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nés, mais par leur vie et leurs miracles plus que par leurs syllogismes. >>

La Folie propose ironiquement d'envoyer contre les Turcs, non pas d'épais bataillons de soldats, mais ces scotistes si criards, ces thomistes si entêtés, ces albertistes invincibles avec toute la troupe des sophistes. « Quelle lutte plaisante, dit-elle, quelle 'victoire inouïe l'on verrait! Qui donc serait assez froid pour ne pas s'enflammer à leurs arguments pointilleux? Qui serait assez endormi pour ne pas être réveillé par leurs traits pénétrants? Qui aurait l'œil assez perçant pour ne pas être aveuglé par leurs ténèbres? >>

Elle remarque cependant qu'il y a des théologiens qui, nourris d'une instruction meilleure, n'éprouvent que du dégoût pour ces arguties frivoles. Il en est même qui regardent comme un sacrilége, comme une impiété, de parler si légèrement sur des objets si mystérieux et qui doivent être adorés plutôt qu'expliqués, de recourir aux subtilités profanes des païens, de définir avec tant d'arrogance et de souiller la majesté de la théologie divine par des pensées et un langage si futiles et si bas. Mais ces scholastiques s'applaudissent eux-mêmes. Absorbés par ces sottises qui les enchantent, ils n'ont pas le temps de lire l'Evangile et les épîtres de saint Paul. Occupés de bagatelles dans leurs écoles, ils se regardent comme les colonnes de l'Église, comme des Atlas qui soutiennent le monde chrétien avec leurs syllogismes. Ils façonnent et refaçonnent, selon leur caprice, les textes sacrés qui sont dans leurs mains comme la cire, présentent leurs conclusions approuvées par quelques-uns d'entre eux, comme des règles plus inviolables que les décrets des pontifes, se font les censeurs de l'univers et forcent à se rétracter quiconque s'écarte un tant soit peu de leurs conclusions ou de leurs formules. « Ne vous étonnez pas, dit-elle, si vous voyez leur tête si soigneusement enveloppée de bandelettes dans les discussions publiques; sans cela elle éclaterait. Quelquefois aussi, je ne puis m'empêcher de rire quand je les vois ne

se croire vraiment chrétiens que s'ils parlent le langage le plus barbare et le plus incorrect, car ils prétendent qu'il est contraire à la dignité des lettres sacrées de les forcer d'obéir aux lois des grammairiens : étrange majesté vraiment pour des théologiens, que d'avoir seuls le droit de parler d'une manière fautive; ce qui leur est commun avec les savetiers! >>

A la fin de son discours, avec une audace qui touche au blasphème, la Folie prétend fonder son propre éloge sur les témoignages des Écritures. Ce ne sont pas les Muses de l'Hélicon qu'elle invoque de nouveau; elle ne veut pas leur imposer un si long voyage. D'ailleurs ce n'est pas leur place; elle va faire de la théologie. « Maintenant que je pénètre dans cette route épineuse, dit-elle, puisse l'âme de Scot, plus hérissée d'épines qu'un porc-épic ou qu'un hérisson quelconque, abandonner un moment sa chère Sorbonne pour entrer dans mon cœur! Libre à elle ensuite de retourner où elle voudra, même à la voirie.» « Vraiment, continue-t-elle, il ne doit pas sembler étonnant que je sache tant de théologie... Il y a si longtemps que je suis lié par les relations les plus étroites avec les théologiens, je puis bien avoir retenu quelque chose. »>

Enfin, pour montrer l'entêtement opiniâtre des Scholastiques, elle ajoute : « Certains Grecs s'efforcent par leurs accusations d'offusquer la vue perçante de tant de théolo giens de notre temps; et le premier ou tout au moins le second de ce troupeau est mon cher Érasme, que je nomme souvent par honneur. Mais moi, je suis ces grands, ces lourds, ces épais théologiens, pleinement approuvés de la foule et avec lesquels une grande partie des hommes instruits aimeraient mieux se tromper que d'avoir raison avec ceux qui sont maîtres dans les trois langues. >>

On a dit plus haut quel succès eut l'Eloge de la Folie. L'auteur avait mis sept jours à le composer. Une copie fautive et même tronquće ayant été apportée en France, il fut imprimé

à Paris. En peu de mois on en donna plus de sept éditions. Érasme s'étonnait d'une telle vogue. « Je ne comprenais pas moi-même, dit-il, ce qui pouvait plaire dans un tel écrit. » Morus, qui plus tard devait sceller de son sang sa foi catholique, accepta la dédicace de ce petit livre qui, sous une forme légère, montrait un esprit si libre, pour ne pas dire plus. « Cet ouvrage, tel quel, disait Érasme, plaît à tous les hommes instruits de l'univers. Il plaît aux évêques, aux archevêques, aux rois, aux cardinaux, au pape Léon luimême, qui l'a lu tout entier d'un bout à l'autre et a loué l'esprit de l'auteur.» « Le souverain pontife, dit-il ailleurs, a tout lu et a ri. Il a seulement ajouté : « Je me réjouis que notre ami Érasme soit aussi dans la Folie. » Dans la seconde apologie contre Stunica, il déclare que vingt mille exemplaires de cet écrit ont été imprimés, que beaucoup d'évêques, de princes, de moines, lui ont rendu grâces pour ce petit livre qui, aux yeux de quelques-uns, avait été dicté par la bouche du Diable.

