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donc momentanément la Renaissance. Les théologiens, attaqués avec violence par les novateurs, devinrent plus ombrageux et plus défiants. Ils condamnèrent hautement ce qui était auparavant inaperçu ou toléré. La réforme qu'Érasme avait voulu introduire dans les études sacrées, légitime et utile dans son principe, bien que manquant de mesure dans l'application, fut exagérée par les uns, repoussée absolument par les autres. Il faut tout dire : Érasme lui-même en avait compromis le succès. Il recommandait sans cesse la prudence et la modération. Mais son esprit singulièrement libre, sa nature irritable, son penchant à la raillerie et à la satire, l'entraînaient souvent au-delà du vrai. Ses propositions hardies sur les personnes et sur les choses, ses attaques contre divers abus plus ou moins réels, ses satires violentes et renouvelées à tout propos contres les moines et les théologiens devaient exciter des préventions et des animosités que toutes les séductions de sa plume et de sa rhétorique ne pouvaient dissiper. Les théologiens et les moines, attaqués, déchirés, ridiculisés de toute manière, se vengeaient en relevant ses opinions téméraires, ses paroles irréfléchies qui avaient l'air de saper en se jouant la discipline et la foi de l'Église. Confondant le bon grain avec l'ivraie, ils condamnaient tout en lui, le déclarant plus coupable et plus dangereux que Luther.

C'est ainsi que la réforme des études théologiques demeura incomplète et fut ajournée, en partie du moins, chez les nations restées catholiques. Mais la semence déposée dans les esprits, quoique longtemps arrêtée dans son développement par la crainte des nouveautés dangereuses, germa peu à peu et produisit enfin ses fruits au XVIIe siècle. Ce principe d'Érasme, que nul n'est vraiment théologien s'il ne remonte pas aux sources, fut admis en pratique ainsi qu'en théorie. On étudia l'Écriture et les Pères avec une ardeur consciencieuse. Les grands hommes qui surgirent de tous côtés au sein de l'Église après le concile de Trente, les Bellarmin, les François de Sales, les Bossuet, les Fénelon, les Fleury, sans

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parler des solitaires de Port-Royal et de beaucoup d'autres, puisèrent dans cette étude une grande partie de leur force.

Quant aux moines et aux théologiens qui, au commencement du XVIe siècle, repoussaient les lettres et les langues, esprits sincères pour la plupart, mais étroits et peu clairvoyants, ils ne s'apercevaient pas que le moyen âge était passé. Leur erreur était de croire qu'ils pouvaient arrêter l'essor des idées nouvelles : tentative chimérique et insensée! Au lieu de s'opposer au mouvement qui entraînait le monde, il fallait s'efforcer d'en prendre la direction pour le modérer. Ainsi avaient fait les grands pontifes du moyen âge. Ceux du xve et du XVIe siècles eurent aussi la sagesse de se mettre en Italie à la tête de la Renaissance. Dans les autres parties de l'Europe, les prélats les plus vertueux et les plus éclairés firent comme eux, Ximenès en Espagne, Fisher en Angleterre, Étienne Poncher en France, Adrien d'Utrecht lui-même, quoique avec plus de réserve, dans les Pays-Bas. Mais les papes, distraits par des intérêts temporels et des passions mondaines, ne surent pas modérer la Renaissance et lui imprimer un caractère vraiment chrétien. Au moment où l'esprit d'examen s'éveillait avec la restauration des lettres antiques et la découverte de l'imprimerie, ils ne songèrent point à fortifier l'enseignement théologique par l'étude approfondie de l'Écriture et des saints Pères. Un grand nombre de théologiens et de moines, s'obstinant dans l'immobilité, ne virent pas que la science des langues était désormais nécessaire pour la défense de la doctrine catholique. Au lieu d'accepter de bonne grâce cette renaissance de l'antiquité profane et sacrée, et de s'en faire une arme contre la présomption ou la mauvaise foi des nouveaux interprètes, comme on l'a fait plus tard, ils se bornèrent à déclamer sans fin et sans mesure contre les études nouvelles. Leurs clameurs furieuses ne servirent qu'à jeter dans le parti de Luther la plupart des lettrés. C'est ainsi que les novateurs, armés de la science des langues,

pleins des Écritures qu'ils interprétaient à leur façon, soutenus par le prestige de la forme littéraire, eurent le champ libre et triomphèrent aisément de leurs contradicteurs aux yeux du public qui les écoutait.

CHAPITRE VI

Érasme réformateur de la Prédication.

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Grand rapport entre la

méthode qu'il recommande et celle qu'ont suivie Bossuet, Fénelon et Fleury.

