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tant de femmes indignes d'un tel sort, d'introduire au sein de la vie humaine toute cette tragédie de calamités que la guerre entraîne après elle; car c'est évidemment de ces sources que sont sorties presque toutes les guerres que nous avons vues de nos jours. »

On voit qu'Erasme ne propose pas de convoquer une assemblée de jurisconsultes pour sonder les arcanes du droit historique. Pour lui, le vrai droit, c'est l'intérêt public, ce sont les convenances et les affinités des peuples qu'il faut consulter; car, ainsi qu'il le dit à plusieurs reprises, un État n'est pas un domaine. Il ne faut point, au nom d'un vieux parchemin, d'une prétention abolie par le temps, exhumée des monuments de l'histoire, renverser celui qui a pour lui de longues années de possession, l'habitude du gouvernement, qui est reconnu par les siens et qui remplit la charge de prince. Mais si des chrétiens ne peuvent dédaigner des biens passagers et misérables, s'ils veulent à tout prix faire valoir ce qu'ils appellent leur droit, pourquoi recourir sur-lechamp aux armes? Il y a des pontifes, des évêques graves et instruits, des abbés vénérables, des personnages imposants par l'âge, éclairés par une longue expérience, des assemblées, des conseils institués non en vain par nos pères. Pourquoi ne pas soumettre à leur arbitrage les griefs puérils des princes?

Depuis qu'Érasme livrait ces pensées alors nouvelles au monde à peine sorti du moyen âge, trois siècles et demi se sont écoulés. La guerre n'a pas disparu; mais elle est devenue plus noble et plus douce; elle tend à devenir plus rare (1). Les plus hautes intelligences cherchent encore les moyens d'établir la paix? Que proposent-elles? Sur quoi fondent-elles leurs espérances? Otez la différence du langage; enlevez

(1) Ces lignes étaient écrites bien avant la guerre sauvage qui a dévasté la France. Je les laisse telles quelles. Je crois au progrès, mais non au progrès continu. La civilisation peut s'arrêter dans sa marche, reculer même, parce que l'homme est libre. Mais elle reprend bientôt la route que la Providence lui a marquée et regagne le temps perdu.

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cette écorce particulière dont les écrivains de la Renaissance recouvrent leurs idées, vous trouverez que le fond est le même. L'introduction de la morale chrétienne au cœur de la politique, la force de l'opinion et des institutions libres, le respect des frontières naturelles, le principe des nationalités sainement entendu, le concert des gouvernements civilisés : voilà ce que l'on présente, ce en quoi l'on espère pour asseoir solidement la paix de l'Europe chrétienne qui est la tête et le cœur de l'humanité. Or, c'est précisément ce que nous trouvons dans les écrits d'Érasme, abstraction faite de quelques différences dans la forme.

Dans une digression des Adages, l'Aigle et le Scarabée, il nous a laissé sous le voile d'un jeu d'esprit la satire piquante des princes de son temps. Il demande pourquoi, d'un commun accord, on a décerné la royauté parmi les oiseaux, non pas au paon, le plus beau, le plus brillant, le plus majestueux, le plus superbe d'entre eux, mais à l'aigle, le plus mâle et le plus fort de tous. C'est que certains oiseaux, instruits par une longue expérience, comme les corneilles et les corbeaux, pensèrent que si l'on donnait l'empire au paon, il arriverait ce que l'on a pu voir depuis un grand nombre d'années en certains monarques, et qu'il serait roi seulement par le nom et par l'apparat bruyant, tandis que l'aigle, même en se passant du suffrage populaire, exercerait vé:ablement la royauté. « Quant aux poètes, hommes très sages, dit Érasme, ils ont parfaitement vu qu'ils ne pouvaient représenter sous une image plus vraie la vie et les mœurs des rois. Je parle de la plupart, et non de tous; car en tout genre les bons ont été et seront toujours en petit nombre...

« Il y a des oiseaux naturellement doux et pacifiques; il y en a d'autres qui sont sauvages, mais qui s'apprivoisent et s'adoucissent. Seul, l'aigle n'est susceptible d'aucune éducation. Nul effort ne saurait l'apprivoiser. Il suit aveuglément l'impulsion de sa nature et veut pouvoir satisfaire librement tous ses caprices. Horace a peint au naturel

le caractère d'un aiglon généreux. Ils sentent bien la vérité de cette peinture, les pays qui savent par expérience ce que leur ont coûté ces élans indomptables des jeunes princes... Et parmi les aigles on a choisi celui qui a le bec le plus recourbé, les serres les plus crochues, annonçant un oiseau carnivore, ennemi de la paix, né pour la lutte, la rapine et le brigandage... On me dit peut-être à voix basse : quel rapport a cette image avec un roi dont le mérite propre est la clémence, la volonté de ne nuire à personne, quoiqu'il ait le plus grand pouvoir; qui seul est sans aiguillon et se dévoue tout entier aux intérêts de son peuple, en sorte qu'un sage à qui l'on demandait quelle était la chose la plus utile, répondit: un roi?... Tel est le portrait que les philosophes nous font d'un souverain, et peut-être de tels princes administrent-ils les affaires publiques dans la république de Platon. Mais dans l'histoire à peine en trouverez-vous un ou deux que vous osiez rapprocher de ce modèle.

