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les plus difficiles, ou même des sujets inexplicables! et pourtant la téméraire hardiesse des demi-savants ne s'est exercée sur aucun auteur plus que sur saint Hilaire, principalement sur les livres de la Trinité et des Conciles. » Le Saint Hilaire fut dédié à l'archevêque de Palerme, chancelier des Pays-Bas. Ce n'était pas seulement dans des vues intéressées qu'il faisait hommage de ces publications aux grands dignitaires de l'Église, il espérait leur assurer par là plus de faveur et d'autorité.

L'édition qu'il donna de saint Irénée, en 1526, a peu de valeur aux yeux de la critique; mais elle avait le précieux mérite de mettre dans les mains du public un auteur qui n'avait pas été encore imprimé. La lettre dédicatoire qui rappelait la vie et les travaux de ce Père devait faire naître le désir de lire son ouvrage en cinq livres où il expose et réfute les opinions monstrueuses des anciens hérétiques. Aussi l'édition fut-elle épuisée promptement et il en parut bientôt une seconde. Mais bien qu'Erasme prétendît avoir corrigé le texte autant qu'il l'avait pu avec le secours de très anciens manuscrits, il le laissa fort défectueux. Il avait eu souvent recours à ses conjectures; et lorsqu'elles lui paraissaient douteuses, il les avait seulement notées en marge. Il avait d'abord paru croire que saint Irénée avait écrit en latin: opinion repoussée par tous les critiques. Il professait un très grand respect pour ce Père ami de la concorde et de la paix dont son nom était comme le symbole. Il aimait en lui l'antique vigueur de l'esprit évangélique, son âme prête au martyre, son style grave, fort et mâle. Irénée touchait presque aux temps apostoliques. Enfant, il avait entendu en Asie saint Polycarpe, disciple de saint Jean. Érasme se félicitait d'avoir retiré en quelque sorte du tombeau et de l'oubli ce glorieux défenseur de l'Église qui avait combattu les hérésies avec les seules armes des Écritures.

Après saint Irénée, il publia saint Ambroise avec une préface pleine d'intérêt. Il rappelait les principaux faits de sa

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vie. Il caractérisait avec justesse la nature de son style et marquait son mérite propre. Saint Jérôme lui semblait plus habile dans les langues. Saint Hilaire avait un style plus savant. Saint Augustin était plus subtil pour dénouer les questions difficiles. D'autres avaient été supérieurs par des qualités différentes. Mais nul n'avait expliqué les Écritures avec plus de vérité que saint Ambroise. Nul n'avait évité avec plus de circonspection les doctrines suspectes. Nul ne s'était montré évêque chrétien comme lui. Nul n'avait eu un cœur aussi paternel, n'avait su joindre au même degré l'autorité la plus haute à la plus grande douceur. Érasme croyait, du reste, qu'il avait puisé la plus grande partie de ce qu'il avait écrit dans les Commentaires des Grecs et principalement dans Origène. Malgré ses efforts pour rétablir le texte de saint Ambroise dans son intégrité, son édition n'a pas obtenu les suffrages des critiques. Les bénédictins l'ont accusé d'avoir suivi ses conjectures beaucoup plus que les manuscrits.

Érasme termina ses grandes publications sur les Pères latins en donnant une édition de saint Augustin, regardée comme le chef-d'œuvre de l'imprimeur Froben. Dans sa jeunesse, il avait peu d'estime pour ce grand docteur. Il voyait en lui le père des subtilités scholastiques. Il lui reprochait même ses emprunts à la philosophie platonicienne. Il l'accusait d'avoir introduit dans la théologie l'abus de la dialectique. Dans un de ses écrits, il le déclarait bien inférieur aux Grecs pour l'interprétation des épîtres de saint Paul. Ailleurs il affirmait qu'une page d'Origène lui apprenait plus de philosophie chrétienne que dix pages de saint Augustin. Dans une lettre, il allait jusqu'à dire qu'on ne pouvait sans une très grande impudence le comparer à saint Jérôme pour l'intelligence des Ecritures. Dans la préface du Saint Hilaire, il avançait que saint Augustin, en combattant les Pélagiens, avait donné au libre arbitre moins de place que ne lui en accordaient les principaux théologiens, qu'il n'avait pas reconnu l'autorité de la chaire romaine, enfin, qu'il avait laissé dans ses écrits,

même après ses rétractations, diverses choses que l'on ne pourrait maintenant soutenir sans être accusé d'hérésie.

Revenu à des idées plus justes, Érasme résolut de réparer ces écarts de langage en donnant tous ses soins à l'édition que Froben projetait depuis longtemps. Il avait d'abord reculé devant l'immensité de cette tâche : une œuvre si grande semblait réclamer la vigueur de la jeunesse, un homme vraiment d'airain; son âge, sa mauvaise santé le détournaient de ce genre de travaux. Mais Froben, à force de prières, l'avait décidé à corriger quelques pages des lettres, afin de pouvoir montrer un échantillon de l'ouvrage à la prochaine foire de Francfort. Érasme avait promis, à condition qu'il ne lui demanderait rien de plus, mais voyant que Froben avait résolu de compléter le volume des lettres et qu'il n'avait près de lui personne qui pût, ou du moins qui voulût se charger de corriger le texte, la volonté opiniâtre de cet ami rare et la sainteté de l'entreprise avaient triomphé de sa répugnance obstinée. Il se chargea donc de ce volume tout entier, mais de ce volume seul, déclarant à diverses reprises que si Froben voulait continuer, il devait chercher un autre correcteur.

