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assez instruits, on leur demanderait s'ils ratifiaient les promesses que l'on avait faites pour eux. S'ils répondaient affirmativement, on leur ferait renouveler les vœux du baptême publiquement en présence des jeunes gens de leur age avec des cérémonies graves, décentes, solennelles, en rapport avec la solennité d'un engagement si auguste. « Quel magnifique spectacle, disait-il, que d'entendre la voix de tant de jeunes gens se consacrant à Jésus-Christ, lui jurant fidélité, renonçant au monde, abjurant Satan avec toutes ses pompes, tous ses plaisirs, toutes ses œuvres; de voir le jeune troupeau s'avançant du baptistère sacré, et le reste du peuple unissant sa voix avec ses prières à celles des nouveaux soldats de Jésus-Christ. » A cette occasion il rappelait les cérémonies figuratives des professions monastiques, cérémonies si touchantes qu'elles faisaient fondre les spectateurs en larmes. Il parlait aussi des comédies que l'on donnait dans certaines églises et qui représentaient la passion, la résurrection, l'ascension du Christ, la descente du Saint-Esprit.

Pour donner à cette cérémonie quelque chose de plus imposant, il désirait qu'elle fût présidée par les évêques euxmêmes. Cependant il éprouvait deux scrupules le premier, c'est qu'on semblerait renouveler le baptême, ce qui n'était pas permis; le second, c'est que certains jeunes gens pourraient ne pas ratifier les engagements pris pour eux dans le baptême. Le premier serait facilement levé, pensait-il, si les cérémonies en question n'étaient que l'image et la représentation du baptême, comme l'est chaque jour l'aspersion de l'eau bénite. Il était plus difficile de résoudre la seconde difficulté. Mais d'abord on devait tout essayer pour empêcher le jeune homme de rompre son premier engagement. S'il résistait, il convenait peut-être de ne pas le contraindre, mais de l'abandonner à lui-même, jusqu'à ce qu'il vînt à résipiscence. Pour toute peine, on devait lui interdire l'Eucharistie et les autres sacrements, sans l'exclure de l'Église et du ser

mon.

Le même esprit, les mêmes principes se retrouvent dans tous les ouvrages d'Érasme, dans ses Paraphrases, dans ses explications des Psaumes, dans ses éditions des Pères, dans ses lettres, dans ses écrits de polémique, dans ses traités religieux et moraux. Tout en poursuivant à son point de vue la réforme de la religion, il se promettait de travailler au rétablissement de la concorde, s'il voyait les deux partis disposés à des concessions raisonnables. Les idées mêmes qu'il répandait par ses écrits devaient préparer la voie. A vrai dire, il avait peu d'espoir. « Les adversaires de Luther, disait-il, s'applaudissant d'avoir triomphé à Worms, dirigent leurs coups redoublés contre cet homme, comme faisaient jadis les Grecs contre Hector renversé. D'autre part, la tragédie du nouvel évangile, commencée aux applaudissements de l'univers émerveillé, mais empirant d'acte en acte, a fini par un dénoûment tumultueux et insensé... J'estime peu une foi contrainte et imposée de force; mais il n'est ni sûr ni utile de mépriser l'autorité des chefs. Ce qui s'est enraciné avec le temps ne peut être arraché d'un seul coup. D'un côté je vois des bulles, des édits, des menaces; de l'autre des livres pleins de licence, pour ne pas dire de révolte. Si les princes, occupés d'autres soins, ne peuvent donner leur attention à ces maux, les gens de bien doivent s'entendre pour y remédier. Tandis que par intérêt on se tient en repos, l'incendie se propage.» Ainsi parlait Érasme peu de temps après l'assemblée de Worms.

Quelques mois plus tard, il écrivait au duc George de Saxe : « S'il est permis de s'exprimer librement devant un prince aussi sage que bon, il faut le reconnaître, le monde s'endormait dans les opinions scholastiques, dans les constitutions humaines. On n'entendait parler que d'indulgences, que d'accommodements, que du pouvoir du pontife romain. Quand même ces choses seraient d'une vérité indubitable, elles n'importent pas beaucoup à la vigueur évangélique. Elles ne nous excitent point au mépris du monde. Elles n'al

lument pas en nous l'amour des biens célestes; et pourtant c'est là ce qui doit être de préférence insinué dans les âmes... Des hommes attachés au siècle appuyaient leur tyrannie sur ces abus. Une réforme était nécessaire. Le sommeil du monde devait être secoué, l'étincelle de la vertu évangélique rallumée. Au commencement il n'y avait de compromis que le trafic des indulgences; mais les fautes des deux partis ont rendu l'affaire très grave. » Les voyant entraînés par un mouvement aveugle, il s'était tenu à l'écart. En effet, bien loin. de ramener dans de justes bornes ce qui était excessif, on l'exagérait encore.