« Certes, si l'on examine les princes des époques récentes, on n'en rencontrera guère à qui ne convienne le mot si outrageux d'Homère, roi mangeur de son peuple. On ne s'est pas contenté du nom de roi qui paraissait excessif même aux anciens empereurs de Rome; on a appelé dieux ceux qui n'étaient pas même des hommes, invincibles ceux qui furent toujours vaincus, augustes ceux qui sont petits en toutes choses, sérénissimes ceux qui troublent le monde par les orages de la guerre et par des agitations insensées, illustrissimes ceux qui sont plongés dans la plus profonde ignorance, catholiques ceux qui ont tout en vue plutôt que le Christ. Tout le temps que laissent à ces dieux, à ces illustres, à ces triomphateurs, le jeu, les festins, la chasse, la débauche, ils le consacrent à des pensées vraiment royales. Ils mettent toute leur application à faire que les lois, les édits, les guerres, la paix, les traités, les conseils, les jugements, le sacré comme le profane, amènent la fortune de tous les citoyens dans leur trésor, c'est-à-dire dans un tonneau percé, et qu'à

l'exemple des aigles, ils s'engraissent, eux et leurs petits, avec les entrailles des oiseaux inoffensifs.

« La figure même et la physionomie de l'aigle, ses yeux avides et cruels, son rictus menaçant, ses joues dures, son front farouche, cet air terrible que Cyrus aimait tant dans un prince, ne nous offrent-ils pas une image de roi, image magnifique et pleine de majesté? Ajoutez encore la couleur fauve, sombre, sinistre, sa voix odieuse, terrible, qui glace d'épouvante, ce battement d'ailes grinçant et plaintif qui fait trembler tous les animaux : ce sont autant de signes caractéristiques. Il les reconnaît sur-le-champ, celui qui a éprouvé lui-même ou qui a vu seulement combien sont redoutables les menaces des rois même proférées par badinage. Tout tremble, quand leur voix terrible se fait entendre. Peuple, sénat, noblesse, juges, théologiens, jurisconsultes, lois, institutions, justice, religion, humanité, tout cède à ce cri odieux et discordant de l'aigle, plus puissant que les accords les plus harmonieux des oiseaux chanteurs qui pourraient cependant émouvoir des rochers.

« Il y a une espèce d'aigle qui plaisait infiniment au philosophe Aristote, peut-être parce qu'il désirait qu'Alexandre, son élève, lui ressemblȧt. Il n'est ni moins ravisseur, ni moins vorace, mais il est un peu plus modéré, plus taciturne, et en somme il a moins de férocité. Il élève même ses petits... Car les autres, comme des parents dénaturés, abandonnent les leurs; ce que ne font pas même les tigres... Au temps où l'aigle couve ses œufs, la nature, dit-on, a imposé un frein à sa rapacité... Il serait à souhaiter qu'il en fût ainsi pour les aigles romains. Mais il n'en est rien, car ils ne mettent ni fin ni mesure à leurs déprédations sur le peuple. Leur soif d'exactions s'accroît avec l'âge, et jamais ils ne s'abattent sur leur proie avec plus de fureur que lorsqu'un aiglon leur est né... On en voit qui, tout rapprochés des dieux qu'ils sont par leur sceptre et les images de leurs aïeux, ne dédaignent pas de flatter parfois des hommes de rien et de jouer,

pour ainsi dire, auprès d'eux le rôle de parasites, pourvu qu'ils soient poussés par l'espoir d'un butin considérable. »> Érasme, du reste, a soin d'avertir qu'il n'a en vue que certains princes. Il fait ses réserves une fois pour toutes en faveur de ceux qui sont pieux et bons. Puis il poursuit son parallèle satirique : « Un couple d'aigles a besoin d'un vaste espace qui suffise à sa rapacité. Pour nos aigles, quel royaume. ne se trouve pas étroit? Quel désir d'étendre leur domination à l'infini!... Quelles luttes avec les aigles ou les milans voisins au sujet des limites de leurs États, c'est-à-dire, au sujet de l'étendue de leur proie! Il ne suffisait pas à l'aigle d'avoir un bec et des serres crochues, il lui fallait encore des yeux plus perçants que ceux du lynx, capables de regarder fixement le soleil. Ils peuvent donc épier leur proie de loin. Toutefois le roi des oiseaux n'a que deux yeux, un bec, quelques serres, un ventre unique. Mais chez nos aigles combien d'oreilles, d'yeux, de serres, de becs, de ventres insatiables! Rien n'est à l'abri de ces ravisseurs, pas même ce qui est enfoui dans l'endroit le plus retiré et dans les coffres les plus cachés de nos maisons.

« A la force et aux armes du corps, l'aigle joint la ruse de l'esprit. En marchant, il rentre ses serres, pour pointe ne s'émousse pas; il attaque seulement celui auquel il se croit supérieur en force. Il ne s'abat pas sur sa proie d'une seule volée, de peur de se blesser; il ne chasse qu'à ses heures et lorsqu'il n'y a personne dans les champs. Il ne dévore pas sa proie sur place, de peur d'une surprise; il l'emporte dans son aire comme dans son camp, après avoir consulté et refait ses forces... Il engagea un jour la tortue à se laisser enlever dans les airs, promettant de lui apprendre à voler; mais il la laissa tomber sur un rocher faire ses délices du malheur d'autrui, à la manière des tyrans. Que si l'on réfléchit aux ruses, aux stratagèmes, aux machines, aux artifice dont s'arment les mauvais princes pour dépouiller le Peuple, lois fiscales, amendes, faux prétextes, guerres

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