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dans ses lettres si vives, si gracieuses, si variées. A la pureté absolue, mais artificielle et froide des cicéroniens, il a préféré une correction relative, mais exempte de recherche, un langage qui se plie aux besoins de la pensée, sans jamais l'asservir, sans jamais lui faire violence. En agissant de la sorte, il a montré la sagesse judicieuse de son esprit.

Les exagérés de la Renaissance ne manquèrent pas de lui reprocher sa latinité équivoque, ses barbarismes, son style commun et sans éclat, sa phrase négligée et sans nombre, le défaut d'ordre et d'art que l'on remarquait dans ses compositions accumulées les unes sur les autres, fruits d'un travail précipité. Érasme, à son tour, n'épargna pas les partisans idolâtres de l'antiquité païenne. Les cicéroniens devinrent le but de ses traits les plus piquants. Dans un de ses Colloques, celui du jeune homme et de l'écho (1), il leur décocha un de ces sarcasmes qui jettent sur un homme ou sur une secte un ridicule indélébile. Il écrivait à Vivès : « Je me réjouis de voir les Muses rappelées au sein des écoles publiques d'où elles étaient exilées auparavant. Toutefois, je voudrais qu'en y entrant, elles fissent sortir seulement la barbarie et les frivoles subtilités, mais sans étouffer des sciences nécessaires. Elles doivent même aider à leur étude approfondie, bien loin de leur nuire; car il ne faut pas seulement s'appliquer aux bonnes lettres, comme certains hommes chez les Italiens le font d'une manière trop païenne. Après avoir inséré dans leurs vers Jupiter, Bacchus, Neptune, Apollon, Mercure, ils se regardent comme des lettrés accomplis. Les lettres ne sont appréciées à leur juste valeur que lorsqu'elles servent d'assaisonnement à d'autres sciences plus impor

tantes. >>

Chose singulière, le principal foyer de ce paganisme littéraire et même moral était en Italie, à Rome, au centre de la

(1) T. I, p. 818. Le jeune homme: Decem jam annos ætatem trivi in

Cicerone. L'écho: ove.

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catholicité. C'est là que la Renaissance avait commencé; c'est là aussi que l'on vit ses partisans les plus exagérés. Erasme dans ses lettres les flétrit plusieurs fois sous le nom de païens de Rome. « Là, disait-il, fermente le paganisme de certains hommes qui condamnent tout ce qui n'est pas cicéronien; et ne pas être appelé cicéronien est à leurs yeux beaucoup plus déshonorant qu'être appelé hérétique. On ne saurait imaginer combien ils me sont hostiles, parce que je ne reproduis pas Cicéron qui n'est peut-être reproduit par aucun d'eux. Moi, du moins, je n'y aspire pas; et si j'avais cette prétention en traitant un sujet chrétien, je serais ridicule. »>

Un peu plus tard, il parlait encore d'une manière plus catégorique dans une lettre adressée à François Vergara : « J'ai une autre espèce d'ennemis qui viennent récemment de s'élancer sur moi, comme d'une embuscade. Ils sont importunés de voir les bonnes lettres prononcer le nom du Christ, comme s'il n'y avait d'élégant que ce qui est païen. Jupiter très bon et très grand sonne plus agréablement à leurs oreilles que Jésus-Christ, rédempteur du monde. Pères conscrits a pour eux un son plus doux que saints Apôtres; ils élèvent Pontanus jusqu'au ciel par leurs louanges; ils dédaignent saint Augustin et saint Jérôme. Mais moi, j'aimerais mieux une seule ode de Prudence chantant Jésus, qu'un navire tout chargé des vers de Pontanus dont cependant je ne méprise ni l'érudition, ni l'éloquence. Auprès d'eux, il est presque plus honteux de n'être pas cicéronien que de ne point être chrétien; et pourtant si aujourd'hui Cicéron revenait à la vie, ne parlerait-il pas sur des sujets chrétiens autrement qu'il parlait de son temps, puisque le premier mérite de l'éloquence consiste à s'exprimer selon la convenance?

<< Personne ne nie que Cicéron ait excellé dans l'art de bien dire, quoique cependant tout genre d'éloquence ne convienne pas à toute espèce de personnes et de matières. Que signifie cet engouement insupportable pour son nom? Je vous le dirai en peu de mots, mais pour ainsi dire à l'oreille. Sous

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ce fard, ils cachent le paganisme qui leur est plus cher que la gloire du Christ. Pour moi, je ne regrette pas beaucoup d'être rayé de la liste des cicéroniens, pourvu que je sois inscrit dans le catalogue des chrétiens. Si quelqu'un parmi nous joignait les qualités du style de Cicéron à la piété chrétienne, je le préférerais même à dix Cicérons. Quant à moi, j'ai toujours été si éloigné de reproduire le type du style cicéronien que, même dussé-je y parvenir, j'aimerais mieux un genre de diction plus ferme, plus serré, moins paré et plus mâle... Enfin, s'il faut dire la vérité, parmi ceux qui n'admirent que Cicéron, personne encore ne nous en donne la reproduction fidèle. Car je ne me soucie nullement d'un vain clinquant de style et d'une dizaine de mots pris çà et là dans ses écrits. Je veux retrouver son âme tout entière. Si je parle ainsi, ce n'est pas qu'à mes yeux il y ait un modèle plus digne d'être proposé à ceux qui aspirent à l'éloquence, mais je ne puis m'empêcher de rire de ces singes qui ne trouvent beau que ce qui reproduit Cicéron. Et pourtant il n'est pas de beauté si parfaite qui ne laisse quelque chose à désirer. Comme le peintre, l'orateur doit prendre dans plusieurs modèles le type de la perfection. >>

