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l'objet d'un enseignement sérieux dans les écoles, c'est ce qu'il ne pouvait comprendre. Discuter si minutieusement et avec des raisonnements humains les choses de la foi, lui semblait non-seulement superflu, mais périlleux. « J'ai vu, disaitil, certains hommes qui déclaraient avoir été amenés par les arguties de Scot, traitant de l'Eucharistie, à chanceler dans leur croyance et avoir eu de la peine à se débarrasser de ce commencement de doute. C'est pour cela que saint Chrysostome détournait les chrétiens de lire les livres des philosophes qui discutaient sans fin d'une façon pénible sur la nature du bien. Lorsqu'il fallait pratiquer la vertu, ils passaient leur vie à chercher en quoi elle consistait... Le Christ enseigne sa doctrine sous la forme la plus simple, la mettant à la portée même des laboureurs... Ne vaut-il pas mieux pratiquer la charité, que de raisonner si subtilement sur la nature de Dieu et sur la charité elle-même ? « Si nous cherchons, dit saint Chrysostome, nous ne croyons plus. » En effet, la foi donne le repos à l'âme et à la pensée. « Le Christ, ajoute le saint docteur, nous a ordonné de scruter les Écritures avec ardeur pour y trouver la vie, et non de sonder de petites questions humaines. » Il condamne souvent ces discussions subtiles parmi les chrétiens et s'appuie des paroles de saint Paul. Il faut donc approfondir la connaissance des Écritures en vue de la foi et de la charité, mais non pour y trouver des nouveautés paradoxales propres à exciter l'admiration du vulgaire. »

Érasme, pourtant, ne rejetait pas sans restriction ceux qui n'avaient laissé que des questions et des controverses. Souvent, en effet, dans ces luttes, la vérité jaillissait, comme la flamme jaillit du choc de deux cailloux. Mais il voulait que l'on y mit de la sobriété et du discernement. Il reconnaissait qu'il y avait dans les livres des modernes beaucoup de choses dignes d'être connues; mais on devait y toucher légèrement et avec réserve, car ce genre d'études était inconnu à l'ancienne théologie. Il s'y était glissé plus tard, et comme il

arrive presque toujours, grâce à l'attrait de la nouveauté, il avait pris une immense extension. « Mais, ajoutait-il, on a déjà commencé à s'occuper de ces recherches avec plus de modération dans quelques universités; dans celle de Cambridge, en Angleterre, dans celle de Louvain, en Brabant. Ces études n'y sont pas moins florissantes, mais elles brillent d'un éclat plus vrai. N'est-il pas triste de voir des vieillards de quatre-vingts ans se nourrir de sophismes et se payer d'arguties? J'ai connu à Paris beaucoup de théologiens semblables, qui se croyaient transportés dans un autre monde quand il fallait citer quelques passages de saint Paul. Pour moi, j'aimerais mieux, avec saint Chrysostome, être un pieux théologien, que d'être invincible avec Scot. S'il est honteux d'ignorer ce que tel ou tel docteur du moyen âge a écrit ou défini, il est plus honteux encore de ne pas savoir ce que le Christ a ordonné, ce que saint Paul a écrit. Les anciens ont éclairé et défendu la doctrine chrétienne. Les arguties et les subtilités des Scholastiques n'ont ni converti un infidèle, ni convaincu ou changé un hérétique. Si les hérésies sont aujourd'hui moins nombreuses, à dire vrai, nous le devons aux fagots plus qu'aux syllogismes. >>

Érasme avait raison de rappeler les théologiens de son temps sur un terrain plus solide, heureux s'il l'eût fait avec mesure et sans tomber dans l'excès opposé. Comme Socrate ramenant la philosophie du ciel sur la terre, il invitait la théologie à descendre de ces hauteurs transcendantes et à prendre pied sur le sol ferme des Écritures interprétées avec le secours des anciens docteurs. La direction qu'il indiquait dans un langage trop peu circonspect, fut suivie avec sagesse et mesure dans le siècle suivant. On renonça généralement aux subtilités de la Scholastique; on écarta les questions insolubles et inutiles, pour ne pas dire indiscrètes et téméraires. On donna aux études théologiques leur véritable base, c'est-à-dire l'Écriture et les Pères. Mais on ne renferma pas la théologie dans l'interprétation des livres sacrés, comme

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Érasme semblait le demander; car son esprit avait trop peur des questions métaphysiques. On reconnut aux grands docteurs du moyen âge, aux Thomas d'Aquin, aux Gerson, pour ne parler que des plus illustres, l'autorité qu'ils méritaient d'obtenir par la vigueur et la solidité de la doctrine. Le chef de la Renaissance, adversaire naturel de la Scholastique, ne pouvait pas être juste envers elle. Le moyen âge, on en est convenu, déploya dans la déduction une merveilleuse puissance. La rude et forte discipline à laquelle il soumit les esprits, a préparé la rigueur méthodique des temps modernes. La Scholastique n'a ni sang, ni chair, ni moelle; elle n'a que des os, des nerfs, une charpente vigoureuse. Modérez-la dans ses excès de subtilité par le bon sens pratique. Joignez-y l'inspiration du génie avec la culture des lettres, avec la science des Écritures et des Pères, vous aurez Bossuet, ce modèle accompli de l'exposition doctrinale et de l'éloquence religieuse.