A son avis, le meilleur moyen d'assoupir cette tragédie, c'était le silence. Tel était aussi le sentiment des cardinaux et des personnages les plus sensés. La bulle du pape n'avait fait que redoubler la violence de l'incendie. L'édit de l'empereur, encore plus rigoureux, pouvait bien retenir les plumes et les langues; mais il ne changeait pas les cœurs. Le zèle de Charles V était louable; mais les arbitres de cette affaire étaient peu autorisés par l'opinion. En attendant, on pouvait rappeler les évêques et les princes à leur devoir, pourvu qu'on le fit avec une douceur chrétienne. Il ne fallait pas diminuer l'autorité du pontife; mais c'étaient les bienfaits qui fondaient et conservaient le mieux l'autorité. Tout le mal, ou du moins la plus grande partie, avait sa source dans l'amour des intérêts terrestres, qui, sous le masque de la religion, exerçait une lourde tyrannie. Aussi les peuples, au lieu de s'attacher à leurs chefs comme à leurs pères, les détestaient et les repoussaient comme des tyrans.

En même temps qu'il cherchait à disposer les princes à des concessions nécessaires, il ne cessait de conseiller la prudence et la modération aux partisans de la réforme. « Ceux qui s'imaginent, disait-il, avoir dans les affaires du Christ le pouvoir qu'on leur reconnaît dans un banquet théologique, se trompent grandement. La vérité est efficace et invincible; mais le prédicateur doit unir la simplicité de la colombe à la

prudence du serpent. » — « Ce que font les dieux supérieurs ou même inférieurs, ajoutait-il avec ironie, on me l'écrit de différents côtés. Mais ce n'est pas à moi d'en juger; c'est à la vile populace. Pour moi, je remplirai sincèrement mon rôle dans la pièce. » En parlant ainsi, il avait en vue les prédications séditieuses des luthériens et leurs libelles écrits en langue vulgaire. A un prédicateur qui lui demandait s'il fallait déserter entièrement l'Évangile, il répondait : « Ceux-là plus que tous désertent l'Évangile, qui le défendent mal. Avec quelle lenteur le Christ a révélé sa doctrine! Quoi de plus insensé que certains hommes qui maintenant veulent paraître évangéliques? A quoi songent-ils? Que prétendentils? >>

Il appréciait avec sagacité les divers mobiles qui poussaient les sectateurs de Luther. « On met en avant la liberté évangélique, écrivait-il au chapelain d'Adrien VI. Mais tous n'ont pas le même but. Il en est qui, sous cette apparence trompeuse, cherchent une folle licence pour se faire les esclaves des passions charnelles. Il en est aussi qui envient les richesses des prêtres ; et il en est encore qui, ardents à dissiper leur avoir avec le vin, les femmes perdues et le jeu, convoitent le bien d'autrui pour le ravir. Enfin il y en a dont les affaires sont dans un tel état que la tranquillité publique n'est pas sûre pour eux. Il en est cependant quelques-uns qui désireraient voir réformer sans trouble, si c'était possible, ce qui s'est glissé peu utilement dans l'Église. Ainsi, au milieu de la confusion, comme il arrive d'ordinaire, chacun saisira

ce qu'il aura désiré. »

Il chercha, mais avec peu de succès, à faire sentir aux papes Adrien VI et Clément VII, comme à Léon X lui-même, la nécessité de faire les concessions que demandaient les circonstaces présentes; car il importait de couper le mal dans ses racines. Or, une de ces racines, c'était la haine de la cour de Rome dont la cupidité et la tyrannie étaient, disait-il, devenues intolérables. Il y avait aussi quelques lois ecclésias

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tiques qui semblaient trop lourdes pour la liberté du peuple chrétien.

Il écrivit dans le même sens au cardinal Campége, chargé d'une mission pacifique en Allemagne. « Tous les gens de bien, lui disait-il, sont fatigués comme moi de ces troubles. funestes. Quoique l'entreprise soit pleine de difficultés, j'ai confiance en votre sagesse et votre habileté supérieure. Je voudrais pouvoir moi-même quelque chose en cette affaire... Mais j'ai perdu mon crédit depuis que je me suis opposé à l'Évangile; car c'est ainsi qu'ils parlent. » Il ajoutait : « Je ne doute pas que votre sagesse ne conduise cette négociation par les voies les meilleures. Elle réussira mieux, si vous faites voir une équité parfaite, si vous manifestez l'intention de guérir le mal plutôt que de l'étouffer, si enfin vous montrez qu'en extirpant l'ivraie vous ne voulez pas aussi arracher le froment et que vous ne refuserez pas de faire certains changements qui peuvent et doivent être accomplis sans dommage pour la dignité apostolique et pour la piété chrétienne. En attendant, on devra s'abstenir de tout écrit séditieux et de toutes menées factieuses, jusqu'à ce que l'autorité du pape et des princes fasse un règlement général qui rétablisse la concorde et la raffermisse. L'Allemagne est fort vaste et vous ferez merveille si vous la pacifiez. >>

Ces paroles laissent voir qu'il ne croyait guère au succès du cardinal. Tous les jours le mal s'étendait malgré les efforts des monarques, des chefs de l'Église, des universités, des hommes instruits. Ce mouvement semblait avoir quelque chose de fatal, quel que fût le principe d'où il partait. Voyant l'obstination invincible des deux partis, Érasme, qui, depuis longtemps annonçait trois dialogues sur l'affaire de Luther (1), avait renoncé à les mettre au jour.

Mais il ne lui fut pas permis de garder plus longtemps le silence, et le Traité du libre arbitre fut publié. Toutefois,

(1) V. Catalogue à Botzemus, t. I.

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