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était né ce qui était dit; car souvent le sens d'un passage dépend de ce qui précède et de ce qui suit. Il fallait considérer la personne qui parlait, celle à qui elle parlait, les termes mêmes, la circonstance, l'occasion; donner une grande attention aux figures de langage et de rhétorique, aux idiotismes, aux inversions, aux hyperboles, aux phrases ironiques, aux amphibologies plus fréquentes en grec qu'en latin, au sens particulier que prennent les mots dans chaque auteur sacré, à la force expressive de certaines locutions.

Érasme insistait particulièrement sur les allégories qui seules donnaient l'intelligence de l'Ancien Testament; mais il blâmait l'abus qu'on avait fait de l'allégorisme. «En affirmant ce qui est faux ou douteux, disait-il avec raison, on risque d'enlever toute créance à ce qui est vrai. » Il avait luimême ébauché un livre sur les Allégories théologiques, mais il ne l'acheva pas.

A l'exemple de saint Jérôme, il condamnait ceux qui rapportaient au Christ les fictions des poètes. Il voulait seulement que l'on en fit des applications morales, quand l'occasion s'en présentait; mais la façon la plus familière et la plus efficace d'instruire, c'était de recourir aux analogies et aux paraboles.

Ce qu'il fallait surtout recommander au jeune théologien, c'était d'apprendre à citer les Écritures avec à-propos, non d'après de petits résumés, ou des catalogues, ou d'autres recueils de ce genre, mais en puisant aux sources mêmes. Il ne devait pas imiter ceux qui osaient sans pudeur détourner violemment de leur vrai sens les oracles de la sagesse divine. Pour éviter cet écueil, il fallait posséder le sens vrai de tous les livres sacrés d'après les anciens interprètes. Érasme rappelait qu'il avait entendu, dans les luttes de la Sorbonne, des hommes très exercés d'ailleurs, discuter longuement au milieu d'un très nombreux auditoire, sans comprendre la lettre même du texte proposé. « Quelques-uns, disait-il, au lieu de puiser leurs croyances dans l'Écriture, la forcent de servir

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leurs opinions et leurs préjugés. Il y en a qui l'accommodent aux passions et aux mœurs publiques. »

Il ajoutait en passant une recommandation qu'il regardait comme éminemment utile, si l'on savait en user convenablement. Il conseillait au futur théologien de préparer lui-même ou d'emprunter à autrui quelques lieux ou cadres théologiques, où il pourrait déposer, comme dans des espèces de cases, tout ce qu'il aurait lu de remarquable dans les deux Testaments, dans les Pères, ou dans les livres des païens, afin de le retrouver plus aisément, quand il faudrait discuter ou expliquer un point quelconque. Dans chacun de ces cadres on devait ranger tous les passages analogues ou contraires, relatifs à chaque sujet. Il avait prescrit un travail semblable pour les études profanes dans son livre sur l'Abondance. Il croyait voir dans les écrits de saint Jérôme que ce docteur avait fait usage de cette méthode.

Ainsi préparé, le jeune théologien devait méditer sans cesse les livres sacrés, les étudier jour et nuit, les avoir toujours dans les mains, en occuper constamment ses yeux, ses oreilles, son esprit, afin que la doctrine, gravée dans l'âme, devînt comme une seconde nature. Érasme pensait aussi avec saint Augustin qu'il serait bon d'apprendre par cœur les Écritures divines, même sans les bien comprendre, ou du moins sans en saisir le sens mystique. Il conseillait de commencer par le Nouveau Testament qui pouvait maintenant suffire presque à l'exposition de la doctrine chrétienne. Il n'en était pas de même, quand il fallait amener les Juifs à la foi. Il était alors nécessaire d'employer l'autorité de l'Ancien Testament. Toutefois l'étude de ces livres pouvait être encore très utile si, usant avec mesure des allégories, on en faisait des applications au Christ et à la morale. Érasme donnait donc la seconde place à l'Ancien Testament, et il voulait que l'on étudiât d'abord les livres qui ont le plus de rapport avec le Nouveau, comme ceux d'Isaïe. Le travail ne devait pas rebuter celui qui voulait devenir vraiment théologien.

<< On apprend par cœur, disait-il, les préceptes d'une sophistique déliée, les commentaires ou même les paraphrases d'Aristote, les conclusions de Scot avec leurs preuves; et l'on refuse de donner le même soin aux Écritures divines, source de toute véritable théologie! Ne vaut-il pas mieux prendre une bonne fois cette peine que d'être obligé en toute occasion de recourir aux dictionnaires, aux résumés, aux index et de recommencer toujours le même travail, comme ces gens pauvres en mobilier et en vaisselle qui ont sans cesse besoin d'emprunter un verre ou un plat à leur voisin. Il faut donc laisser de côté ces recueils confus et impurs et former dans son esprit comme une bibliothèque vivante du Christ, où l'on pourra, en père de famille prévoyant, prendre à toute heure des provisions nouvelles ou anciennes, selon le besoin du moment. >>

