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je ne voudrais annoncer rien de sinistre, mais Dieu nous préserve de ce dont les préludes nous menacent! Si, fermant les yeux pour un temps sur l'affaire des sectes, nous joignons nos forces pour faire ce qui est pressant, j'espère que le temps apportera quelque remède. A Bâle, déjà le peuple, à ce que j'entends dire, s'amende et ne craint pas de poursuivre publiquement ses ministres de ses sarcasmes et de ses injures... Je ne rappellerai point qu'écraser les hérétiques par les armes et surtout par une guerre étendue sur un si vaste espace est chose assez nouvelle. Mais fût-elle très ancienne, il importe de considérer ce qui convient à la douceur chrétienne et ce qui est utile au bien commun, non ce que mérite la méchanceté d'un petit nombre d'hommes. »

Dans une lettre écrite à l'évêque de Trente, chancelier du roi Ferdinand, il exprimait aussi ses vœux pour le rétablissement de la paix de l'Église, sans effusion de sang. « Arrivé au dernier acte de la vie, disait-il, je quitterais la scène, le cœur satisfait, si la piété de l'empereur, l'intégrité des évêques et l'union des princes pouvaient aboutir à cette heureuse issue. Les plus méchants sont souvent les plus forts, les armes à la main, et il ne faut pas un grand génie pour égorger. Mais ramener la plus violente tempête au calme par la sagesse de ses conseils, voilà une œuvre digne du plus grand prince. Nous ne désespérons pas. »

C'est ainsi qu'Erasme faisait de nobles efforts pour épargner à l'Allemagne le fléau d'une guerre de religion. Il s'indignait contre ceux qu'il accusait de chercher par un tel moyen l'affermissement de leur tyrannie mondaine. « Le sang des paysans, écrivait-il, leur a paru si délicieux qu'ils ont soif de celui de toute l'Allemagne, et font tout au monde pour la plonger d'un bout à l'autre dans des guerres intestines aussi funestes à la religion qu'au peuple. Pendant ce temps, spectateurs de la calamité publique, ils chanteront, comme Néron, la ruine de Troie !» Parlant des princes, il ajoutait « Eux du moins, ils sont hommes. Si leur cruauté

avait été aussi grande que celle de ces masques de théâtre, depuis longtemps déjà les langues avec les bonnes lettres seraient reléguées chez les Nomades ou plutôt au fond des enfers. »

1 trouve dans son cœur des paroles vengeresses contre tous les persécuteurs. Il flétrit les bourreaux partout où il les rencontre, soit qu'ils brûlent Louis de Berquin, soit qu'ils fassent tomber la tête de Morus et de l'évêque de Rochester. Son humanité ne se dément qu'une fois, lorsqu'il semble atténuer l'horreur des massacres commis par les paysans révoltés de la Souabe. 11 opposait sa conduite à celle de Luther qui avait publié contre eux un écrit impitoyable, lui qu'on accusait avec raison d'avoir donné occasion à cette révolte par ses petits livres en langue allemande contre les moines et les évêques, contre ce qu'il appelait la tyrannie humaine. Il allait plus loin dans un autre endroit : « Si à cet esprit que révèlent vos écrits, disait-il à Luther, s'ajoutaient la puissance, l'autorité, le pouvoir des pontifes romains, on verrait assez ce que nous devrions attendre. Si je ne me trompe, vous enverriez ici vos satellites et vos troupes en armes. Certes ils maltraiteraient avec le fer un peu plus cruellement ceux qui diffèrent de votre opinion, que vous ne les maltraitez maintenant avec la plume. »

Ce n'était qu'une supposition; mais Luther y donnait lieu par la violence de ses écrits. Son livre contre les paysans de la Souabe contenait ces paroles qui respirent le sang : « Frappe, transperce et tue qui peut. » On connaît sa lettre menaçante au chapitre de Wittemberg, pour requérir l'abolition de la Messe (1). « Je vous prie amicalement, disait-il, et je vous sollicite sérieusement de mettre fin à tout ce culte sectaire. Si vous vous y refusez, vous en recevrez, Dieu aidant, la récompense que vous aurez méritée. Je dis ceci pour

(1) Elle est citée avec éloge par le nouvel historien de la Réforme, M. Merle d'Aubigné.

votre gouverne et je demande une réponse positive et immédiate. Oui ou non, avant dimanche prochain, afin que je sache ce que j'ai à faire. Dieu vous donne sa grâce. » Jeudi, 8 décembre 1524. M. Luther, prédicateur à Wittemberg.

