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contenu le corps méme des lettres. Les deux plus éloignées limitent les parties saillantes en haut et en bas. Mais il faut que l'enfant puisse bientôt se passer de ces secours. On doit surtout faire en sorte qu'il croie jouer et non étudier.

On peut de temps en temps l'exercer aussi un peu à la peinture; « car l'homme, dit Érasme, a généralement pour cet art un attrait naturel. » Un grand maître du temps, Albert Dürer, peintre, mathématicien, géomètre, avait écrit un livre très savant sur la peinture et sur ses rapports avec l'écriture. Érasme, qui poursuivait de ses vœux la restauration de tous les arts libéraux, égalait le peintre de Nuremberg aux plus grands maîtres de l'antiquité. « Il leur est même supérieur en un point, dit-il, c'est qu'avec des lignes noires, sans le secours de la couleur, il sait tout représenter, les ombres, la lumière, les proéminences, les dépressions. Il fait qu'un objet unique offre plusieurs aspects selon la position de ceux qui le regardent. Une harmonie et une symétrie parfaite règnent dans ses œuvres. Par lui est peint ce qui semblait ne pouvoir l'être, le feu, les rayons du soleil, la foudre, les éclairs, les nuages, les sentiments, les passions, enfin l'âme tout entière de l'homme, rayonnant dans l'extérieur de son corps, et presque la voix elle-même. Si un tel art n'obtient pas les récompenses qui lui sont dues, la honte en retombe sur les princes, et non sur la peinture. »

Il comprenait toute la puissance de l'écriture, surtout depuis que l'imprimerie pouvait la reproduire et la propager indéfiniment. Les lettres, apportées en Grèce par Cadmus, étaient figurées par les dents du serpent: de ces dents semées dans le sol étaient sorties tout à coup deux troupes de guerriers, pourvus de casques et de lances, qui s'étaient entretués par de mutuelles blessures. De même les lettres, placées dans leur ordre naturel, étaient sans action; mais dispersées, semées, multipliées, elles devenaient vivantes, actives, militantes. « Les accents et les esprits, disait-il plaisamment, ce sont les lances et les casques. A bien considérer les parties

saillantes des lettres, on peut découvrir en elles, non-seulement des lanciers et des soldats armés à la légère, mais des guerriers pesamment armés, munis de boucliers, d'épées, de balistes. » Érasme voyait commencer ces grandes luttes des idées qui devaient changer la face du monde moderne: il était lui-même dans la mêlée. Il livrait bataille avec sa plume à l'armée des barbares. Cette bataille, il l'avait à peu près gagnée. La Renaissance triomphait dans toute l'Europe au moment où il écrivait.

III

Il avait senti de bonne heure que le succès de cette renaissance dépendait de la réforme de l'enseignement. Dans un petit traité sur la manière d'étudier (1), adressé à un professeur de belles lettres, appelé P. Vitier, il expose ses vues sur l'ordre qu'on doit observer dans les études. Les méthodes, le plan et la marche à suivre lui semblaient d'une importance capitale.

La connaissance embrassant les mots et les choses, il était nécessaire de commencer par étudier les mots qui nous donnent la clef des choses. La grammaire devait donc avoir la première place, et il fallait enseigner simultanément la grammaire grecque et la grammaire latine qui se font mieux comprendre l'une par l'autre. Avant tout, on devait se procurer un maître excellent, ou, faute d'un maître, les meilleurs auteurs en petit nombre, mais choisis avec soin. Pour la grammaire grecque, Théodore Gaza, de l'aveu de tous, occupait le premier rang; puis venait Constantin Lascaris. Pour les grammaires latines, Érasme regardait comme les meilleures, parmi les anciennes, celle de Diomède; parmi les

(1) T. I, p. 521 et suiv.

nouvelles, celle de Nicolas Perotti, mais sans prédilection exclusive.

Comme en tout le reste, il voulait des préceptes aussi peu nombreux que possible, mais excellents. Il n'approuvait pas ces maîtres vulgaires qui retenaient les enfants sur ces préceptes pendant un grand nombre d'années; car, à ses yeux, le meilleur moyen d'apprendre à parler avec facilité et correction, c'était le commerce de ceux qui parlaient purement, et la lecture des bons auteurs. On devait commencer par ceux qui étaient à la fois les plus corrects et les plus agréables. Pour le grec, le premier rang à ce point de vue appartenait, en prose, à Lucien; le second à Démosthène; le troisième à Hérodote. En poésie, il mettait en première ligne Aristophane à défaut de Ménandre; en seconde ligne, Homère; en troisième, Euripide. On peut s'étonner de la place assignée à Démosthène, qui est très pur, mais peu attrayant pour l'enfance. Érasme semble le reconnaître ailleurs. Le rang qu’Aristophane occupe surprend encore davantage et ne peut être accepté qu'avec de sages réserves. Il est singulier qu'il ait oublié Xénophon.

