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Érasme ne désapprouve pas non plus qu'à l'exemple des anciens on prenne des sujets de composition dans Homère, Sophocle, Euripide, Virgile, ou même dans les historiens, par exemple, Ménélas redemandant Hélène dans l'assemblée des Troyens, ou un ami conseillant à Cicéron de ne pas accepter les conditions d'Antoine.

En corrigeant les compositions, le maître doit louer tout ce qui lui paraît trouvé, traité ou imité heureusement, relever ce qui a été omis, ce qui n'est pas à sa place, ce qui est trop fort ou trop faible, obscur ou peu élégant, montrer comment on peut changer, et souvent même forcer les élèves à changer ce qui est défectueux. Le meilleur moyen d'exciter leur ardeur, c'est de les comparer à eux-mêmes et d'enflammer leur émulation par la vue de leurs progrès.

Dans l'explication des auteurs, il ne faut pas imiter le vulgaire des professeurs, qui, par une mauvaise ostentation, veulent tout dire en tout lieu. On doit seulement exposer ce qui est propre à l'explication du passage en question, à moins qu'on ne veuille quelquefois faire une digression pour amuser. Erasme donne son avis sur la meilleure manière d'expliquer un auteur. D'abord, pour exciter l'intérêt, on doit en peu de mots faire l'éloge de celui que l'on veut étudier, ensuite montrer l'agrément et l'utilité du sujet; bientôt après expliquer avec netteté la vraie signification du mot par lequel il est désigné; puis, exposer aussi clairement et aussi brièvement que possible le sommaire de l'ouvrage ou du morceau; enfin, tracer un plan simple et expliquer chaque chose en détail et avec étendue. Veut-on, par exemple, étudier une comédie de Térence? il faut d'abord parler en peu de mots de sa fortune, de son génie, de l'élégance de son langage; ensuite montrer l'agrément et l'utilité des comédies; puis expliquer ce mot, son origine, distinguer les diverses espèces de comédies, rappeler les lois du genre; exposer brièvement, mais avec clarté, le sujet; indiquer avec soin l'espèce de vers; enfin procéder avec ordre et expliquer en grand détail toute

la suite de la pièce. Il convient de noter en passant les endroits semblables d'autres auteurs, les différences, les imitations, les allusions, les morceaux traduits ou empruntés. Enfin on arrive aux réflexions philosophiques, et des fictions des poètes, on fait de justes applications à la morale. Ainsi la fable de Pylade et d'Oreste doit faire aimer l'amitié; celle de Tantale, faire détester l'avarice. De cette manière, en captivant l'attention par ses remarques, en appelant l'esprit à de plus hautes pensées, un maître habile, non-seulement neutralise la fâcheuse impression qu'un morceau pourrait faire sur un âge tendre, mais le fait servir à quelque leçon utile.

Il importe aussi de rechercher l'intention de l'auteur; pourquoi, par exemple, Cicéron défendant Milon simule la crainte; pourquoi Virgile a tant loué Turnus, l'ennemi d'Enée; pourquoi dans Lucien un fils rejeté est plus animé contre son père que contre sa marâtre. On peut trouver ces exigences trop grandes; mais Érasme demande un maître instruit et exercé par une longue pratique. Si un tel maître se rencontre, les enfants saisiront aisément ses leçons. Ce qui au commencement semblera trop difficile, s'adoucira par le progrès et l'habitude.

Le maître ne doit pas employer moins de soin à faire répéter par les élèves ce qu'il leur a enseigné. C'est sans doute un travail très fastidieux pour lui, mais très utile pour eux. Il leur demandera non-seulement l'ordre et l'ensemble, mais la reproduction fidèle de tout ce qui est digne d'être sûr. La difficulté peut effrayer d'abord; mais un mois suffira pour en triompher.

Érasme, on l'a vu, n'est pas d'avis que les enfants écrivent tout sous la dictée. Il résulte de là qu'on néglige de cultiver la mémoire. On peut se contenter de marquer certaines choses en petit nombre par quelques notes; et cela seulement, jusqu'à ce que la mémoire, fortifiée par l'exercice, n'ait plus besoin d'être aidée par l'écriture. A ses yeux, une bonne méthode d'enseignement avec un maître zélé et instruit avait

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une si grande importance, que, grâce à elle, il se faisait fort d'amener des jeunes gens tant soit peu doués à une habileté suffisante dans les deux langues avec moins de peine et en moins d'années qu'il n'en fallait aux maîtres vulgaires pour leur apprendre à s'exprimer avec incorrection, ou même d'une manière inintelligible (1): l'enfant, imbu de cet enseignement dans la première école, pourrait ensuite, sous de bons auspices, s'appliquer à de plus hautes sciences, et de quelque côté qu'il se tournât, il montrerait combien il était essentiel d'avoir rencontré dès le début une direction excellente.

Burigny dit avec raison que le petit ouvrage sur la manière d'étudier ne saurait être trop lu et trop médité par ceux qui sont destinés à élever des jeunes gens. Gilbert Cousin, élève et secrétaire d'Érasme, a pu à bon droit louer dans ses vers ce livre, petit par le volume, grand par les pensées. Mais ce plan et cette méthode, qui ont produit de si bons fruits dans les trois derniers siècles, peuvent-ils suffire aux exigences des temps nouveaux? Non assurément; toutefois ce n'est pas ici le lieu d'examiner la question (2).