La Messe fut abolie. La tolérance était peu compatible avec ce caractère. Zwingle, le réformateur de la Suisse, ne la pratiqua pas mieux que Luther. Il persécuta les anabaptistes à Zurich où il avait un pouvoir non moins respecté que ne le fut celui de Calvin à Genève. Manquant de franchise, il cachait son intolérance derrière l'autorité civile qui n'agissait que par sa volonté. Dans toutes les villes d'Allemagne où la Réforme triomphait, le culte ancien était aboli. Érasme écrivait, en 1531, à un habitant d'Augsbourg : « Je voudrais que l'on ne vît pas chez vous cet état de choses qui existe, diton, dans certaines villes où la foule des sectes multipliées ne laisse aucun calme, où les évangéliques ont toute licence, tandis que les autres sont contraints d'admettre ce qu'ils n'approuvent pas. Assurément la contrainte n'a rien d'évangélique. Pour moi, je crains vraiment que, pendant que les uns sont luthériens, d'autres zwingliens, d'autres anabaptistes, tout en combattant contre les Turcs, nous ne devenions Turcs nous-mêmes. » A Bâle, l'amende et le bannissement étaient infligés à ceux qui communiaient même secrètement. En 1526, à la diète de Spire, les luthériens refusèrent d'accorder la liberté de conscience aux catholiques. On sait comment Calvin entendait la tolérance. Théodore de Bèze, plus frane que les autres réformateurs, déclarait que le principe de la

liberté de conscience était un dogme diabolique.

Luther était un révolutionnaire. La Révolution a magnifiquement parlé de la tolérance; elle ne l'a point pratiquée; elle y a conduit. La tolérance est venue après elle, lorsque la modération vraiment libérale a repris son empire. Elle est venue après la Ligue, grâce à la politique prudente et conciliatrice d'Henri IV. Elle a été enfin largement et solidement établie en France après les convulsions révolutionnaires,

lorsque les idées sages et vraiment progressives ont prévalu au milieu des ruines que la tempête avait semées sur son passage. Alors, mais alors seulement, les voeux des philosophes ont été satisfaits. Érasme le premier, à l'aurore des temps. modernes, a démêlé, promulgué et déterminé dans sa légitime étendue le principe qui reconnaît et consacre la liberté de conscience, la plus respectable des libertés humaines.

CHAPITRE XII

Érasme réformateur de la politique.

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Le prince de Machiavel.

L'Institution du prince d'Erasme. - L'Utopie de Morus.

I

La question de la liberté de conscience est une question mixte qui touche en même temps à la politique et à la religion. L'esprit réformateur et novateur d'Érasme a embrassé dans ses aspirations la politique tout entière. Sa libre hardiesse attaque les abus partout où il croit les rencontrer, et indique avec une sagacité pénétrante la voie du progrès où la société moderne doit marcher.

Au commencement du XVIe siècle, trois hommes remar

quables écrivent sur la politique presque en même temps, Machiavel, Érasme et Thomas Morus. Machiavel composa son livre du Prince en 1514. Dès lors il en communiqua le manuscrit à Laurent de Médicis dont il gagna ainsi la faveur, et qui le nomma historiographe de Florence; mais ce livre ne fut publié qu'après sa mort, en 1531. Érasme fit paraître en 1516 son petit traité sur l'Institution du prince, offert et dédié à Charles, prince des Pays-Bas et roi de Castille, qui fut plus tard Charles V; le jeune monarque n'avait alors que seize ans. L'Utopie de Morus fut imprimée à Louvain vers la fin de la même année.

Entre Machiavel et les deux autres écrivains, le contraste est tel qu'il ne saurait être plus grand. Entre Érasme et Morus, il y a presque en tout communauté d'idées; car cette société fantastique dont Morus nous donne le plan dans son Utopie, n'est, à nos yeux, qu'une fantaisie d'imagination, un jeu d'esprit où, sous une forme originale, attrayante, l'auteur a voulu cependant proposer des idées sérieuses sur la politique. Nous reviendrons bientôt sur ce sujet. Machiavel représente le réalisme politique. Ce n'est pas assez dire; il professe le pessimisme le plus odieux. Il laisse à d'autres le soin d'exposer ce que la politique doit être, selon la morale sans doute. Il se propose de faire connaître ce quelle est. Pour lui, la politique n'a rien de commun avec la morale, avec la justice. Il cherche comment les princes héréditaires ou nouveaux peuvent se maintenir. C'est à ce but que doivent tendre tous leurs efforts. Quant aux moyens, pourvu qu'ils réussissent, il faut les approuver, quelque mauvais qu'ils soient devant la morale.

« Désirer d'acquérir, dit-il, est une chose parfaitement naturelle et ordinaire; et toujours quand les hommes entreprennent selon leur pouvoir, il sont loués et non blâmés; mais quand ils veulent au-delà de ce qu'ils peuvent, là est le blâme, là est l'erreur. » Ainsi la cupidité et l'ambition, pourvu qu'elles aient la force en main, peuvent tout se per

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