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genoux le matin devant sa figure dans la persuasion que ce jour-là il ne lui arrivera aucun accident mortel. Un autre va prier saint Roch, parce qu'il croit que ce saint le préservera de la peste. Celui-ci jeûne en l'honneur de sainte Apolline, afin de n'avoir pas mal aux dents. Celui-là va voir un tableau de Job, parce qu'il espère par là éviter la lèpre. Quelquesuns destinent une partie de leur bien aux pauvres, afin que les marchandises qu'ils ont sur des vaisseaux ne périssent point par un naufrage. Il y en a qui allument un cierge à saint Hiéron en vue de retrouver ce qu'ils ont perdu. Enfin, suivant nos craintes ou nos désirs, nous donnons aux saints de l'occupation. Saint Paul est chargé de faire en France ce que saint Hiéron fait chez nous; et ce que saint Jacques ou saint Jean peuvent dans un pays, ils ne le peuvent pas dans un autre. Ces sortes de dévotions qui ne se rapportent point à Jésus-Christ ne sont pas fort éloignées de la superstition des païens qui offraient la dixième partie de leurs biens à Hercule pour s'enrichir, ou qui sacrifiaient un coq à Esculape pour recouvrer la santé, ou qui, pour avoir une navigation heureuse, immolaient un taureau à Neptune. »

C'était sous cette forme ironique et légère qu'Érasme censurait les superstitions du peuple. Ces attaques devaient exciter les plaintes de ceux qui en profitaient et les scrupules de ceux qui redoutaient le fâcheux effet de ses railleries sur des esprits peu éclairés ou enclins à l'irréligion. Les murmures éclatèrent surtout avec force, lorsque Luther renouvela les mêmes attaques, en y mêlant des dogmes opposés à la doctrine de l'Église. Dans la suite, Érasme reconnut formellement l'invocation des saints qu'il n'avait jamais repoussée d'une manière absolue. Mais il appelait superstitieux tout culte qui ne se rapportait pas à Dieu même, et il ne voulait pas qu'on eût moins de confiance en lui que dans les hommes.

Traitant de la nécessité du culte intérieur sans lequel l'extérieur n'est d'aucune utilité, il prenait de là occasion de s'élever contre les moines avec beaucoup de violence. Il disait

que toute leur religion consistait en cérémonies (1), en travaux corporels, qu'il y en avait très peu qui ne fussent pas charnels, c'est-à-dire étrangers à toute spiritualité. Plus loin, donnant un libre cours à son humeur contre les théologiens, il s'étonne que les évêques et les papes aient revendiqué à leur profit les termes de puissance et de domaine, et que les théologiens n'aient pas rougi de se faire appeler nos maîtres, lorsque Jésus-Christ a interdit à ses disciples les noms de maître et de seigneur. Enfin, ce livre où il montre que l'on peut se sauver dans le monde, et qu'ainsi il n'est pas nécessaire de se faire moine pour être dans la voie du salut, se termine par ce trait offensif « Le monachisme n'est pas la piété; mais c'est un genre de vie utile ou nuisible suivant les caractères ou les tempéraments. Je ne vous conseille ni ne vous détourne de l'embrasser. »

Le Manuel du soldat chrétien fut bientôt dans toutes les mains et trouva des partisans enthousiates. Adrien Barland, dont nous avons parlé plus haut, l'appelait un livre d'or et le regardait comme très utile à tous ceux qui voulaient s'arracher aux plaisirs du monde, suivre le chemin de la vertu et approcher de Jésus-Christ. Un prédicateur d'Anvers soutenait qu'il n'y avait pas de page dans ce livre, qui ne fournit le sujet d'un beau sermon. Budé en parlait comme d'un ouvrage approuvé par tout le monde. L'évêque de Bâle le portait toujours avec lui et avait rempli de ses notes toutes les pages.

Le professeur Pierre de la Moselle faisait lire le Manuel d'Érasme avec le traité de saint Augustin, de la Doctrine chrétienne. Ce qui est plus étonnant, Adrien d'Utrecht le lut et l'approuva lorsqu'il parut.

Cependant il n'en fut pas ainsi de tous les théologiens. Quelques-uns prétendirent qu'il ne fallait pas une grande science pour faire un livre qui en contenait si peu. Stunica et

(1) Si tantum in istis exterioribus observantiis profectum religionis ponimus, cito finem habebit devotio nostra. (Imitation, liv. I, ch. XI.)

le prince de Carpi l'attaquèrent avec vivacité. Mais les critiques ne l'empêchèrent pas de se répandre partout. Il fut traduit dans les principales langues de l'Europe. Ces traductions. le rendirent populaire; mais en même temps elles excitèrent la colère des moines et des théologiens. La traduction espagnole, œuvre de l'archidiacre Alcoranus, grâce au nom d'Érasme et à la nature du livre, eut plus de lecteurs qu'aucun autre ouvrage. Les imprimeurs, après en avoir tiré des milliers d'exemplaires, ne pouvaient satisfaire l'avidité du public. Les moines avaient fait tous leurs efforts pour arrêter cette traduction avant qu'elle parût. Un dominicain prétendit qu'il y avait dans le Manuel deux propositions insoutenables, celle où l'auteur avançait que le monachisme n'était pas la piété, et celle qui semblait faire consister les supplices de l'enfer dans les seules peines de l'esprit (1). Érasme, défendu par le théologien Coronelli, se justifia lui-même en peu de mots. Il traita de calomnie le reproche qu'on lui faisait de nier le feu réel de l'enfer. Seulement il croyait que la doctrine du feu matériel de l'enfer était plus nettement enseignée dans les livres des théologiens que dans l'Écriture. Il répondait à la seconde accusation en disant : « Si le monachisme est la piété, tous les moines sont donc pieux. »

