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Aux Adages et au traité de l'Abondance, nous rattachons l'ouvrage des Apophthegmes, et le livre des Similitudes. Les Apophthegmes méritent le premier rang, non par la date, mais par l'importance et le succès. Ils remplissent huit livres. Les six premiers parurent en 1531, vers la fin de la vie d'Érasme. Ils eurent une très grande vogue. L'auteur les revit et ajouta deux autres livres l'année suivante. Les Apophthegmes ou paroles remarquables, pouvaient, non-seulement former le jugement des princes, des hommes d'Etat et des simples citoyens, mais aussi contribuer à la richesse, à l'éclat et à l'enjouement gracieux du discours. A ce titre, ils concouraient à l'œuvre des Adages et du traité de l'Abondance.

Érasme, dans ce recueil, prit pour modèle Plutarque qui, après avoir écrit les vies des hommes illustres, recueillit pour l'empereur Trajan les apophthegmes remarquables, miroir fidèle où se peint en quelque sorte l'âme de chaque personnage. D'autres, comme Valère Maxime et Julius Frontinus, avaient traité le même sujet; mais, à ses yeux, Plutarque l'emportait sur tous, non-seulement par le choix, mais aussi par la manière de raconter. « Les apophthegmes, dit-il, ont un caractère particulier. Ils veulent être exprimés d'une manière brève, fine, piquante, délicate. Chaque nation, comme chaque personnage, a son génie propre. » Xénophon lui paraissait délayé, Hérodote un peu froid, Diodore et Quinte Curce verbeux. Plutarque était, selon lui, parfait de tout point.

Son ouvrage avait été traduit deux fois en latin, d'abord par François Philelphe, puis par Raphaël Regius. Érasme, pour beaucoup de causes, aima mieux imiter. En ne s'assujettissant pas aux expressions grecques, il espéra être plus clair; car il écrivait, non pour Trajan, mais pour un jeune prince, le duc de Juliers, et aussi pour tous les écoliers appliqués aux études libérales, sans compter qu'au temps de Plutarque, ces faits et ces paroles étaient le sujet des conversations ordinaires. Il voulait de plus se réserver la faculté

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d'expliquer la finesse du bon mot, quand elle était obscure pour nous. Bien des fois il dut se torturer en conjectures. En beaucoup de points il eut à lutter contre les altérations des textes qui ne s'accordaient pas entre eux. Quelquefois il intercala des détails qui étaient donnés par d'autres auteurs. Il ajouta même un très grand nombre d'apophthegmes qui ne se trouvaient pas dans l'ouvrage grec. Quant à l'ordre, Érasme avouait qu'il était encore plus confus dans son livre que dans celui de Plutarque tel qu'il nous était parvenu. Ce qui en était cause, c'est que dans le principe il avait résolu de ne recueillir qu'un petit nombre d'apophthegmes; mais une fois à l'œuvre, son ardeur l'avait emporté plus loin. Il voulut, comme pour les Adages, obvier par un index à ce défaut de composition. Il est singulier qu'Érasme, attachant tant de prix à l'ordre dans l'enseignement, en ait mis si peu dans ses ouvrages. Il s'était presque renfermé dans le cercle de l'antiquité; car ce qui était consacré par elle avait plus de poids. Toutefois on trouve dans son ouvrage un mot de l'archevêque de Cantorbéry, adressé à Érasme lui-même. Il y en a aussi plusieurs d'Alphonse, roi d'Aragon (1).

Le livre des Similitudes avait beaucoup moins de valeur. Il avait de l'analogie avec les Adages et le Traité de l'Abondance par le sujet, comme par la date de sa composition; il en était comme un appendice. En effet les similitudes sont plus encore que les proverbes un des principaux ornements du discours. Ajoutez qu'un proverbe renferme d'ordinaire une métaphore qui n'est qu'une comparaison concentrée et plus vive. Ce livre était un recueil de comparaisons choisies dans quelques auteurs. En relisant Aristote, Pline et Plutarque pour enrichir ses Adages, en corrigeant Sénèque défiguré et, pour ainsi dire, détruit par des altérations sans nombre, Érasme les avait notées en passant. Il n'avait pas eu la prétention de faire une collection complète de ce qui était infini.

(1) V. t. IV, liv. III, p. 156; liv. VIII, p. 377 et suiv.

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Il avait voulu seulement par cet essai exciter les jeunes gens à des recherches semblables. Il avait puisé dans Plutarque beaucoup plus que dans les autres, parce que cet écrivain lui paraissait exceller en ce genre. Outre les auteurs déjà cités, il avait mis à contribution Lucien, Xénophon, Démosthène, Théophraste. Il ne s'était pas toujours contenté de recueillir les comparaisons. Il en avait fait quelquefois des applications aussi ingénieuses que justes. Mais on comprend qu'une semblable compilation ne pouvait avoir l'importance et l'intérêt d'un grand ouvrage comme celui des Adages. Elle fut dédiée à Pierre Gilles, secrétaire de la ville d'Anvers, dont nous avons parlé ailleurs. L'épître dédicatoire est du 15 octobre 1514.

