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On peut croire cependant qu'il ne faisait pas de grands efforts pour les retenir. Irrité contre les moines et les théologiens qui l'attaquaient personnellement, défenseur des nouvelles études que poursuivait leur hostilité, partisan de la réforme religieuse qu'il appelait de ses vœux et qu'il avait préparée par ses écrits, il ne pouvait guère agir avec chaleur pour ramener les esprits à la modération par son autorité encore toute puissante. Il écrivait au doyen de saint Paul : « Je vous envoie un exemplaire du discours prononcé par le cardinal Cajetan, de l'ordre des Frères prêcheurs, dans l'assemblée des princes, à Augsbourg, où l'empereur joue une jolie comédie. Il a déterminé l'archevêque de Mayence, un jeune homme, à déshonorer sa dignité en acceptant le chapeau de cardinal et en devenant le moine du pontife romain. O mon cher Colet, quel spectacle nous présentent aujourd'hui les affaires humaines! Nous métamorphosons les hommes en dieux, et le sacerdoce devient une tyrannie. Les princes, d'accord avec le pape et peut-être avec le Turc, conspirent contre la fortune du peuple. Le Christ est aboli et nous suivons Moïse. »> « L'affaire des dîmes, disait-il dans une autre lettre, déplaît à l'Allemagne. Ces Midas, fertiles en expédients, tendent bien la corde! »>

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Aspirant au rôle de modérateur, il cherchait à garder une attitude indépendante entre Luther et ses adversaires. Mais ce n'était pas une neutralité impartiale. A cette époque, il penchait manifestement pour Luther qui, à ses yeux, avait écrit avec imprudence plutôt qu'avec impiété. Il ne lui reprochait guère que l'emportement de ses attaques. Il ne se prononçait pas sur ses principes, mais il ménageait peu ses adversaires. La lettre à Volzius, publiée en 1518, comme préface du Manuel du chrétien, la Méthode de la vraie théologie, refondue vers la même époque, portaient la trace de ces senti

ments.

La lettre à Volzius avait un caractère singulièrement offensif. Érasme y condamnait les distinctions minutieuses de la

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Scholastique qui voulait tout définir, qui multipliait les volumes sur la restitution, la confession, les vœux, les scandales et sur d'autres points innombrables, comme si elle se défiait de l'intelligence d'autrui, ou plutôt même de la bonté du Christ. Prescrivant à la lettre la récompense ou la peine due à chaque acte, elle ne parvenait pas toujours à expliquer les cas de conscience, tant était grande la variété des circonstances et des esprits. « Pour bien vivre, disait Érasme, le Christ a rendu la voie facile à tous. Il ne nous a pas jetés dans des labyrinthes inextricables de questions. Il ne nous a demandé qu'une foi pure, une charité vraie que l'espérance accompagne. C'est avoir enseigné en très grande partie la piété que d'avoir enflammé les cœurs d'amour pour elle... On ne croit jamais avoir assez discuté en quels termes il faut parler du Christ, comme si l'on avait affaire à un démon malfaisant qui voudrait notre perte... A une science sourcilleuse répondent des mœurs semblables, l'ambition, la cupidité, la débauche, la cruauté... L'étendue du royaume du Christ ne doit pas se mesurer à l'étendue des contrées où dominent le pape et les cardinaux, mais au nombre des âmes où règnent la piété, la charité, la paix, la chasteté. Son vrai triomphe, c'est la propagation des vertus célestes. Il n'est pas mort pour donner à quelques prêtres des richesses, des troupes, des armes et toute la pompe théâtrale d'un royaume mondain. >>

A la corruption des passions et des jugements, il opposait le frein de la doctrine évangélique. Il comparait cette morale céleste, altérée par les passions mondaines, aux sources comblées par les Philistins, dont parle l'Écriture. De même qu'Isaac avec ses serviteurs avait ouvert de nouveau ces sources précieuses, de même il fallait, en dépit des murmures, en dépit des fausses interprétations, faire jaillir des sources évangéliques la pure doctrine, que l'on s'efforçait de corrompre de toute manière. « On ne parle, disait-il, que d'indulgences, d'accommodements, de dispenses et d'autres

choses semblables dont on fait trafic à prix d'argent; et ce qui augmente le péril, c'est qu'on met en avant des noms augustes, ceux de grands princes, celui du pape, celui même du Christ; car les vices deviennent incurables, lorsqu'ils se couvrent du masque de la piété et du devoir.» «La perfection chrétienne, ajoutait-il, est dans les sentiments et non dans le genre de vie. Elle réside dans les âmes et non dans les costumes ou les aliments. Les grands de l'ordre ecclésiastique sont pour la plupart sujets à deux vices principaux, la cupidité et l'ambition. Le plus grand nombre des moines, sans parler d'autres maladies, sont enclins à la superstition, à l'orgueil, à l'hypocrisie, à la médisance. Même parmi les bons, il y en a dont la faiblesse ne s'élève jamais au-dessus d'un christianisme grossier, tandis qu'il y a des hommes deux fois mariés qui approchent de la perfection chrétienne. »

