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âmes. « Ce qui m'afflige, dit-il, c'est que nous sommes contraints et non instruits. »>

Dans le plan de pacification religieuse concerté avec le dominicain Jean Faber, on retrouve la même répugnance pour la rigueur et la compression violente. Un peu plus tard il applaudit à l'exemple donné par le roi Henri VIII, qui a voulu combattre Luther avec la plume plutôt qu'avec les armes. Il espère que les autres princes s'efforceront d'imiter ce bel exemple. Fidèle à ses sentiments d'humanité et à ses principes de tolérance, il intervient auprès du président du conseil de Malines en faveur de deux hommes instruits et intègres, mais accusés de luthéranisme et poursuivis avec acharnement comme tels, au moment où il est lui-même en butte aux ardentes attaques de ses ennemis. Il plaide aussi la cause de la douceur auprès d'Adrien VI, comme il l'avait plaidée auprès de Léon X. Sous le pontificat de Clément VII, il persiste, sans jamais se démentir, à conseiller la modération et à repousser la violence. On lit dans une de ses lettres : « J'ai écrit quelque chose au pape Adrien, à Clément VII, au cardinal Campége et à l'empereur touchant les moyens de retrancher les sources du mal; mais, à ce que je vois, on aime mieux user des remèdes vulgaires, des chaînes et des fagots... Pour moi, j'ai toujours détourné les princes de la rigueur autant que j'ai pu, le cas de sédition excepté. » C'était la seule limite qu'Érasme imposait à la liberté de conscience.

Non-seulement il condamne la contrainte et la violence en matière de foi; mais il les regarde comme impuissantes. Lorsque Mélanchthon lui reproche d'avoir par son écrit sur le libre arbitre encouragé les tyrans à user de rigueur, il répond avec vérité que nul n'a plus soigneusement et plus librement détourné les princes des mesures cruelles. « Je serais, ajoute-t-il, tout dévoué à la secte papiste, que je ne conseillerais pas davantage la rigueur. Elle ne fait que propager ce qu'on veut étouffer. Aussi Julien avait-il défendu de mettre à mort les chrétiens. Les théologiens ont cru que si l'on brû

lait un ou deux hommes à Bruxelles, tous les autres s'amenderaient; leur mort n'a fait que multiplier les luthériens. »

Il ne tenait pas un langage différent à George de Saxe, un des chefs du parti catholique. « Les princes contraires à Luther, lui disait-il, paraissaient résolus à calmer cette dissension par la rigueur. Pour l'exécution de ce dessein, en supposant qu'il fut juste et conforme à la vérité, je voyais clairement qu'on n'avait pas besoin de mes services. Admettons donc qu'il faille livrer au feu celui qui combat contre les articles de foi, ou contre ce qui a été reçu avec un grand accord par l'Église de manière à obtenir la même autorité que ces articles. Mais il n'est pas équitable que toute erreur soit punie du feu, à moins que la sédition ne s'y ajoute, ou un autre crime digne d'un tel supplice. Les théologiens de Paris sont en désaccord avec les Italiens sur beaucoup d'articles au sujet du pouvoir pontifical. Il est nécessaire que l'un des deux partis soit dans l'erreur. Cependant aucun d'eux ne condamne aux flammes le parti contraire... Maintenant je crains beaucoup que par ces remèdes vulgaires, j'entends les rétractations, les prisons, les bûchers, on ne fasse qu'envenimer le mal... Si je parle ainsi, ce n'est pas pour dire qu'il faut le négliger, mais pour montrer qu'il ne faut pas l'aigrir par de tels remèdes. Quel homme est touché d'une rétractation arrachée par la crainte du bûcher? Mais supposons que le mal puisse être étouffé par ces moyens, à quoi bon, s'il doit bientôt renaître avec plus de violence (1)? »

Malgré ses concessions, on voit combien son âme répugne à l'emploi des mesures rigoureuses, toutes les fois que la sédition ne se mêle pas à l'erreur. « Par mes paroles, comme par mes écrits, dit-il dans sa défense contre Luther, j'ai détourné les princes de la rigueur. Ai-je bien ou mal fait? Je

(1) Dans sa réponse aux censures de la Sorbonne, on trouve une concession analogue. « Pourquoi, dit-il, me soupçonne-t-on de croire qu'on ne doit pas mettre à mort les hérétiques, puisque dans des livres publiés je combats ceux qui soutiennent cette opinion? V. t. IX, p. 906.

laisse à d'autres le soin d'en juger. Pour moi, je ne puis être bourreau. » Le duc George ne le trouvait pas assez antiluthérien, parce que de temps en temps dans ses lettres il l'invitait à la modération. Érasme alléguait pour excuse qu'il avait écrit plusieurs fois en termes semblables à l'empereur et à son frère qui prenaient cette franchise en bonne part, car ils connaissaient la pureté de ses intentions. « Je me suis bien gardé, disait-il, d'accuser Ferdinand de cruauté; mais je préfère la persuasion et les moyens non sanglants au massacre de tant de milliers d'hommes, et j'ai pour moi l'exemple de saint Augustin, de saint Jérôme, et de tous les illustres défenseurs de la foi chrétienne. Ce n'est pas l'intérêt des hérétiques que j'ai en vue, mais celui des princes et des orthodoxes. Le fléau a pris une immense extension; beaucoup de gens honnêtes et pieux se trouveraient enveloppés dans la tempête, sans compter que le dénoûment des guerres est incertain.» «Si je n'écoutais, ajoutait-il, que la passion humaine, je pousserais de toutes mes forces les princes à la rigueur; mais la charité chrétienne et l'intérêt du monde catholique conseillent autre chose. Donner des conseils, ce n'est pas empiéter sur le droit des princes qui reste entier. J'avoue que la méchanceté des hérétiques provoque les rigueurs; mais vouloir guérir les hommes séduits, au lieu de les tuer, c'est un sentiment pieux. >>