Érasme se demande en passant si les Écritures peuvent être entendues sans commentaires. « Oui, dit-il, jusqu'à un certain point, assez pour arriver à une saine doctrine, sinon pour atteindre une science pompeuse et théâtrale. Les premiers commentateurs n'avaient pas de modèle; et pourtant Origène n'a point de rival en ce genre. Tertullien, plus ancien que lui, a merveilleusement approfondi la connaissance des livres sacrés, au point que saint Cyprien l'appelait son maître. » Érasme semblait oublier que les Origènes et les Tertulliens sont rares et qu'il s'adressait à des étudiants en théologie. Mélanchthon allait beaucoup plus loin: il ne craignait pas d'avancer ce paradoxe qui étonne dans un tel homme « Ce ne sont pas les commentateurs qui donnent de la clarté aux Écritures; ce sont les Écritures qui donnent de la clarté aux commentaires. >>

Érasme, du reste, n'empêchait pas d'avoir recours au travail des anciens interprètes. Mais il voulait que l'on choisît les meilleurs, avant tout Origène, auquel nul ne pouvait être comparé, ensuite, parmi les docteurs orthodoxes, Basile, Grégoire de Nazianze, Athanase, Cyrille, Chrysostome, Jérôme,

Ambroise, Hilaire, Augustin. De plus, on devait les lire avec respect, mais avec discernement, sans oublier que ces docteurs étaient des hommes, qu'ils ignoraient certaines choses, qu'ils se sont trompés en quelques endroits, qu'ils ont sacrifié quelquefois au désir de triompher des hérétiques (1). Il importait aussi de prendre garde aux livres supposés et aux interpolations. Il fallait d'un œil pénétrant démêler ce qui appartenait à ces grandes docteurs et ce qui était l'œuvre d'une main étrangère. Il était donc nécessaire de choisir, non-seulement entre les auteurs, mais aussi entre les livres d'un même auteur. Aux yeux d'Érasme, les Grecs étaient supérieurs aux Latins, les anciens aux modernes. Celui-ci était éminent dans un genre, celui-là dans un autre. Enfin, comme on ne pouvait tout lire, il convenait de lire d'abord ce qu'il y avait de meilleur.

Quant aux compilateurs modernes, indignes du nom d'interprètes, ils contenaient, suivant lui, une foule de choses qu'il faudrait ensuite désapprendre avec beaucoup de peine. Tout ce qu'il y avait de bon en eux était emprunté aux anciens, mais mutilé par ignorance, encore même beaucoup ne puisaient-ils pas aux sources, se contentant de piller en secret des compilations confuses, transvasées dix fois pour ainsi dire et ne conservant plus rien de la saveur primitive. « Ils y mêlent aussi, disait-il, leurs propres songes, sans compter la barbarie et l'aridité d'une forme repoussante. Saint Jérôme au contraire sait assaisonner et enrichir tout ce qu'il traite. Même quand il s'écarte de son sujet ou de la vérité, on trouve plus de profit dans son enseignement que dans celui de tels hommes exposant la vérité. D'ailleurs, en lisant ces auteurs, on devient insensiblement semblable à eux. On prend leur froideur, leur sécheresse, leur esprit pointilleux et disputeur. Mais, objectera-t-on, si l'on s'en tient aux anciens, on sera mal préparé aux luttes de l'école. Je réponds

(1) Ceci fut vivement relevé par les adversaires d'Érasme.

que nous ne formons pas un athlète, mais un théologien, et un théologien qui aime mieux exprimer sa doctrine par sa conduite que par des syllogismes. Il n'y a pas à rougir de passer pour faible théologien auprès de ces hommes, armés pour la dispute, au milieu desquels peut-être saint Jérôme. et même saint Paul se seraient trouvés embarrassés.

« Ce n'est pas la faute de la théologie qui n'est point née telle; c'est le fait de ceux qui l'ont, détournée de sa nature pour la soumettre aux arguties de la dialectique et à la philosophie d'Aristote. A quoi bon cependant mêler à cette science ce qui ne lui appartient pas et ce qui l'embarrasse de difficultés inextricables, de questions sans cesse renaissantes? Il y a des mystères que la véritable piété doit s'interdire de sonder. Il y a des choses que l'on peut ignorer sans péril pour son salut, des points sur lesquels il est plus sage de suspendre son jugement que de prononcer. Saint Chrysostome donne l'exemple de cette réserve, quand il ne veut pas que l'on recherche comment s'est faite l'union des deux natures en Jésus-Christ, sa conception dans le sein de la Vierge, la génération éternelle du Verbe. >>

Plus tard, Bossuet pensait de même au sujet de certaines difficultés insolubles. Cependant les disputes de la Scholastique roulaient la plupart du temps sur des questions de ce genre. Elle s'épuisait en subtilités pour les résoudre, cherchant toute occasion de déployer les ressources de sa dialectique, son analyse déliée, ses distinctions sans fin. La jeunesse et la vieillesse des théologiens se consumaient sur ces problèmes inutiles, étranges, souvent même dangereux. On regardait presque ces recherches comme les plus dignes d'un théologien. Si un jeune homme qui n'avait pas lu encore l'Évangile ou les Épîtres de saint Paul, montrait un peu d'habileté en ces matières, il devenait aussitôt bachelier en théologie.

Aux yeux d'Érasme, de telles controverses étaient supportables tout au plus comme passe-temps. Mais que l'on en fit

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