De tous les lettrés qui avaient vu le jour au-delà des Alpes, le seul Christophe Longueil avait obtenu des Italiens le nom envié de cicéronien, et encore ce n'était pas sans peine. «Toutefois, disait Érasme, il est mort à propos; car peutêtre l'étude du grec et la lecture des livres sacrés auraient pu obscurcir cette gloire. » Au reste, les Cicéroniens trouvèrent un brillant défenseur dans cet homme du nord que plusieurs pays se sont disputé, comme Homère, mais qui était, paraît-il, Hollandais d'origine et compatriote d'Erasme (1). Esprit stu

(1) D'après l'opinion la plus commune, Longueil serait né à Malines, en 1490. Quelques-uns lui ont donné la France pour patrie. Érasme, dans une lettre, affirme avoir entendu dire à Pierre Longueil, personsage très docte et oncle de l'écrivain, que celui-ci était originaire de Schoonhoven, petite ville à douze kilomètres de Gouda, ainsi nommée à cause de la beauté de ses jardins. T. III, p. 1307.

dieux, élégant, poli, mais plein de recherche, sans originalité dans la pensée et dans le style, il rendit une nouvelle vie à cette secte déjà vieille; et l'on vit, à côté de la secte de Luther, surgir aussi violente la secte des cicéroniens.

Érasme assure avoir toujours été chaud partisan de la science et du talent de Longueil. Il avait largement loué son mérite. Il se trouva cependant fort maltraité dans ses écrits publiés après sa mort prématurée (1). « Quelle que soit la source de sa colère contre moi, disait-il, je m'afflige de voir cet homme enlevé avant le temps aux lettres dont il devait faire l'ornement et hâter les progrès. Comme s'il n'y avait pas assez de factions dans le monde, la faction des cicéroniens a repris une force nouvelle. Leur but est de retrancher Érasme et Budé du catalogue des savants et de les bannir des mains des hommes. J'avoue que la première gloire dans l'éloquence appartient à Cicéron; mais je crois ridicule de ne travailler toute sa vie qu'à reproduire Cicéron. »>

Parmi ces nouveaux cicéroniens, les plus ardents et les plus acharnés contre Érasme étaient Albert Pius, prince de Carpi, Balthasar, comte de Castilion, le vénitien Navagero, André le Napolitain. Ils se déchaînaient tous contre son style négligé. « Érasme, disaient-ils, de latin, est devenu barbare. » Un Italien, précepteur des enfants de France, Bénédict Theorunus, le flétrissait du nom de Batave. On reconnaissait pourtant de l'art dans l'Eloge de la Folie, un art qui sentait Lucien. Érasme supposait que l'âme de toutes les menées des cicéroniens était Aléandre, son ennemi secret. Il accusait cet homme, qu'il croyait plein de ruse et de dissimulation, de vivre à Venise en épicurien et de réaliser dans les mœurs le paganisme qu'il préconisait dans le style.

Toutefois les cicéroniens les plus illustres ne partageaient pas cette antipathie et ces préventions injustes. Sadolet,

(1) Longueil mourut en 1522. Il n'avait guère que trente ans. Critiquant l'Éloge de la Folie, il avait plaisanté sur l'orateur batave, comme

s'il eût été lui-même un enfant d'Athènes.

avant de publier ses commentaires sur l'Épître aux Romains, les soumit à la critique d'Érasme. Le chef des lettrés ne put qu'admirer l'abondance cicéronienne et l'éclat merveilleux du langage. Il craignait pourtant que l'élégance exquise du style ne convînt pas à de telles matières qui demandaient avant tout une diction simple et naturelle. A ses yeux, la parure du langage énervait la vigueur de la philosophie chrétienne.

L'année qui précéda sa mort, un de ses jeunes amis, qui se trouvait en Italie, lui recommandait de polir ses ouvrages. C'était un peu tard, et d'ailleurs son génie improvisateur se refusait invinciblement à ce travail. « J'ai écrit, disait-il, non pour les Italiens, mais pour d'épais Bataves, parmi des Allemands barbares et dans un temps moins favorisé que l'époque présente. » Il ajoutait: « Certains sujets n'admettent pas cette élégance recherchée du discours. Ce style parfumé de Cicéron ne convient pas aux ouvrages qui ont pour but d'instruire, ou qui traitent de la religion. Au premier genre appartiennent les Adages; au second, les Paraphrases, les Annotations du Nouveau Testament et beaucoup d'autres écrits. Si vous vous efforcez d'y ajouter l'éclat du style cicéronien, je ne sais comment, ils perdent toute faveur auprès des adeptes de la vraie piété, qui cherchent la véhémence de l'esprit et non les séductions du langage.

«Les sujets mystiques demandent en quelque sorte une diction particulière. Quel est celui que Lactance enflamme pour la vraie piété? Et pourtant rien n'est plus éloquent. On dirait un Cicéron chrétien qui parle; et encore il ne traite pas des Ecritures; il combat les païens. Mélanchthon lui-même, dans les commentaires où il explique l'Epitre aux Romains, abaisse son style avec intention, parce qu'il veut là surtout paraître théologien.

« Jacques Sadolet, cet ornement remarquable de notre époque, a publié sur la même épître trois livres d'un merveilleux éclat de style, d'une abondance toute cicéronienne;

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