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qu'Érasme envisage seulement les proverbes comme un ornement littéraire et oratoire.

A partir de l'édition de Venise, l'ouvrage consacré, pour ainsi dire, par cette imprimerie et par le suffrage des Italiens, se répandit partout avec rapidité. La jeunesse le lut avidement. Ce style attrayant charma les esprits habitués aux formes rebutantes du moyen âge. Les attaques hardies que l'auteur dirigeait en passant contre les abus de l'époque étaient un nouvel attrait. Bientôt les Adages furent dans toutes les mains. On les lisait; on les consultait sans cesse. Nulle œuvre ne contribua davantage à rendre le nom d'Érasme populaire et à faire pénétrer le goût des lettres polies au sein de la jeunesse studieuse dans les diverses parties de l'Europe.

Ce livre révélait une très grande érudition; il supposait une immense lecture, une connaissance approfondie des mœurs, des coutumes, des usages anciens. Il y avait près de deux mille vers grecs cités et traduits. Aussi les Adages excitèrent-ils l'admiration des savants même les plus illustres. G. Budé exprimait son enthousiasme dans un langage conforme au goût pédantesque de la Renaissance. Il voyait dans ce livre l'Iliade des Grâces grecques et latines, l'Écrin de Minerve, la Salière de Mercure, un ouvrage d'un art exquis, mais où la matière rivalisait avec le travail, où l'orateur et l'auteur comique pouvaient prendre le sel le plus pur. Il y trouvait les délices, les assaisonnements et la moelle de la persuasion, les parures et les joyaux de deux dames charmantes, l'éloquence. et la poésie, les couleurs et les charmes coquets mis au service de la grâce pour les parer, un de ces splendides mobiliers qu'on voit, à de longs intervalles, étalés en spectacle dans la superbe boutique d'un très riche commerçant.

Un autre lettré français, bien au-dessous de Budé, mais pourtant d'un mérite distingué, Germain de Brie, ne parlait pas des Adages avec moins d'admiration. « Cet ouvrage, disait-il, non-seulement à mes yeux, mais au jugement des sa

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vants, révèle une si grande connaissance des deux langues, des lectures si variées, tant de grâce et d'éloquence, qu'à l'examiner selon l'exacte vérité et indépendamment de toute envie, il suffit seul pour montrer combien Érasme l'emporte sur tous les autres athlètes de la palestre littéraire; combien les accents de la trompette surpassent les sons de la flûte; le chant des cigales, celui des abeilles. Certes ceux qui n'admirent pas les Adages, ou ne les ont pas lus du tout, ou, s'ils les ont lus, ce sont des aveugles en littérature; car, pour ne parler que d'un seul point, qu'y a-t-il de plus savant, de plus orné, de plus riche, de plus élégant, de plus pur que ces digressions en si grand nombre, où vous nous montrez toujours Erasme lui-même, c'est-à-dire un nouveau Quintilien développant ses pensées en orateur? »>

Ces jugements doivent paraître un peu étranges dans la forme; mais on aurait tort de n'y voir qu'une amitié fastueuse qui échange des éloges hyperboliques. Il faut plutôt y reconnaître l'expression du sentiment général. Un savant des PaysBas, Adrien Barland, qui devint plus tard professeur d'éloquence à l'Université de Louvain, allait encore plus loin. "Cet ouvrage, disait-il, par l'abondance des pensées et des expressions, annonce hautement dans l'auteur une sorte de divinité. Depuis sa publication, il a tellement plu à l'univers presque entier, qu'en peu d'années il a été imprimé quatre fois par les imprimeurs les plus renommés. » Ces imprimeurs étaient Alde Manuce à Venise, Anselme à Tubingue, et Froben qui en avait déjà publié deux éditions à Bâle. Barland s'exprimait ainsi en 1516, huit ans après l'édition Aldine. Il ne parlait pas des éditions de Paris.

A ces témoignages on pourrait en ajouter bien d'autres. Jules Scaliger lui-même, dans un écrit composé contre Erasme, ne put s'empêcher de parler avec estime des Adages. Erasme, dit-il, acquit par cet ouvrage la réputation d'un homme laborieux et exact. » Ces citations suffisent; car ici jugeons pas le livre en lui-même. Nous voulons seu

nous ne

lement constater l'effet qu'il produisit à son apparition dans le monde studieux, l'enthousiasme général qu'il excita. Dans la suite, des critiques de divers genres et plus ou moins fondées s'élevèrent contre les Adages; mais si elles avaient raison contre l'admiration naïve et hyperbolique des premiers temps, elles ne pouvaient détruire la valeur réelle et l'utilité pratique de ce grand ouvrage. Elles ne pouvaient surtout contester l'influence si heureuse qu'il eut pour la propagation de la Renaissance dans tous les pays et dans tous les rangs des hommes d'étude. Toutefois, dès le principe, les Adages furent repoussés par certains hommes non moins ennemis des lettres que de l'auteur. S'il faut en croire un contemporain (1), lorsqu'ils arrivèrent à Cologne, les docteurs qui n'aimaient pas Érasme dirent hautement : « De quelle utilité peut nous être ce livre-là? N'avons-nous pas les Proverbes de Salomon? >>

