de bonheur, comme il en jugeait alors. Encouragé par le professeur Paludanus, son hôte, homme d'un jugement rare, il acheva ce qu'il avait commencé ; mais ce ne fut pas sans beaucoup de peine. Le langage propre à la poésie, l'antiquité, l'obscurité tragique, la concision, la subtilité, la finesse de l'auteur, la rhétorique déliée qui abonde chez lui, enfin les chœurs qui demandaient un OEdipe ou un devin plutôt qu'un traducteur : telles furent les difficultés qu'il eut à vaincre, sans parler de l'altération du texte, de la disette des manuscrits et de l'absence de tout interprète auquel il pût recourir. A l'Hécube, il ajouta l'1phigénie en Aulide qu'il traduisit en Angleterre d'une manière plus libre. Après avoir revu ces traductions une ou deux fois, il les retoucha encore en 1524. Dans l'Iphigénie, le style et la poésie lui semblaient avoir un autre caractère que dans l'Hécube. Il croyait y découvrir un peu plus d'éclat naturel, une diction moins concise. Dans l'une et l'autre pièce, il s'était permis de tempérer la licence immodérée de la versification dans les choeurs.

Dès la même époque, il traduisit aussi quelques dialogues de Lucien. Il publia le Songe ou le Coq dans la même année que la Déclamation de Libanius. Il dédia ce travail à Christophe Ursewic, aumônier du roi Henri VII. Il avait ressenti sur-le-champ un vif attrait pour un auteur dont le génie avait du rapport avec le sien. Le dialogue du Coq lui avait souri plus que tous les autres. « Lucien, dit-il, a égalé dans ce dialogue le génie mordant de l'ancienne comédie, en évitant la licence. Que de finesse ! Que de grâce! Quelle moquerie piquante et intarissable! Quelle verve merveilleuse ! Ses sarcasmes n'épargnent rien. Ennemi des philosophes, il s'attaque principalement aux pythagoriciens et aux platoniciens, à cause de leur charlatanisme. Il poursuit aussi de ses traits les stoïciens à cause de leur insupportable orgueil... Il a été appelé médisant et satirique, mais par ceux dont il mettait

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