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ses que jusque-là ils avaient employées à des bagatelles tout à fait hors de saison.

« Qu'ai-je besoin de parler de moi-même qui, jouissant dans ces dernières années de votre présence et de votre conversation si douce, ai été ravi, transformé, au point de devenir tout autre? Moi qui me suis adonné jadis à des études de mauvais aloi, qui, avec l'âge, m'étais attaché opiniâtrement à la théologie moderne, vous m'avez tout d'abord tellement persuadé par votre éloquence insinuante que désormais aucune lecture ne me charme à l'égal de la solide théologie. Vous ne vous indignerez donc pas, très doux Érasme, que B. Rhenanus m'ait dédié récemment votre Abrégé de la vraie Théologie; et pourtant un si grand honneur méritait d'être recherché de toute manière par les personnages les plus vertueux et les plus savants. Vous regretterez d'autant moins cette publication que vous avez enflammé, non pas moi seulement, mais d'autres en grand nombre, de l'amour de l'ancienne théologie. Car ce petit livre, vraiment parfait, montre si clairement votre science dans les écritures sacrées et votre génie pénétrant, que par cet écrit vous avez apaisé et rendu bienveillants beaucoup d'hommes même barbares et jusque-là ennemis déclarés d'une théologie plus belle. J'attends votre Nouveau Testament réimprimé et magnifiquement enrichi, je n'en doute pas, avec plus d'impatience qu'une mère n'attend un fils chéri au retour d'un lointain voyage. Tout le temps que me laissent les ennuis de ma charge et mes grandes occupations, je l'emploie à lire et à relire vos ouvrages. Adieu, prince des théologiens, comme de toute science. >>

Ainsi parlait celui qui devait être un des adversaires les plus énergiques de la Réforme. Bien d'autres partageaient son enthousiasme. Un théologien de Louvain ne put lire la Méthode de la craie Théologie sans verser des larmes. Un grand nombre de personnes écrivirent à Érasme que ses ouvrages les avaient réveillées à la lumière de la vérité évangélique.

Quelques hommes cependant osèrent lutter contre le cou

rant de l'opinion. La Méthode de la vraie Théologie avait à peine paru que Latomus, théologien de Louvain, publia deux dialogues où il exprimait des sentiments contraires à ceux d'Érasme. Il lui reprochait d'avoir proscrit les études théologiques et dénigré les docteurs du moyen âge. Il voulait que l'on mît dans les mains des enfants, non pas Homère et Lucien, mais Juvencus, Prudence, Paulinus, Lactance, saint Cyprien. Selon lui, une connaissance moyenne de la grammaire était suffisante; mais il fallait s'exercer à fond sur la vraie dialectique. Par là il faisait entendre qu'il y avait une dialectique fausse et critiquait la méthode vulgaire. Il pensait que, pour la physique, on pouvait se borner à la physique générale, que pour les mathématiques, à part l'arithmétique, il suffisait de les effleurer, mais que l'on devait étudier avec ardeur la métaphysique et la morale.

Ainsi préparé, on pouvait aborder les questions délicates de la théologie. Il permettait d'employer chaque jour un peu de temps à la lecture des livres sacrés. On pouvait même en apprendre quelque peu par cœur. Si l'on était embarrassé, on n'avait qu'à interroger la Glose, au lieu de se torturer sur les langues et les traductions. Il attaquait l'hébreu comme barbare et comme ayant altéré la pureté du latin dans saint Jérôme lui-même. Il permettait aussi de lire les anciens interprètes, Origène, Ambroise, Augustin; mais seulement après qu'on aurait étudié avec soin les Scholastiques; il les préférait tellement aux anciens que, d'après lui, le jeune théologien devait s'appliquer à les connaître avant de toucher aux Écritures; et la raison, c'est que si l'on commençait par Cyprien, Hilaire, Jérôme, Ambroise, on éprouverait peut-être ensuite du dégoût pour Scot et les autres auteurs du moyen âge. Il croyait qu'un théologien, formé selon sa méthode et portant avec lui une règle inflexible, pourrait lire sans danger des ouvrages apocryphes attribués aux Pères de l'Église. Il ajoutait que certains hommes de son temps étaient tombés dans l'erreur pour avoir négligé ou méprisé les Scholastiques.

A l'exemple de Gerson, il n'empêchait pas le futur théologien de feuilleter en courant et aux heures perdues les historiens, les orateurs et les poètes, mais il prétendait qu'on n'avait pas besoin d'apprendre la rhétorique; car, selon la parole de saint Augustin, elle suivait d'elle-même la sagesse, comme sa compagne inséparable. Parlant des anciens docteurs, il disait que leur manière oratoire et peu serrée, en traitant des choses divines, aurait pu mettre en péril la religion chrétienne, si les modernes n'étaient pas venus à son secours avec leurs écoles. Il s'élevait pourtant contre les prétentions de la sophistique nouvelle qui affectait de mépriser les orateurs et les poètes. Quant à la philosophie, il était nécessaire de l'étudier à fond pour réfuter les erreurs des philosophes. Il déclarait que toutes les sciences étaient comme les servantes de la théologie. Enfin il consentait au retranchement de ce qui pouvait s'être introduit de vicieux ou d'inutile dans les exercices de l'école, à condition qu'on maintiendrait ce qui était bon.