L'anglais Watson, se trouvant en Italie, lui écrivait en 1515 : « On ne saurait croire avec quelle avidité on recherche votre Folie, que l'on regarde comme la suprême sagesse. » Barland, professeur de langue latine à Louvain, s'exprimait ainsi dans une lettre où il donnait à son frère le catalogue des écrits d'Érasme : « Ce petit ouvrage lui a mérité beaucoup de véritable gloire. On y trouve un art merveilleux, une grande liberté, un peu trop même de causticité et de sel. Cette liberté avait offensé au commencement certains hommes qui ne voulaient pas que leur folie fût censurée par la Folie. Mais assurément tous les gens instruits et honnêtes ont été charmés de la science très enjouée et du docte jugement qui règnent dans ce petit livre. » S'il faut s'en rapporter à Vivès, les théologiens de la Sorbonne elle-même ne paraissaient pas s'offenser de ce badinage si hardi. « J'ai dîné souvent avec eux, écrivait-il; à table, dès le troisième mot, on parlait d'Erasme et longuement; on en parlait beaucoup

encore après dîner... Je vous dirais tout, si vous souffriez la louange dans une lettre qui vous est adressée. Il faudra donc, malgré moi, taire ce qu'ils disaient de saint Jérôme, rendu à lui-même par vos soins, du Nouveau Testament rétabli dans son intégrité, travail bien plus utile à la piété chrétienne que toutes les disputes des écoles depuis mille ans. Combien ils admirent les Paraphrases, c'est-à-dire saint Paul énonçant avec plus de clarté ses pensées divines! »>

Cependant quelques théologiens et quelques moines protestèrent contre le sentiment général. Un jeune théologien de Louvain, qui donnait beaucoup d'espérance, mais qui fut enlevé par une mort prématurée, écrivit le premier contre l'Éloge de la Folie. Il condamnait ce badinage comme indigne d'un théologien, comme manquant de mesure et de décence. Érasme blessé répondit pourtant avec beaucoup de modération et de politesse. « A parler franchement, disait-il, je suis presque fâché d'avoir publié la Folie. Ce petit livre m'a valu quelque gloire ou, si vous aimez mieux, quelque renommée; mais la gloire que les animosités accompagnent n'a point d'attrait pour moi. Dans tous mes écrits, je ne me propose que d'être utile. Dans l'Éloge de la Folie, j'ai voulu essayer de guérir les folles opinions qui, dans tous les états, corrompent l'esprit et les mœurs du vulgaire. Mon badinage peut être frivole, mais il n'a rien d'obscène ni de trop caustique... Pourquoi les grands, pourquoi les évêques, aussi peu ménagés que les théologiens et les moines, n'ont-ils pas été blessés ? »

Bientôt l'ouvrage fut traduit dans la plupart des langues vulgaires. Un gentilhomme de la Flandre, George Halluin, seigneur de Comines, en publia une traduction française en 1517, avec des additions, des retranchechements et des inexactitudes de tout genre. Cette satire, mise ainsi à la portée de tous, exaspéra les théologiens et les moines. Ils crièrent à l'impiété, au scandale, déclarant partout en public et en particulier que c'était l'ouvrage le plus

dangereux pour la religion. Plus tard, le prince de Carpi le comparait à ceux de Porphyre et de Julien. Érasme luimême reconnut qu'il avait poussé le badinage trop loin. Dans sa réponse au prince de Carpi, il convient qu'il a eu tort d'introduire Jésus-Christ dans l'Eloge de la Folie, et qu'il aurait dû faire un usage plus sérieux de l'Écriture.

Sous une forme bien différente, la Méthode de la vraie theologie n'attaquait pas moins la Scholastique. Elle énonçait des idées hardies qui devaient plaire aux hommes animés de l'esprit nouveau. Jean Faber, vicaire de Constance, plus tard évêque de Vienne, à qui Rhenanus, sans l'aveu d'Érasme, avait dédié la première édition de ce petit livre, remercia l'auteur par une lettre qui témoignait en termes expressifs du sentiment général en Allemagne. « Nous vous souhaitons, disait-il, une excellente santé, afin que vous enrichissiez notre pauvreté par de nouveaux enfants de votre génie. Car toutes vos productions sont telles qu'elles méritent d'être non-seulement comparées, mais préférées même à celles de la savante antiquité.

<< Innombrables sont ceux qui, en Allemagne, lisent et étudient les fruits de vos veilles, les monuments de votre génie. Ils ont accompli tant de progrès dans l'éloquence, la science et la piété, qu'ils font déjà le plus grand honneur à leur maître à qui ils sont redevables de tout. Innombrables sont ceux qui, guidés par vous, ont secoué la poudre d'un passé plein d'ignorance et qui marchent à grands pas vers la bonne voie, non-seulement parmi les jeunes, ce qui m'étonne moins, mais même parmi ceux d'un âge avancé. Sous la conduite du chef éminent des lettres, déclarant comme à un signal donné la guerre à toute espèce de barbarie, ils espèrent dès à présent en triompher. Car la force de votre éloquence est si grande que vous avez attiré à votre sentiment des barbares d'un endurcissement désespéré, qui bien tard sans doute unissent leurs efforts à ceux des Phrygiens et consacrent aux véritables lettres et à la vraie philosophie les heures précieu

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