Mais tout en accordant aux observances et aux constitutions humaines moins de vertu que certains hommes ne leur en attribuaient, Érasme ne condamnait pas absolument la vie monastique. En blâmant les abus de la Scholastique, il ne repoussait pas entièrement les discussions des écoles. II croyait qu'il était plus sûr de placer sa confiance dans les bonnes actions que dans les indulgences pontificales; mais il ne condamnait pas ces indulgences. Il signalait les inconvénients et les désordres des pèlerinages; mais il ne blâmait pas la pieuse ferveur des pèlerins: il pensait que l'abus des observances pouvait devenir le fléau de la religion; mais il ne rejetait pas ces observances pratiquées avec modération; il ne trouvait pas mauvais que les religieux fussent attachés à leur règle; mais il s'indignait de voir que certains d'entre eux lui accordaient plus d'autorité qu'à l'Évangile. « Que les uns, disait-il, vivent d'œufs, d'autres de poissons, d'autres de légumes ou d'herbes, je n'y trouve rien à dire; mais ceux qui, avec un esprit judaïque, se croient sanctifiés par là, et qui, pour des bagatelles d'invention humaine, se mettent audessus des autres, sans se faire scrupule de flétrir par le men

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songe la réputation du prochain, sont dans une grossière illusion. Les observances multipliées des règles monastiques sont comme des liens dont les chefs des monastères enlacent des âmes simples et crédules. Ils parcourent les terres et les mers pour attirer dans leurs filets des jeunes gens sans expérience.» Érasme désirait qu'une loi protectrice défendît l'inexpérience de l'âge contre les séductions et que nul ne pût s'engager dans les vœux monastiques avant la trentième année. Il allait plus loin dans ses désirs; il souhaitait de voir la règle évangélique si profondément gravée dans tous les coeurs que chacun pût s'en contenter, sans rechercher celle de saint Benoît ou de saint François. «Tel est, ajoutait-il, je n'en doute pas, le désir de ces saints euxmêmes. Ils verront avec joie leurs constitutions abolies, si les simples chrétiens vivent de telle façon que ceux qui sont appelés religieux paraissent auprès d'eux avoir peu de religion ce qui du reste n'est pas rare... Les trois vœux imposés aux religieux ne font guère défaut à celui qui observe de bonne foi et avec vérité ce vœu premier fait dans le baptême, non pas aux hommes, mais au Christ... Pour ce qui est de la chasteté, combien peu de différence entre un célibat vulgaire et un chaste mariage... Mais quelque soit le genre de vie, le but et le modèle proposé aux efforts de tous c'est le Christ. Tous doivent tendre vers lui, selon leurs forces, s'exhortant, s'aidant les uns les autres, sans envier les forts qui marchent devant, sans mépriser les faibles qui restent en arrière. »

Érasme se montrait encore plus agressif et plus acerbe dans sa lettre au cardinal de Mayence, qui est du mois de novembre 1519. « Le monde, disait-il, a été surchargé de constitutions humaines, d'opinions et de dogmes scholastiques.

par la tyrannie des moines mendiants qui, tout en étant les satellites du Saint-Siége, sont devenus par leur puissance et leur multitude redoutables et au pape et aux rois eux-mêmes. Lorsque le pontife est pour eux, c'est plus qu'une divinité.

Mais dans ce qui est contre leurs intérêts, c'est moins qu'un songe. Je ne les condamne pas tous; mais le plus grand nombre est tel. En vue du lucre et de la domination, ils enlacent les consciences humaines. S'armant d'effronterie et laissant de côté le Christ, ils se sont mis à ne prêcher que leurs dogmes nouveaux et parfois même impudents. Ils parlent des indulgences d'une façon qui n'est pas supportable même aux simples. Par ces excès et d'autres semblables, la vigueur de la doctrine évangélique se perd peu à peu; et le mal, empi. rant tous les jours, menace d'éteindre cette étincelle de la piété chrétienne, d'où la charité étouffée peut renaître. Toute la religion dégénère en cérémonies plus que judaïques. Voilà ce dont s'affligent, ce que déplorent les hommes de bien, ce que reconnaissent les théologiens eux-mêmes qui ne sont pas moines, et quelques moines aussi dans la conversation privée. »

Un peu plus loin, dans la même lettre, il ajoutait : « Luther a osé douter des indulgences; mais d'autres avant lui avaient émis des thèses par trop effrontées. Il a parlé sans mesure du pouvoir pontifical; mais auparavant d'autres avaient écrit sur ce pouvoir de la manière la plus excessive. Il a osé mépriser les assertions de saint Thomas; mais les dominicains les préfèrent presque aux évangiles. Il a osé en matière de confession dissiper quelques scrupules; mais les moines enchaînent les consciences sans fin et sans mesure. Il a osé abandonner en partie les décisions des écoles; mais ce sont des décisions dont on exagère la portée, sur lesquelles on n'est pas d'accord et que l'on remplace quelquefois par de nouvelles. Dans les écoles, on ne parle presque plus de l'Évangile ni des Pères. Dans les sermons, il est fort peu question du Christ. Tout roule sur le pouvoir pontifical et sur les opinions nouvelles. Tout respire le lucre, la flatterie, l'ambition, la fausseté... C'est venir en aide à la piété du pontife que de l'exhorter à ce qui est le plus digne du Christ. Toutefois on n'en peut douter, certains hommes excitent le Saint

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