La Renaissance ne reprochait pas seulement au moyen âge la rudesse de son esprit et la barbarie de son langage. Elle accusait aussi la stérile sécheresse de sa pensée et la maigre roideur de son style; elle voulut non-seulement polir et orner, mais féconder et assouplir. A cette fin, Érasme composa un livre sur l'abondance des mots et des choses. C'était une sorte de rhétorique en deux livres; dans le premier, il s'occupait de l'abondance des mots, qu'il distinguait avec soin d'une puérile et fastidieuse loquacité. Dans le second, il traitait de l'abondance des choses. Mais on se tromperait si l'on croyait trouver dans cet ouvrage une exposition méthodique et lumineuse des principes, éclairés et fécondés par des exemples. Ce n'est qu'un recueil indigeste de moyens, de formules et de modèles d'amplification: véritable fatras où l'on a de la peine à se reconnaître, mais où l'on découvre cependant des indications utiles. La jeunesse pouvait consulter avec fruit ce répertoire pour apprendre les diverses manières d'ex

(1) Lettres des Hommes obscurs. Témoignage peu digne de foi.

primer une pensée, de développer un sujet, d'enrichir un discours par le fond comme par le style. En un mot, le livre de l'Abondance était un arsenal à l'usage de l'éloquence, mais un arsenal mal ordonné.

Erasme lui-même reconnaissait que cet ouvrage n'avait pas été travaillé avec un soin suffisant. « Nous avions, dit-il dans sa préface, ramassé au hasard des matériaux bruts pour un ouvrage à faire. Mais pour les polir, je voyais qu'il faudrait beaucoup de veilles et la lecture d'un grand nombre d'auteurs. Aussi n'avais-je pas grande envie de publier cet écrit. Mais ayant découvert que certaines personnes cherchaient à mettre la main sur ces notes et avaient été même sur le point de les faire imprimer, toutes fautives qu'elles étaient, j'ai été forcé de les livrer au public, après les avoir corrigées tant bien que mal; car cet inconvénient m'a semblé moindre. »

Le traité de l'Abondance ne parut qu'en 1512 (1) chez Badius; mais Érasme l'avait commencé longtemps auparavant. Il en avait conçu l'idée en Angleterre. Il s'en occupait à Orléans dans l'année 1500; mais il manquait des livres nécessaires. Il les trouva en Italie. Il reprit donc son ouvrage, mais sans l'achever. Il le remit sur le métier en Angleterre à la prière du doyen de Saint-Paul qui voulait le faire servir à l'instruction des élèves de son école. Deux ans et demi après sa publication, ce traité fut réimprimé à Strasbourg, revu et corrigé avec soin par l'auteur. Il fut assez bien accueilli, mais il n'eut pas le succès incontesté des Adages. Des hommes fort distingués, Colet et Cutbert Tunstall, évêque de Londres, l'avaient en merveilleuse estime. Le jurisconsulte Zazius, admirateur passionné des Adages, ne louait pas avec moins d'enthousiasme cette corne d'abondance si pleine de mots et de choses. En 1515, l'anglais Jean Watson écrivait d'Italie à Érasme, son maître : « Tout le monde parle de

(1) La lettre dédicatoire est du 29 avril 1512.

vous en ce pays, surtout les savants du premier ordre : il est incroyable avec quel empressement on recherche partout votre ouvrage de l'Abondance. »

Plus tard, Gilbert Cousin l'appelait un livre d'or. Mais le témoignage de Gilbert, comme celui de Watson, ne doit pas être accepté sans réserve; car Érasme avait été son maître et son bienfaiteur. Quant à l'évêque de Londres, il pouvait aussi être dupe de sa vive amitié. Un juge compétent et plus impartial, Budé, n'avait pas beaucoup d'estime pour le traité de l'Abondance (1). Ce sentiment paraît avoir été partagé par d'autres français, par Germain de Brie et de Loin. Ces personnages, si prodigues d'éloges pour Érasme, ne parlent jamais du livre de l'Abondance. Quoi qu'il en soit, la critique de Budé le blessa profondément. « L'Abondance que nous méprisons, lui disait-il, car en ceci nous sommes pleinement d'accord, un grand nombre d'hommes distingués l'élèvent par leurs louanges, assurant que je n'ai jamais écrit d'ouvrage ni aussi utile ni plus heureux. Vous me reprochez d'avoir puisé dans les lieux communs, c'est-à-dire, comme je le conjecture, d'avoir pris mes exemples dans les auteurs rebattus et qui se trouvent dans les mains de tout le monde... Je voyais bien que des exemples, choisis dans les meilleurs. écrivains, ajouteraient beaucoup de dignité à l'ouvrage; mais d'un côté la grandeur des volumes m'effrayait, et de l'autre le fruit de mon livre aurait été perdu pour ceux à qui il était particulièrement destiné; car maintenant même les maîtres trouvent que ce traité est trop subtil pour être compris des hommes médiocrement instruits. Il est libre à chacun, même après la publication de mon ouvrage, d'écrire sur l'Abondance. Pour moi, je me contente du mérite d'avoir traité ce sujet le premier, ou du moins avec plus de soin et d'exactitude que les autres; ce que vous avouerez vousmême, si je ne m'abuse. »

(1) V. 1er vol., p. 164.

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