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l'auteur. Loin d'atteindre la réputation de Budé, elle lui donna un nouveau lustre. De tous côtés, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Angleterre s'élevait un concert de louanges en l'honneur du savant français. L'Italien Bembo était d'accord avec l'Allemand Ursinus Velius pour célébrer son érudition et son éloquence. Érasme lui-même, dans plusieurs de ses lettres, exprime en si bons termes son admiration pour son rival, qu'on peut se demander sérieusement si l'on doit voir dans le passage du Cicéronien une étourderie ou une rancune jalouse.

Ce ne fut pas seulement en France que cette revue critique des lettrés contemporains fit des mécontents. Tous ceux qui n'avaient pas été nommés ou qui n'avaient pas été traités selon leur désir en conçurent un ressentiment profond et s'en vengèrent en prodiguant à Budé les éloges les plus pompeux. Leur colère était d'autant plus vive qu'Érasme avait donné place à une foule d'hommes obscurs. Il mourut au milicu même de ces dissensions qui se prolongèrent pendant plusieurs années. Ses adversaires oubliaient sa vieillesse et ses services ils auraient dû respecter le vieillard désarmé par l'âge et la maladie, le restaurateur infatigable des bonnes études. Leurs emportements étaient impuissants contre tant de gloire. Les torts que pouvait avoir le chef des lettrés ne dispensaient pas le monde savant de la reconnaissance qu'il avait si bien méritée.

CHAPITRE V

Érasme réformateur des études sacrées. Ses travaux sur les Écritures et sur les Pères.

I

Érasme prétendit restaurer les études sacrées comme les études profanes. Toutefois il pressentait les difficultés propres et les écueils dangereux qui l'attendaient dans cette carrière. Il écrivait en 1517 à Fabricius Capiton: «Dans la théologie l'œuvre est un peu plus difficile; car jusqu'ici les théologiens de profession, étrangers aux lettres, couvrent leur ignorance. du faux prétexte de la piété et ameutent la foule contre quiconque attaque leur barbarie. Ils croient qu'un grammairien ne peut être un philosophe, qu'un rhéteur ne sera jamais un jurisconsulte, qu'un orateur ne saurait être théologien. Mais là aussi la renaissance s'accomplira, si les trois langues continuent d'être enseignées publiquement dans les écoles, comme on a commencé de le faire. Bientôt on comprendra que l'éloquence est la compagne inséparable de la sagesse, selon la parole de saint Augustin. Les théologiens les plus instruits et les plus vertueux favorisent eux-mêmes la réforme, entre autres Jacques Lefebvre d'Étaples. Naturellement je me suis chargé de la partie la plus humble de la tâche. A en juger par la colère de ceux qui ne veulent pas que le monde devienne meilleur, mon faible travail a quelque importance. Au

reste, sans avoir la prétention de rien enseigner d'éclatant, j'ai voulu seulement préparer la voie à de plus grands efforts, à des enseignements plus élevés. Pourtant les hommes instruits accueillent mon œuvre sans défaveur. Elle n'excite des murmures que de la part de quelques individus dont la sottise est bafouée même des ignorants tant soit peu sensés. » Érasme avait en vue son ouvrage sur le Nouveau Testament, publié depuis quelques mois.

Il adressait à la Scholastique un triple reproche. Il l'accusait de parler un langage barbare et rebutant, d'épuiser ses forces sur des questions insolubles, inutiles, dangereuses, enfin de négliger les sources mêmes du christianisme (1), c'est-à-dire les Écritures et les Pères. Au lieu d'étudier les livres sacrés et les docteurs des premiers siècles, elle cherchait la doctrine chrétienne dans les auteurs du moyen âge, principalement dans Scot et dans saint Thomas. Le seul père des premiers siècles qu'elle connaissait un peu, était saint Augustin, dont la dialectique déliée convenait aux tendances de l'époque. Pour corriger le langage barbare des théologiens, Érasme recommanda sans cesse l'union des lettres avec la théologie. C'était, suivant lui, le moyen de la guérir de son incorrecte sécheresse, comme de son goût pour les questions subtiles, de la rendre accessible et même attrayante pour tous les esprits. En même temps, il posa en principe qu'on ne pouvait être vraiment théologien, sans étudier les sources (2), sans connaître à fond le Nouveau et l'Ancien Testament, sans interroger les docteurs des premiers siècles, qui, placés au berceau du christianisme, alliaient la plus profonde science à la plus grande sainteté. C'était donc surtout à leurs ouvrages qu'il fallait demander l'explication vraie de la doctrine chrétienne.