Dans cette lettre, Érasme fait ressortir l'importance littéraire des comparaisons. « Une comparaison, dit-il, n'est qu'une métaphore développée. Or le discours doit non-seulement son éclat, mais presque toute sa dignité aux métaphores. Chacun des autres ornements prête à la diction un agrément et une vertu particulière. La métaphore toute seule les donne tous et plus complétement. Voulez-vous charmer? Rien n'est plus aimable. Désirez-vous instruire? Il n'est point de preuve plus efficace et plus péremptoire. Voulez-vous émouvoir? Il n'est rien de plus véhément. Recherchez-vous l'abondance? Il n'est point de trésor plus riche. Aimez-vous le laconisme? Rien ne laisse plus à la pensée. Aspirez-vous à l'élévation? Elle rehausse toute espèce de sujet autant que l'on veut. Voulez-vous au contraire amoindrir un objet? Rien n'a plus qu'elle le pouvoir de rabaisser. Cherchez-vous la clarté et la lumière? Rien ne met mieux la chose sous les yeux... Enlevez aux orateurs la ressource des métaphores, il n'y aura partout que sécheresse. Otez les paraboles aux prophètes et aux évangélistes, vous les privez d'une grande partie de leur charme. »> Ces paroles montrent qu'Erasme a bien senti la puissance des images; mais selon la remarque de Budé, son livre était peu digne de son nom et de son génie.

Il n'en est pas de même des Colloques. Si le moyen âge était inculte et barbare dans ses livres et ses discours d'apparat, comme dans ses controverses d'école, il était bien plus barbare et plus grossier dans la conversation familière. Polir le discours habituel des écoliers, remplacer un affreux jargon par un langage pur, élégant, gracieux et en même temps simple et facile, substituer à une grossièreté bouffonne et souvent obscène un badinage libre et léger, mais exempt d'une grossière licence, corriger les mœurs des enfants en même temps que leur langage, dissiper les préjugés et les superstitions vulgaires, tel est le double but qu'Erasme se proposa dans les Colloques, entretiens familiers, pleins de grâce et d'enjouement qui devinrent sur-le-champ populaires et furent bientôt le manuel favori de la jeunesse. Le succès fut si grand qu'Érasme lui-même en était surpris comme d'un caprice et d'un jeu de la fortune. Les premières éditions furent rapidement enlevées. Il fallut en donner d'autres. Bientôt les Colloques furent traduits en espagnol, en italien, en français.

Plus encore que les Adages, ils vulgarisèrent la Renaissance et la firent pénétrer surtout dans l'esprit de la jeunesse. Jamais le génie facile, gracieux, enjoué, satirique d'Érasme, jamais sa fine ironie, jamais sa verve mordante et inépuisable ne se montrèrent avec plus d'éclat. On trouvait bien encore dans ces dialogues, comme dans ses autres ouvrages, un défaut de composition; mais ce défaut était moins sensible dans des entretiens familiers qui pouvaient sans inconvénient s'enrichir de plus en plus. Ces formules de langage pour les diverses circonstances de la vie, qui sont mêlées aux Colloques, nuisent certainement à l'effet de l'ensemble; mais Érasme voulait faire un livre élémentaire et pratique plutôt qu'un livre artistement ordonné. Quand il l'avait commencé, il ne le destinait pas au public. Il voulait seulement exercer et aider quelques écoliers d'un esprit paresseux. Mais un certain Hollonius s'en procura une copie qu'il vendit fort cher à Froben.

Ils furent donc imprimés (1) mais en fort mauvais état. Outre des additions ridicules, ils renfermaient des fautes grossières de langage. Ils n'en furent pas moins accueillis avec un prodigieux applaudissement. Érasme alors les revit, leur donna un accroissement considérable et en fit un livre digne d'être dédié à son filleul Jean-Érasmius Froben, enfant de six ans, mais d'un naturel merveilleux. Comme la plupart des enfants trop précoces, il trompa les espérances qu'il avait données. C'était en 1522. Dans l'intérêt des écoliers et de l'imprimeur, Érasme fit souvent encore des additions, principalement sur des sujets qui intéressaient la morale et la religion; mais ce livre, qui avait joui de la faveur universelle, tant qu'il ne s'occupait que de bagatelles, se trouva en butte aux plus violentes attaques, lorsqu'on vit qu'il abordait avec une légèreté hardie et indiscrète les questions de la morale et de la religion.

On peut rapprocher des Colloques le Traité sur la manière d'écrire les lettres (2), non qu'il ait la même valeur, le même agrément, la même célébrité; mais de même que les Colloques aspiraient à réformer la conversation, de même le livre. que nous venons de nommer prétendait polir et féconder la composition épistolaire qui est l'image de la conversation. Là aussi régnaient la barbarie et la sécheresse scholastiques, érigées en système par des maîtres illettrés, qui, nouveaux Phalaris, tyrannisaient la jeunesse et la torturaient. Le livre sur la manière d'écrire les lettres était un traité didactique où l'auteur exposait les principes de l'art épistolaire, les formules qui convenaient selon les personnages et les circonstances. Enfin il passait en revue les diverses espèces de lettres, en donnant des exemples, sans mettre dans ce livre plus d'ordre et de méthode que dans ses autres ouvrages.

(1) Probablement dès 1519.

(2) Un homme assez distingué des Pays-Bas, Carolus Virulus, dont le vrai nom était Charles Manneken, avait composé un recueil sur l'art épistolaire, imprimé en 1476. C'est lui qui fonda la Pédagogie du Lis, à Louvain.

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