Il écrivait encore au même prince : « L'empereur et Ferdinand paraissent vouloir recourir à la rigueur comme à l'ancre sacrée ; et assurément ils y sont poussés par ceux qui, sous prétexte de l'Évangile, veulent qu'on leur accorde toute licence. Mais je crains que l'affaire ne tourne de mal en pis. Le désir de piller excitera beaucoup de gens même contre des innocents et quiconque possède quelque chose sera exposé au péril. Ceux qui n'ont rien prospéreront et ce sera par les maux d'autrui, comme il arrive dans la guerre... Si le mal ne peut être enlevé sur-le-champ, il peut du moins être adouci temporairement, jusqu'à ce que la maladie sup

porte la main du médecin... C'est un remède funeste, celui qui perd plus de malades qu'il n'en sauve. » A son avis, ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de fermer les yeux pour un temps et de supporter les dissidents comme on avait supporté jusque-là les Bohémiens et les Juifs.

Un peu plus tard, en 1530, lorsqu'une guerre de religion semble imminente, il écrit deux fois au cardinal Campége et lui propose un plan hardi de tolérance. Il plaide avec une chaleur éloquente la cause de la paix et peint avec de sombres couleurs les maux sans nombre que la guerre doit enfanter. «Si l'empereur, disait-il, épouvante les dissidents par des menaces de guerre, je ne peux que louer son habileté. Si au contraire il désire sérieusement la guerre, je ne voudrais pas être un augure sinistre; mais mon âme frémit, toutes les fois que j'envisage par la pensée le spectacle qui, selon moi, se présentera une fois qu'on en sera venu aux armes. J'avoue que la puissance de l'empereur est très grande. Mais toutes les nations ne reconnaissent pas ce titre, et les Allemands ne le reconnaissent que sous des conditions déterminées, sous la condition de commander plutôt que d'obéir. En outre il est certain que ses États et ses forces sont épuisés par des voyages et des expéditions continuelles. L'incendie de la guerre est dès à présent allumé dans la Frise qui nous touche. Son prince, dit-on, professe déjà l'Évangile de Luther. Beaucoup de cités vers l'Orient et vers le Danemark font de même. De là la chaîne du mal s'étend jusqu'à la Suisse.

<«< Que si l'empereur, dans sa piété, annonce qu'il fera tout selon la volonté du pape, il est à craindre qu'il ne trouve pas beaucoup de soutiens. Ajoutez que de jour en jour on attend l'invasion des Turcs dont nous pourrons à peine écraser la puissance en unissant nos cœurs et nos forces... et pourtant la tendance des choses semble annoncer que la plus grande partie du monde va être inondée de sang; et comme les chances de toute guerre sont incertaines, il y a péril que ce

mouvement tumultueux n'amène le renversement de l'Église, alors surtout que la foule est persuadée que l'affaire est conduite seulement à l'instigation du souverain pontife et en très grande partie par les évêques et les abbés. Je crains même que l'empereur ne soit pas à l'abri de tout danger. Puisse le ciel écarter ce présage!

«Je reconnais et je déteste l'insolence de ceux qui sont les chefs, ou les partisans des sectes. Mais il faut plutôt considérer dans l'état présent ce que demande la tranquillité du monde que ce que mérite leur méchanceté. Au reste, on ne doit pas désespérer tellement de la situation de l'Église. Elle fut jadis battue par de plus violentes tempêtes sous Arcadius et Théodose. Quel était alors l'état du monde? La même ville avait des ariens, des païens, des orthodoxes... et cependant, au milieu de si grandes discordes, l'empereur tenait les rênes de l'empire, sans verser de sang, et retranchait peu à peu des hérésies monstrueuses. Le temps lui-même guérit quelquefois des maux incurables. Si les sectes étaient tolérées à certaines conditions fixées... ce serait, j'en conviens, un mal grave, mais moins grand qu'une telle guerre. »

Lorsqu'on apprit que tout espoir de conciliation était perdu, Érasme écrivit encore au cardinal légat pour empêcher la guerre, si c'était possible. « Nous espérions moins que nous ne souhaitions la paix de l'Église, lui disait-il. Je vois maintenant qu'il ne reste plus qu'à prier le Christ de s'éveiller, pour qu'il ordonne aux flots de se calmer. Cependant j'ai encore quelque espoir que Dieu mettra dans l'esprit de l'empereur des pensées de paix, surtout envers des chrétiens. Nous n'avons, hélas! que trop éprouvé combien est grande la barbarie des Turcs. Ce qu'ils préparent n'est ignoré de personne, et quand nous pouvons à peine leur résister en réunissant toutes nos forces, qu'arrivera-t-il si, divisés entre nous de tant de façons, nous engageons la guerre avec un ennemi non moins puissant que cruel? Si l'Allemagne commence une fois encore à s'agiter dans des guerres civiles,

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