II

Érasme ne se contenta pas d'indiquer la route à suivre dans cette réforme des études sacrées. Il mit lui-même la main à l'œuvre avec un zèle qui ne se démentit jamais. S'il faut l'en croire, c'était principalement en vue des lettres sacrées qu'il étudia le grec avec tant d'ardeur et de persévérance. Il débuta dans cette carrière en publiaut les Annotations de Laurent Valla sur le Nouveau Testament. Il fit luimême de grands travaux sur les Écritures. Il contribua de tous ses efforts à l'impression des Pères de l'Église, à la restauration et à l'interprétation de leurs ouvrages. Mais son œuvre capitale en ce genre d'études fut son livre sur le Nou

veau Testament, dont nous parlerons plus loin. Il eut pour suite et pour complément les Paraphrases qui devaient répandre le goût des Écritures, en faciliter l'intelligence et en expliquer le sens. C'était, comme il le dit lui-même, un commentaire d'un nouveau genre.

Il commença par l'Épître de saint Paul aux Romains. Aucune partie du Nouveau Testament n'avait plus besoin d'être éclaircie, à cause des tournures hébraïques et des inversions qui abondent dans son langage, de la nature des sujets qui sont traités, et de la manière concise, brusque, décousue, irrégulière, confuse même, dont les mystères de la foi sont exposés dans une langue propre à l'Apôtre. Aussi à peine s'était-il essayé sur un ou deux chapitres, qu'il voulut y renoncer, tant l'entreprise lui semblait hardie, téméraire, pleine de péril. Mais ses amis, avec un merveilleux accord, l'en empêchèrent et ne le laissèrent point en repos jusqu'à ce qu'il eût achevé non-seulement les Épîtres de saint Paul, les seules qu'il avait eu dessein de paraphraser, mais toutes les Épîtres apostoliques. Afin de mieux préparer le lecteur à l'intelligence de ces paraphrases, il ajouta des sommaires où il expliquait le sujet en peu de mots, mais d'une manière nette et judicieuse. Dans celles des Épitres aux Corinthiens, il suivit de préférence, mais avec discernement, saint Ambroise et Théophylacte, archevêque des Bulgares, auteur plus moderne, mais qui avait lu les commentaires des anciens interprètes, perdus pour nous. Ces paraphrases de saint Paul furent dédiées à divers princes de l'Église, au cardinal Grimani, à l'évêque de Liége, au cardinal Campége, à l'évêque d'Utrecht. Par ces dédicaces, Érasme voulait donner à son entreprise des protecteurs capables de la défendre contre les préventions et les ombrages. Ce fut en partie pour le même motif qu'il offrit au cardinal Wolsey la paraphrase des deux Épîtres de saint Pierre. « Le volume est petit, lui disait-il, mais il ne faut pas mesurer la peine à l'étendue. Le langage de saint Pierre est beaucoup plus embarrassé que celui de

saint Paul, et l'on ne trouve pas ici le même secours dans les écrits des anciens. Ce que donne la Glose a été pris mot pour mot dans les commentaires de Bède. »>

Il joignit l'Épître de saint Jude à celles de saint Pierre, parce qu'il y avait beaucoup de rapport entre elles pour les pensées, le style et même les mots. Les Épîtres de saint Jacques et de saint Jean présentaient moins de difficulté. « Saint Jean, dit-il, par la clarté même de son langage, est en quelque sorte son propre interprète. Quant à saint Jacques, il se renferme presque dans les préceptes moraux, plus difficiles à suivre qu'à exposer. » Mais le cardinal de Sion l'exhortant à poursuivre son œuvre, il paraphrasa ces épîtres, ainsi que celle de saint Paul aux Hébreux, dont l'authenticité lui semblait quelque peu douteuse.

Il croyait avoir achevé sa tâche, quand le cardinal, de retour à Bruxelles après la diète de Worms, l'engagea dès la première entrevue à faire le même travail sur saint Mathieu. Il voulut décliner cette invitation, déclarant que c'était assez d'avoir osé une telle entreprise sur les Épîtres des Apôtres qui étaient sans doute des hommes divins, mais pourtant des hommes. La majesté du Christ était trop grande pour qu'il fût permis de paraphraser ses paroles. D'ailleurs la nature même du sujet s'opposait à une pareille tentative. D'abord il y avait dans l'Évangile des personnages auxquels il fallait nécessairement accommoder le discours; de là pour la plume des barrières très resserrées. En second lieu, une bonne partie de l'Évangile consistant dans une narration simple et claire, essayer une paraphrase, c'était allumer une lanterne en plein midi. En outre, les anciens, dans l'explication des allégories, ne s'accordant pas entre eux, comment rapporter leurs explications? Sous le nom du Christ ou sous celui des évangélistes?... Il y avait enfin des endroits qui semblaient inexplicables, comme le passage de saint Mathieu où il est question du péché irrémissible contre le Saint-Esprit. Dans un commentaire, on pouvait sans danger rapporter les senti

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