IV

Comme on l'a dit plus haut, dans l'opinion d'Érasme, la plus grande partie du mal en fait d'éducation venait des écoles publiques ambitieusement décorées du nom d'Universités, comme si elles renfermaient toute bonne science, et aussi des monastères, surtout ceux des ordres mendiants. Là, des jeunes gens, après trois mois donnés à la grammaire, étaient sur-le-champ entraînés dans les dédales d'une dialectique captieuse, subtile, bizarre, embarrassée de ronces et

(1) T. I, p. 530.

(2) M. Em. Belot, professeur d'histoire au Lycée de Versailles, vient de la traiter d'une manière originale dans une brochure intitulée :

Réforme des études.

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d'épines. De là ils passaient tout droit dans le sanctuaire de la théologie. Quand les hommes ainsi formés en venaient aux auteurs qui avaient déployé dans l'une et l'autre langue une éloquence supérieure, ils étaient, pour ainsi dire, aveugles, en délire. Ils se croyaient transportés dans un tout autre monde; mais une fois qu'ils avaient revêtu la dépouille du lion, ils rougissaient d'avouer leur ignorance. Repoussant la honte et la peine d'apprendre ce qu'ils avaient négligé, ils déclaraient la guerre et vouaient une haine mortelle aux bonnes lettres. Ils insinuaient aux parents inexpérimentés qu'ils ne devaient pas laisser leurs enfants consumer les années de la jeunesse dans des études frivoles qui exposaient au naufrage leurs mœurs et leur foi.

Dans les colléges et les Universités, il y avait un autre abus qui contribuait beaucoup aux mauvaises études. Pour augmenter les profits, on recevait des élèves qui n'avaient pas acquis une instruction suffisante en grammaire. Au lieu de se borner à professer les sciences comprises dans le domaine de la philosophie, on se voyait forcé d'enseigner les éléments. On avait plus de peine et on formait des élèves moins instruits. « Cet abus, disait Érasme, serait supportable si, après avoir établi des classes avec ordre, on mettait à la tête de chacune des maîtres capables et que l'on donnât un temps et un soin suffisant à une science qui est le fondement de toutes les autres. Loin de là: on accorde trop de place aux arguties sophistiques; et cette science, plus nécessaire qu'aucune autre, est à peine effleurée en passant ou plutôt en courant. Bientôt les enfants sont entraînés à des études plus honorées, et, au bout du compte, ils se trouvent d'autant plus retardés qu'ils ont voulu aller plus vite. »

On devait ajouter que le grammairien était sans dignité, sans prérogatives, sans insignes de bachelier, de licencié, de docteur. Il n'était que grammairien, comme le cordonnier n'était que cordonnier. « Pourquoi, disait Érasme, ne point donner le titre de docteur en grammaire aux grammairiens

tels que Donat et Servius, lorsqu'il est plus facile d'obtenir trois fois le titre de docteur en droit que de mériter une seule fois le titre de bon grammairien (1)? On dit : présentez-nous d'éclatants services et nous leur accorderons des honneurs. On peut répondre: accordez des honneurs, et les services éclatants ne manqueront pas... Si j'étais dictateur, je leur assignerais une place d'honneur dans les assemblées, des insignes et les autres distinctions qui sont dues aux hommes remarquables... Je donnerais une propreté et une dignité convenable aux écoles elles-mêmes, presque aussi sales de nos jours que les étables à porcs (2). Mais faut-il faire tant d'honneur à des enfants? Oui, car ces enfants sont le temple de l'esprit saint; dans ces jeunes plantes sont cachés des sénateurs, des magistrats, des docteurs, des abbés, des évêques, des papes, des empereurs. On ne peut avoir une sollicitude trop tendre pour cet âge faible, qu'on abandonne cependant aux maîtres les plus abjects, les plus ignorants, les plus insensés, les plus tyranniques. Le plus souvent, dans les écoles, on confie l'enseignement de la grammaire à des hommes sans ressources ou à quelque enfant pour leur donner de quoi vivre. Sans doute, il est bon de fournir aux jeunes talents les moyens de s'élever; mais on doit le faire avec discernement et sans nuire à personne. On n'a égard maintenant qu'à la parenté, aux relations, ou à d'autres considérations frivoles... Un grand nombre regardent comme honteux de passer toute leur vie à enseigner la grammaire, comme si les peintres ne pratiquaient pas durant toute leur vie l'art de peindre. La nature a distribué les divers talents pour le bien commun. Point de partie du corps, point de membre méprisable. Chacune est précieuse également pour la beauté et la conservation de l'ensemble. »

(1) V. Vie d'Origène, t. III, p. 1847. Œuvres d'Érasme. Minore négotio tres juris doctores absolveris quam unum grammaticum, qualis fuit Aristarchus apud Græcos, apud Latinos Servius ac Donatus.

(2) T. I, p. 920.

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