(1) Gerson fait le même reproche à la dialectique de son temps. L'auteur de l'Imitation censure aussi l'abus des questions subtiles. V. la note F, à la fin du volume.

(1) In fontibus versetur oportet, qui velit esse vere theologus. T. V, p. 183.

Dans une exhortation à l'étude de la philosophie du Christ, placée en tête de son livre sur le Nouveau Testament, il rappelait le vœu de Lactance qui, s'apprêtant à défendre le christianisme contre les païens, souhaitait une éloquence approchante de celle de Cicéron. Pour lui, il eût désiré une éloquence tout autre et moins diaprée, mais beaucoup plus efficace pour exciter les âmes. Il déplorait l'abandon, l'oubli, le dédain même où cette étude était laissée, tandis que l'on cultivait les autres avec tant d'ardeur. « Jamais, disait-il, ces plaintes n'ont été plus légitimes; et pourtant, que sont les maîtres de la science profane, malgré les vérités utiles que l'on trouve dans leurs écrits, auprès du Christ, ce docteur suprême, venu du ciel pour instruire les hommes? Peut-on se dire théologien, peut-on même se dire chrétien, quand on n'a pas lu son Évangile? Sa doctrine s'accommode à tous les esprits; comme le soleil, elle luit pour tout le monde, elle ne repousse personne. » Il ajoutait : « Il y a des gens qui rendent la philosophie du Christ sombre et triste; mais, à vrai dire, il n'y a rien de plus doux. >>

Il exposa ses vues sur la réforme des études sacrées dans un petit livre qu'il intitula : Méthode abrégée de la vraie théologie. C'était d'abord une simple préface de son ouvrage sur le Nouveau Testament. Plus tard, il la refondit et la développa au point d'en faire un petit livre. 11 montrait d'abord l'importance d'une bonne méthode en toute matière et confessait modestement son insuffisance pour une tâche si grande, si relevée et si difficile, en avertissant qu'il écrivait pour les esprits ordinaires, tandis que ses devanciers, saint Augustin, par exemple, s'adressaient aux génies d'élite.

Son premier précepte regardait le cœur. « Il faut, disait-il, apporter à cette philosophie céleste une âme, non-seulement pure de la souillure de tout vice, mais dégagée du trouble de toute passion et parfaitement calme, afin que l'image de l'éternelle vérité puisse s'y reproduire d'une manière éclatante, comme dans un miroir. A une grande pureté d'intention, on

doit joindre un désir extrême d'apprendre, bannir la jactance et l'orgueil, l'amour de la renommée, l'entêtement, source de disputes, l'aveugle témérité. Il faut avec toute l'humilité de la foi écouter l'enseignement de l'esprit céleste, adorer les mystères sacrés, ce que l'on ne comprend pas comme ce que l'on comprend, se garder de toute curiosité indiscrète ou impie. Souvent l'esprit saint récompense cette foi respectueuse en révélant ses mystères avec une pleine évidence... La rhétorique a pour objet d'apprendre à parler avec abondance et avec éclat; la dialectique enseigne l'art de raisonner avec finesse, et d'enlacer son adversaire; le premier et l'unique but de la théologie, c'est de transformer notre esprit et notre cœur. Nos mœurs doivent être l'image fidèle de ses préceptes. » On voit qu'Érasme lui donnait un caractère et un rôle essentiellement pratiques.

Parmi les sciences qui pouvaient lui être d'un secours utile, il assigna la première place à la science des trois langues. Saint Augustin, peu versé lui-même dans le grec (1), étranger à l'hébreu, déclarait cette connaissance nécessaire pour l'intelligence comme pour la restitution des textes sacrés. «< On voit pourtant, disait Érasme, des théologiens endurcis qui, vieillissant dans les subtilités de l'École, ont coutume de dire pour moi, la version de saint Jérôme me suffit. Ils savent d'ailleurs si peu le latin qu'ils ne la comprennent même pas, sans compter qu'il y a certaines nuances délicates qui ne peuvent passer d'une langue dans une autre. Il faut encore ajouter les altérations des livres sacrés dans les temps anciens et modernes. Je suis même porté à croire que certaines parties des Écritures, rétablies dans leur vérité par saint Jérôme, se sont perdues, et en particulier le Nouveau Testa

(1) Cependant, au Ive livre des Confessions, saint Augustin dit qu'à vingt ans environ, il avait lu les Catégories d'Aristote dans l'original. Plus tard, ayant conversé avec des professeurs qui commentaient cet ouvrage traduit en latin, il reconnut qu'ils n'apportaient rien qu'il n'eùt vu lui-même à fond.

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