Louis de Berquin traduisit le Manuel en français. Porté pour les opinions nouvelles, il altéra l'ouvrage qu'il traduisait. Aussi les théologiens le poursuivirent-ils avec un acharnement implacable. Dans l'édition de 1518, plus correcte et plus belle que les précédentes, Érasme ajouta comme préface une longue lettre qui laisse voir déjà l'influence de Luther. Il y retrace avec de vives couleurs la religion de ceux qui faisaient consister la théologie chrétienne dans les subtilités scholastiques et la piété dans l'observation de constitutions humaines et dans de froides pratiques de dévotion. On avait

(1) Voici le passage: Nec alia est flamma in qua cruciatur dives ille comessator evangelicus; nec alia supplicia inferorum... quam perpetua mentis anxietas quæ peccandi consuetudinem comitatur.

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dit que le Manuel aurait pu être écrit par un écolier. «< Que mon traité révèle peu de sagacité, répondait-il, j'y consens, pourvu qu'il soit plein de piété. Qu'il ne prépare pas les lecteurs aux luttes de l'école, pourvu qu'il les prépare à la paix chrétienne. Qu'il ne serve pas aux discussions théologiques, pourvu qu'il serve à la vie théologique. Dans cette rapidité fugitive du temps, on a besoin d'un remède tout prêt et à la portée de chacun. »>

Il poursuivit dans l'Eloge de la Folie, sous une forme plus légère, l'œuvre de critique et de réforme qu'il avait commencée dans le Manuel. Ce petit livre, composé en 1510, fut probablement imprimé en 1511, trois ans avant la première lettre des hommes obscurs, six ans avant les thèses de Luther sur l'abus des indulgences. La Folie censure le culte superstitieux des saints avec une liberté pleine d'irrévérence. Elle attaque les colporteurs de faux miracles, sources de profits pour les prêtres et pour les prédicateurs, miracles d'autant plus agréables et d'autant mieux acceptés qu'ils sont plus éloignes de la vérité. Elle rit du matelot qui se croit sûr de ne point périr, du moment qu'il a regardé une image en bois de saint Christophe représenté sous les traits de Polyphème, du soldat qui se persuade qu'il reviendra sain et sauf du combat, parce qu'il a fait une certaine prière à une figure sculptée de sainte Barbe, de l'avare qui espère devenir bientôt riche, parce qu'il a honoré saint Érasme certains jours par un certain nombre de cierges et par certaines formules de prières. « On a trouvé, dit-elle, dans saint Georges un second Hercule, et l'on en a fait un second Hippolyte avec son cheval pieusement caparaçonné que l'on adore presque et auquel on fait de temps en temps quelque offrande. Jurer par le casque saint Georges est une coutume vraiment royale...

de

«Que dire de ceux qui, abusés par des indulgences trompeuses et croyant leurs crimes pardonnés, se repaissent de la plus douce illusion et mesurent, comme avec une clepsydre, la durée des peines du purgatoire, marquant avec une exac

titude infaillible, ainsi que dans une table mathématique, les siècles, les années, les mois, les jours, les heures; ou de ceux qui, pleins de confiance en certains caractères magiques, ou en certaines petites prières, imaginées par quelque pieux imposteur à plaisir ou en vue du gain, osent tout se promettre, richesses, honneurs, voluptés, satisfaction de tous les appétits, santé toujours florissante, longue vie, verte vieillesse, enfin une place dans le ciel tout près du Christ; place qu'ils ne voudraient cependant obtenir que fort tard, c'est-à-dire lorsque les voluptés de ce monde, qui les retiennent impérieusement et malgré eux, les auront abandonnés pour faire place aux délices célestes? Représentez-vous ici un marchand, un soldat ou un juge qui, après tant de rapines, se dépouillant d'un seul petit écu, croit avoir purifié tout d'une fois le marais infect de tous ses crimes, s'imagine racheter à un prix convenu tant de parjures, tant d'excès de débauche ou d'ivresse, tant de rixes, de meurtres, d'impostures, de perfidies, de trahisons, et se figure qu'il lui est permis ensuite de recommencer toute une nouvelle série de crimes.

« Quoi de plus insensé? que dis-je? quoi de plus heureux que ces gens qui, récitant chaque jour sept versets déterminés des psaumes sacrés, se promettent une félicité parfaite? Et ces versets magiques, c'est un démon facétieux, mais plus étourdi que rusé, qui les indiqua, dit-on, à saint Bernard. Le malheureux fut pris au piége. Et ces sottises, qui me font rougir presque moi-même, sont approuvées pourtant, et nonseulement du vulgaire, mais aussi des maîtres de la religion!

« N'est-ce pas encore par une illusion du même genre que chaque pays revendique particulièrement quelque saint qui lui appartient en propre, que l'on attribue à chacun un pouvoir spécial?... Mais pourquoi entrer dans cette mer de superstitions? La vie entière des chrétiens est pleine de folies de ce genre, et cependant les prêtres eux-mêmes les admettent sans peine et les entretiennent, n'ignorant pas combien

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