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à la passion. Le pathétique peut seul réveiller ceux qui toujours sommeillent. Saint Jean-Baptiste prépare les cœurs des Juifs par la terreur. C'est par la douleur, la joie, la honte, l'émulation, l'espérance que nous formons les enfants à la vertu. L'enseignement fait que l'auditeur comprenne; le pathétique fait qu'il aime ou haïsse. » Il y a deux sortes de passions, les passions douces et les passions vives. Les passions douces règnent dans la comédie. Mêlées au discours, elles lui donnent un grand charme, l'empêchent de languir et disposent à la persuasion. Érasme cite Homère et l'Écriture. De la parabole de l'enfant prodigue, il croit qu'on pourrait tirer une assez belle comédie. Il rappelle que saint Augustin, dans sa jeunesse, ne pouvait lire l'histoire de Didon sans verser des larmes, tout en sachant que c'était une fiction composée à faux sur une femme pudique.

Ces deux sortes de passions sont mises en mouvement par les circonstances du sujet, convenablement présentées. Selon Érasme, il est beaucoup plus facile et en même temps plus utile au prédicateur qu'à l'avocat d'exciter les passions de ses auditeurs. « Car, dit-il, la plupart des choses dont il doit parler sont d'abord d'une certitude indubitable, plus certaines même que celles qui frappent les yeux et tous les sens; ensuite elles sont si grandes que tout ce qui arrive réellement dans le monde et même tout ce qui a été imaginé par les hommes dans le but de nous émouvoir, est froid en comparaison. » Érasme compare la mythologie païenne et les mystères de la foi chrétienne au point de vue qui l'occupe en ce moment: «Entre la sagesse des philosophes et la sagesse prophétique n'y a-t-il pas autant de différence qu'entre la lumière et les ténèbres? Que sont les Décius comparés aux martyrs, les mensonges monstrueux des païens mis en parallèle avec les miracles des chrétiens? Si l'on considère les idées des uns et des autres sur la Providence divine, quelle distance les sépare. Dans les sujets que traite le prédicateur, tout est si grand, si assuré, si frappant, si plein d'une flamme

ardente que, même simplement exposées sans amplification, ces choses arracheraient des larmes aux cœurs les plus durs. Là il n'est rien à quoi chacun de nous ne soit intéressé. Que nous sert le dévouement d'Alceste? Mais l'amour du Christ pour nous, mais les martyrs et tout le reste nous parlent de nos plus grands intérêts. Le prédicateur ne doit pas tant avoir pour but de nous attrister par leurs souffrances que de nous porter au désir de les imiter. » Ce passage éloquent suffirait seul pour séparer profondément Érasme des païens de la Renaissance.

Le principal, pour exciter les sentiments pieux, c'est d'être pieusement affecté soi-même. Pour inspirer l'aversion du mal, il faut la ressentir dans son cœur. Il n'y a que le feu qui enflamme. Il est nécessaire que la piété du prédicateur parle dans toute sa personne et se communique aux autres. On a vu pourtant des prédicateurs dont la vie était publiquement mauvaise, et qui, par une éloquence véhémente, arrachaient des larmes aux auditeurs malgré eux et pleuraient euxmêmes (1). Il y a des sentiments passagers. Ce ne sont pas ceux que l'orateur sacré cherche à faire naître. Il ne ressemble pas à un avocat ou à un histrion. Il veut exciter des sentiments durables, qui germent, se fortifient et portent des fruits de piété. Un discours sans art, mais partant d'une âme embrasée, produira cet effet plutôt qu'un discours pourvu de toutes les machines de la rhétorique, mais coulant des lèvres et non du cœur. « Il faut, dit Érasme, avoir en soi la source des bons sentiments. Toutefois il importe de réveiller de temps en temps notre âme qui sommeille, afin que le discours ait plus de force. Le Saint-Esprit est reçu dans des vases d'argile. »>

Il y a trois manières de réveiller l'ardeur de l'âme. On la réveille en soi par l'imagination en se représentant vivement les objets sur lesquels on doit parler. Le prédicateur, étant ainsi plus ému lui-même, touchera plus fortement ses audi

(1) Voir la note H, à la fin du volume.

teurs par une peinture tellement vive et sensible qu'ils croiront voir l'action se passer sous leurs yeux. Les Galates n'avaient pas vu Jésus-Christ sur la croix ; mais la prédication expressive de saint Paul l'avait mis en quelque sorte sous leurs yeux. Érasme prend des exemples dans saint Chrysostome et dans saint Basile. « Ce dernier, dit-il, nous a laissé une peinture admirable. C'est le récit de la mort de quarante martyrs condamnés à mourir de froid dans un lac glacé. Vous voyez cette mort dans sa narration mieux que si vous en aviez été spectateur. Mais il se représenta ce lamentable spectacle dans son âme avant de le retracer aux autres, et il s'émut lui-même avant d'enflammer autrui du sentiment de la pitié. » On trouve aussi une peinture expressive dans le Babylas de saint Chrysostome. Fénelon a donné pour exemple un récit plus profane, la mort de Didon dans Virgile. L'aptitude naturelle ou acquise pour se représenter ainsi les objets n'est pas la même chez tous. Au reste, le prédicateur doit maîtriser sa sensibilité, si elle est trop grande, réprimer ses larmes et tempérer au besoin les mouvements immodérés de son cœur. Quelquefois en effet l'excès de sensibilité est un défaut et ne convient pas plus au prêtre qu'au médecin.