On voit que Latomus, tout en combattant d'une manière indirecte la méthode théologique d'Érasme, faisait cependant aux idées nouvelles de notables concessions. Le chef des lettrés publia une apologie qui obtint les suffrages de beaucoup d'hommes instruits. Selon B. Pirckheimer, cet écrit d'une brièveté merveilleuse était d'une perfection achevée. S'il ne répondait pas victorieusement à toutes les critiques de son adversaire, il n'avait pas de peine à réfuter le paradoxe barbare de Latomus au sujet des auteurs païens. Il disait avec raison qu'Averroès, Aristote, Pline, Le Pogge, Pontanus et certaines chansons licencieuses étaient plus dangereux pour la foi et les mœurs des enfants qu'Homère, Virgile, Cicéron, Quintilien, Sénèque et même Lucien.

Latomus avait critiqué la Méthode d'Érasme avec assez de modération. Bedda et Sutor l'attaquèrent avec violence. Ils prirent hautement la défense de la Scholastique et accusèrent l'auteur d'avoir voulu réduire la théologie à la lecture des

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deux Testaments. Luther montra plus d'emportement encore. Il prétendit que cet ouvrage n'était qu'une dérision du Christ et de toutes ses actions, que le lecteur en un mot ne pouvait y puiser que le dégoût de la religion chrétienne.

Les Paraphrases furent accueillies d'abord avec beaucoup de faveur. Après avoir lu celles des deux Épitres aux Corinthiens, l'anglais R. Pace écrivait à l'auteur: « J'ai retiré le plus grand fruit de votre travail, et j'oserais affirmer, maintenant enfin, que je comprends dans une certaine mesure, pour ne pas trop accorder à mon entendement, ce que dit et ce que pense saint Paul. A présent, cet esprit divin de l'Apôtre qui auparavant me semblait manquer de chaleur et de force, m'apparaît plein de vigueur. A présent, ces préceptes sacrés qui jusque-là étaient pour moi de l'aloès, se sont changés en miel. Auprès de cette Paraphrase qui explique tout, les autres commentaires ne me semblent que ténèbres. » Il louait Érasme d'avoir conservé la simplicité du langage apostolique dans l'élégante pureté de son style. Il ajoutait : «< Si saint Paul ressuscitait aujourd'hui, pourrait-il ne pas se préférer à lui-même?»>

On ne saurait dire si Érasme goûtait beaucoup ces éloges exagérés jusqu'à l'indécence; mais assurément il se réjouissait en voyant le succès de ses Paraphrases. « Je n'ai pas toujours eu, disait-il, à m'applaudir d'avoir obéi aux conseils de mes amis; toutefois, en cette circonstance, je me suis félicité que le succès de mon audace ait dépassé mon attente. >> Mais bientôt des propositions indiscrètes troublèrent le brillant succès de cet ouvrage. Les théologiens de Paris et de Louvain attaquèrent les Paraphrases, comme la plupart de ses autres écrits. Celle de saint Mathieu ayant été traduite en italien, fut condamnée à Rome.

Ses travaux sur les Psaumes donnèrent moins de prise aux censures; et pourtant là encore se rencontraient des opinions hardies sur les Pères, sur la Confession, sur les Décrets et les Décrétales. La manière peu respectueuse dont il parle de

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saint Augustin en divers endroits de ses écrits dut paraître un blasphème aux nombreux théologiens qui voyaient dans ce Père l'oracle de l'Église. Ce qui ne devait pas moins exciter les ombrages, c'était l'admiration enthousiaste qu'il professait pour Origène, lui donnant toujours la première place parmi les interprètes des Écritures. Les théologiens ne pouvaient qu'être singulièrement choqués de cette préférence exclusive pour un auteur dont les doctrines n'étaient pas orthodoxes.

Malgré les indiscrétions de langage et les témérités d'opinion auxquelles Érasme se laissait aller et qui étaient pour plusieurs un nouvel attrait, ses éditions des Pères de l'Église furent accueillies avec empressement et bientôt épuisées. Il fallut en donner de nouvelles. Le Saint Jérôme ajouta beaucoup à sa réputation. Budé parlait de cet immense travail comme d'une restauration complète, François de Loin comme d'une renaissance des ouvrages de ce Père. L'archevêque de Cantorbéry, écho de l'opinion commune, déclarait ne pouvoir assez louer cette œuvre. Les autres éditions eurent un succès moins bruyant. Néanmoins elles s'écoulèrent avec rapidité. Le goût de l'ancienne théologie se propagea de plus en plus. La Scholastique tomba en discrédit et fut négligée. Le mouvement s'étendit du centre de l'Europe à ses extrémités, en Espagne, en Pologne, en Hongrie. Les pays les plus éloignés comptèrent de nombreux Érasmiens qui abandonnèrent les docteurs du moyen âge et les manuels scholastiques pour étudier la théologie dans ses sources. Mais ce mouvement studieux se ralentit au milieu des troubles et des passions que fit naître le luthéranisme. Les Universités elles-mêmes furent délaissées. Presque partout les études solides devinrent languissantes. On ne s'occupait plus que de polémique.

Érasme déplorait ce dépérissement des bonnes sciences. Il désirait que l'enseignement de la théologie et de la philosophie fût simplifié, mais non pas détruit. La Réforme paralysa

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