Quant aux auteurs latins, il pensait qu'on devait commencer par Térence, si pur, si châtié, se rapprochant du langage familier et plein d'agrément par la nature même du sujet. Il consentait à ce qu'on y joignît quelques pièces de Plaute, mais choisies et exemptes d'obscénités (1). On doit croire qu'il faisait les mêmes restrictions pour Aristophane, bien qu'il ne le dise pas; car il veut qu'on interdise à un âge glissant Catulle, Tibulle et Martial, ainsi que les autres auteurs semblables. Il permet seulement qu'on en voie des morceaux détachés.

Il donnait la seconde place à Virgile, la troisième à Horace, la quatrième à Cicéron, la cinquième à César. Si

(1) Deux disciples d'Érasme, Dorpius et Barland, non contents de faire expliquer Térence et Plaute, firent jouer quelques-unes de leurs pièces par leurs élèves. De là le nom de Térentiens que le cardinal Adrien d'Utrecht donnait aux lettrés.

l'on voulait ajouter Salluste à ces auteurs, il ne s'y opposait pas. Mais, à son avis, ces écrivains suffisaient pour apprendre les deux langues. Il n'approuvait pas ceux qui passaient leur vie entière à feuilleter dans ce but toute sorte d'auteurs et qui regardaient comme inhabile quiconque avait omis de lire même le moindre petit livre.

On voit que, dans l'ordre assigné aux auteurs latins, il tient compte de l'agrément beaucoup plus que de la difficulté, faisant passer les poètes avant les prosateurs, tandis qu'il agit tout autrement pour les Grecs. La raison de cette différence, c'est que chez les Grecs la langue des poètes diffère essentiellement de la langue des prosateurs. Il trouve qu'il n'en est pas de même chez les Latins. Pour faire produire à la lecture et à l'explication des auteurs des fruits plus précoces et plus abondants, il recommandait l'étude de Laurent Valla qui avait écrit très élégamment sur l'élégance de la langue latine. Toutefois on ne devait pas le suivre avec une exactitude servile. Ce qui devait être aussi d'un utile secours, c'était d'apprendre par cœur les figures grammaticales, transmises par Donat et Diomède; de posséder dans son esprit toutes les règles et toutes les formes de la versification; d'avoir sous la main les préceptes de la rhétorique. Si l'on voulait y ajouter l'étude de la dialectique, il n'y mettait pas grand obstacle, pourvu qu'on l'apprît dans Aristote et non auprès de la race verbeuse des sophistes, pourvu qu'on ne s'y arrêtât pas trop longtemps et qu'on n'y vieillit point comme auprès des écueils des Sirènes.

En attendant, on ne devait pas oublier que le meilleur maître d'éloquence, c'était la plume. Il fallait l'exercer avec soin en prose, en vers, sur toute sorte de sujets. La mémoire, dépositaire de nos lectures, ne devait pas non plus être négligée. On pouvait l'aider par les lieux et les images, mais plus encore par la parfaite intelligence, l'ordre, le soin, le rappel fréquent. Érasme ne craignait pas de descendre à des avis minutieux. Pour les choses un peu difficiles, mais

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qu'il était pourtant nécessaire de retenir, comme les lieux géographiques, les généalogies et les autres objets semblables, il conseillait de les retracer le plus brièvement et le plus nettement possible sur des tableaux qui seraient suspendus. aux murailles, de manière à frapper les yeux même inattentifs; comme aussi pour certaines pensées brèves, mais remarquables, il était bon de les inscrire au commencement ou à la fin de chaque volume, de graver certaines maximes sur les anneaux et sur les coupes, d'en écrire quelques-unes sur les portes, sur les vitres même, afin d'avoir toujours devant soi tout ce qui pouvait servir à l'instruction. Chaque chose prise en soi pouvait paraître peu importante; mais, toutes réunies, elles augmentaient le trésor des connaissances d'une portion qui n'était pas à mépriser, quand on visait à ce genre de richesse.

Ce qui était d'une utilité générale et fort grande, c'était d'enseigner soi-même fréquemment; car on ne voyait jamais mieux ce que l'on comprenait et ce qu'on n'entendait pas. La méditation faisait surgir de nouvelles idées et la discussion gravait tout plus profondément dans l'esprit.

Après s'être fait un langage, non pas surabondant, mais pur, on pouvait passer à l'étude des choses; et déjà cependant les auteurs qu'on avait étudiés pour polir la langue, les faisaient connaître, en passant, d'une manière assez étendue. Les études classiques devaient comprendre la géographie étudiée soigneusement et à fond, un peu d'arithmétique, de musique, d'astronomie, ce qu'il fallait de médecine pour veiller au soin de sa santé, une teinture de la physique, non pas tant de cette physique transcendante qui traite ambitieusement des principes, de la première matière, de l'infini, que de celle qui fait voir les propriétés des choses. Pour ce qui regardait la morale, il était convenable de la faire pénétrer dans les cœurs par des aphorismes se rapportant à la piété chrétienne et aux devoirs de la vie.

Toutes ces connaissances, on devait les acquérir en se

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