Il est une autre manière d'exciter l'ardeur de son âme, c'est de lire quelque passage de l'Écriture, très propre à enflammer, jusqu'à ce que l'on sente son cœur s'échauffer, et avant qu'il se refroidisse, de monter en chaire. Selon la parole de saint Chrysostome, l'Écriture est comme une peinture remarquable; plus on la contemple, plus on trouve de quoi admirer. Le prédicateur, après avoir examiné attentivement chaque partie, sera plus ému lui-même et enflammera plus vivement les autres.

Mais le moyen le plus efficace de tous, selon Érasme, c'est avant le sermon une profonde prière à Dieu (1) pour deman

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(1) V. Fénelon, Dialogue III. Bossuet, dans ses sermons à peine préparés, s'inspirait surtout par la méditation de l'Écriture et par la prière.

der la sagesse, la parole et le bon succès de son discours. « La prière, dit-il, est d'un merveilleux effet sur tout homme qui entreprend une œuvre difficile. C'est une prétention déplacée de certains prédicateurs, que de monter en chaire sans s'être recueillis. Ici la seule ambition légitime, c'est de gagner les âmes à la piété. Mais il ne faut pas oublier que les émotions violentes durent peu. Le prédicateur ne doit pas rester trop longtemps sur ces passions si vives qui ébranlent l'homme tout entier. Il ne faut pas non plus y revenir trop souvent. C'est par les paroles et plus encore par les choses qu'il faut les exciter, et non par les contorsions du visage ou par des gestes bouffons. Certains faits sont de telle nature que, racontés simplement et clairement, ils excitent d'eux-mêmes les passions. L'étrangeté peut quelquefois produire un effet analogue. Le vêtement ensanglanté de César, montré au peuple, excita sa pitié et sa colère. Le prédicateur se gardera de recourir à de tels moyens qui souvent ne servent qu'à faire rire...

« Au reste le peuple est naturellement admirateur de ce qui est étrange ou nouveau. Le prédicateur ne doit pas abuser de ce penchant. Le Christ et les apôtres ne nous ont point donné l'exemple d'une semblable affectation. On voit des prédicateurs qui, montant en chaire, se couvrent le visage avec leur capuchon, à peu près comme on voile en partie les yeux aux chevaux ombrageux. D'autres ont une manière bruyante de tomber à genoux. Le véritable prédicateur n'a pas recours à ces moyens singuliers qui peuvent émouvoir les simples, mais seulement pour un temps. On dit qu'il y a des gens grossiers qui ne peuvent être remués autrement. Mais autre chose est instruire la multitude; autre chose est se moquer d'elle; et il n'est aucun peuple assez grossier pour ne pas profiter d'un enseignement assidu. »

III

L'invention dans le discours est ce que la charpente osseuse est dans le corps. La disposition remplit l'office des nerfs qui unissent toutes les parties de l'animal. Elle aide l'intelligence et la mémoire. L'élocution est comme la chair et la peau dans le corps. Les lettres sacrées ont leur éclat et leur beauté propre, bien qu'elles n'admettent ni le fard ni les ornements recherchés. La mémoire, c'est le souffle et la vie qui rend le tout vivant. Enfin la prononciation est l'action et le mouvement de l'être animé qui autrement ressemble à une statue. C'est la vie de la vie. Un discours prononcé avec la même voix et le même geste, ou plutôt sans geste, est une chose à moitié morte.

La majesté des Écritures que le prédicateur explique et les grands intérêts qu'il traite concilient naturellement l'attention, la docilité, la bienveillance, surtout quand il parle à des chrétiens. Dès lors l'exorde est inutile; car ce que l'on cherche par l'exorde, on l'a déjà. Cependant il y a des prédicateurs qui ne commencent jamais un sermon sans un exorde travaillé avec soin et, ce qui est le comble de l'absurde, tout à fait étranger au sujet. Érasme approuve l'usage des modernes qui commencent leurs sermons par quelque pensée de l'Écriture, appelée Texte, pourvu qu'elle embrasse tout le sujet et qu'elle soit tirée de l'endroit même qu'on interprète. << Ils sont dans l'erreur, dit-il, ceux qui regardent comme grossier tout ce qui est simple et non affecté. Ils cherchent donc à imaginer une pensée aussi étrangère que possible au sujet ou tout au moins tirée de fort loin, quelquefois même de mots détournés de leur sens et qui à leur place signifient tout autre chose. » Érasme cite cet exemple: un prédicateur

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