Cependant personne ne voulant prendre sur ses épaules une charge si lourde et l'imprimeur assurant qu'il était décidé, faute de mieux, à imprimer de nouveau saint Augustin tel qu'il était, Érasme se laissa mettre le bât sur le dos, en partie par égard pour un ami auquel il ne pouvait rien refuser, mais bien plus parce qu'il regardait comme un crime inexpiable de laisser paraître de nouveau sur le théâtre du monde un si grand docteur de l'Église avec tant de fautes grossières qui le défiguraient et qui seraient d'autant plus frappantes que l'élégance des caractères et la beauté des volumes attireraient les yeux de tous, comme une pourpre magnifique souillée de taches hideuses. Mais lorsque, entré dans une mer si vaste, il eut mis à la voile, il trouva bien plus de difficultés qu'il n'avait prévu. Plusieurs fois il perdit courage et voulut renoncer à l'entreprise. Le péril manifeste où

se trouvait sa santé l'y invitait ou plutôt l'y forçait. Il était effrayé de l'exemple de Froben qui venait de succomber à la tâche, quoiqu'il eût un corps vigoureux et fût digne de la vie la plus longue.

Mais ce qui, au premier abord, le détournait de ce travail, quand il y réfléchissait plus attentivement, était ce qui animait son ardeur. Il songeait que l'amitié des gens de bien. ne devait pas finir à la mort. Tout le poids d'une affaire si difficile retombait sur les fils de son ami. Il fallait d'autant moins leur manquer, qu'ils se trouvaient privés d'un tel père. Dès lors, fermement résolu à mourir dans l'accomplissement d'une œuvre si sainte plutôt que de ne pas achever ce qui était commencé, il avait surmonté tous les ennuis. Plus il avait avancé, plus l'habitude lui avait rendu ce travail léger. « Sans doute, disait-il, Augustin, du haut du ciel, favorisait notre entreprise. » Enfin le port apparut au loin; et grâce au secours d'en haut, ils l'atteignirent.

Mais que d'obstacles il avait fallu vaincre! Saint Augustin n'avait été imprimé que fort tard. L'énormité de la dépense effrayait les imprimeurs. Le premier de tous, Jean Amerbach, assez bien partagé du côté de la fortune, mais mieux partagé encore du côté des qualités de l'âme, avait donné une édition complète de ce Père. Il y avait apporté tout le soin, toute la vigilance possible dans un temps encore un peu barbare. Érasme trouva cependant une quantité prodigieuse de fautes dans un texte dont le public ne se plaignait pas. « En effet, dit-il, saint Augustin a son style propre, ingénieux, enveloppant beaucoup de choses dans de fort longues périodes qui demandent un lecteur familiarisé avec sa manière, pénétrant, attentif, doué de beaucoup de mémoire, capable de supporter le travail et l'ennui, et de tels lecteurs sont assez rares. Bien qu'il étale avec plus de réserve que saint Jérôme la connaissance des auteurs profanes, il y fait pourtant de fréquentes allusions. De là beaucoup de changements opérés dans le texte par l'inattention, l'ignorance ou même le caprice sacri

lége des copistes. » Souvent aussi d'étranges interpolations l'avaient défiguré. Enfin un assez grand nombre d'écrits étaient faussement attribués à saint Augustin. Les uns ne manquaient pas de science, d'autres étaient à peine supportables, plusieurs étaient pleins d'ignorance; mais, aux yeux d'Érasme, aucun de ces ouvrages supposés ne l'emportait en sottise et en impudence sur les Sermons aux ermites, où l'on ne trouvait rien de saint Augustin, ni les mots, ni les pensées, ni l'âme. On avait ajouté des notes critiques pour indiquer ce qui était faux, ou douteux, ou altéré par un mélange bizarre. Les matières avaient été rangées par ordre. La Cité de Dieu avait été revue et annotée avec soin et science par l'espagnol Vivès, qui l'avait publiée à part antérieurement.

Érasme ne se flattait pas d'avoir ôté dans cette édition toutes les fautes. Quelquefois les anciens manuscrits avaient fait défaut; quelquefois aussi le sommeil avait pu le surprendre au milieu d'une œuvre si longue. Dans la lettre dédicatoire, il parle avec le plus grand respect de saint Augustin; il l'appelle incomparable docteur et invincible défenseur de l'Église. « Dans Athanase, dit-il, nous admirons la netteté grave et exacte de l'enseignement; dans Basile, outre la finesse, nous aimons la suavité d'une éloquence pieuse et douce. Dans Chrysostome, nous nous attachons à l'abondance du style qui coule de source; dans Cyprien, nous vénérons une force inspirée, digne du martyre; dans Hilaire, une éloquence grande comme la matière qu'il traite et pour ainsi dire une pompe tragique; dans Ambroise, certains traits doux et pénétrants avec une réserve digne d'un évêque. Nous louons à bon droit dans saint Jérôme la science si riche des Écritures. Nous reconnaissons dans saint Grégoire une sainteté pure et que n'altère aucun fard... mais je ne pense pas que le Saint-Esprit ait répandu tous ses dons et toutes ses richesses sur aucun docteur avec une libéralité plus grande que sur saint Augustin, comme s'il avait voulu tracer dans un seul tableau le modèle vivant de toutes les vertus d'un

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