I

La réforme des études théologiques conduisait naturellement à la réforme de la prédication. Dans l'Eloge de la Folie, les prédicateurs du temps ne sont pas mieux traités que les théologiens. La Folie se moque de ces moines qui cherchent dans la chaire chrétienne à suivre les préceptes des rhéteurs, gesticulant, changeant leur voix et leur visage, chantant et criant tour à tour: « Ils commencent d'abord par une invocation, usage emprunté aux poètes. Puis, ayant à parler de la charité, ils prennent leur exorde du Nil, fleuve d'Égypte ; ayant à expliquer le mystère de la Croix, ils commencent à parler du Dragon de Babylone. Doivent-ils disserter sur le jeûne? ils débutent par les douze signes du Zodiaque. Doi

vent-ils prêcher sur la foi? ils font un long prélude sur la quadrature du cercle.

« Un jour un de ces prédicateurs, très sot, que dis-je, très sage, au milieu d'une assemblée fort nombreuse, se proposant d'expliquer le mystère de la Trinité et voulant sortir des routes battues, pour satisfaire les théologiens qui l'écoutaient, se mit d'abord à parler des lettres, des syllabes et du discours, puis de l'accord du nom avec le verbe, de l'adjectif avec le substantif, et finit par montrer la Trinité aussi clairement représentée dans les éléments de la grammaire que peut l'être une figure mathématique dans la poussière. Ce grand théologien avait travaillé huit mois entiers à composer son discours, au point qu'il en était devenu plus aveugle qu'une taupe, la faculté de voir ayant passé tout entière de ses yeux à son esprit.

« Un autre prédicateur octogénaire, un vrai Scot en théologie, voulant exposer le mystère du nom de Jésus, voyait l'image de la Trinité dans les trois inflexions latines de ce nom; puis dans les trois lettres s, m, u, qui distinguent chacune d'elles, il trouvait un mystère profond. Ces lettres indiquaient, d'après lui, que Jésus était summus, medius, ultimus. Enfin, partageant le nom en deux parties, il découvrait un mystère plus profond encore; car la lettre du milieu avait en hébreu un nom qui en écossais voulait dire péché; ce qui signifiait clairement que Jésus effaçait les péchés du monde. Tous, mais surtout les théologiens, demeurèrent ébahis et faillirent avoir le sort de Niobé. » Quant à la Folie, il lui arriva presque le même accident qu'au Priape d'Horace, regardant les sacrifices nocturnes de Canidie.

Elle nous montre ces prédicateurs préludant par des exordes étranges, tout à fait en dehors du sujet; puis, en guise de narration, expliquant quelques paroles de l'Évangile qui auraient dû remplir tout le discours, ensuite soulevant une question théologique sans rapport avec le sujet, accumulant les citations empruntées aux docteurs de la Scholastique,

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étalant des syllogismes avec des majeures, des mineures, des conclusions, des corollaires, des hypothèses frivoles; enfin, pour terminer, empruntant au Miroir historique, ou à l'histoire des Romains quelque récit insipide qu'ils expliquent à un triple point de vue, allégoriquement, moralement, mystiquement; commençant leur sermon d'un ton si bas qu'ils ne s'entendent pas eux-mêmes; puis tout à coup jetant sans raison des cris furieux; s'échauffant vers la fin de chaque partie de leur discours jusqu'à perdre la respiration; hasardant des plaisanteries sans agrément et sans à-propos, quelquefois même sans décence; essayant d'être mordants, mais sans blesser, et jamais plus flatteurs que lorsqu'ils affectent de paraître hardis. «En un mot, dit-elle, quand on entend leurs sermons d'un bout à l'autre, on jurerait qu'ils ont pris des leçons auprès des charlatans de la place publique, qui leur sont du reste bien supérieurs. »

Plus tard, Fénelon, dans ses Dialogues sur l'éloquence (1), adressait des reproches analogues à certains prédicateurs de son temps. Sous une forme plus sérieuse et plus mesurée, mais vive et piquante, il censurait les raffinements affectés d'une prédication subtile et théâtrale. Comme Érasme, mais d'une manière moins exclusive, il invitait l'orateur sacré à prêcher avec simplicité et abondance de cœur la doctrine contenue dans les saintes Écritures. Ce n'est pas seulement dans l'Éloge de la Folie qu'Érasme a critiqué les abus qui régnaient dans la chaire et indiqué en passant la réforme qui devait y être apportée. Dans ses autres écrits et surtout dans ses lettres (2), il revient souvent sur ce sujet; mais il ne donna au public son volumineux traité de la Prédication que dans la dernière année de sa vie (3). Cet ouvrage ne brille ni par la composition, ni par la belle ordonnance; mais l'on y trouve beaucoup d'idées saines et fécondes dont les grands

(1) V. la note G, à la fin du volume.

(2) V. lettre à Jonas, t. III, p. 446 et suiv. (3) V. 1er vol., p. 663.

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