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Marguerite Roper (1), l'honneur de l'Angleterre, illustrée par son dévouement filial, dont l'âme était encore plus belle que le visage, recevait des lettres d'Érasme et lui répondait avec une délicatesse et une grâce charmante, l'appelant son maître. Elle aussi éprouva plus tard que si les lettres sont l'ornement de la prospérité, elles sont la consolation de l'infortune, suivant la parole de Cicéron. Le grand peintre Holbein a peint cette admirable famille. Érasme en a fait lui-même une peinture ravissante dans une lettre à Ulric de Hutten : famille à la fois patriarcale et cultivée, véritable sanctuaire de toutes les vertus domestiques, elle nous offre, dès le commencement du XVIe siècle, le type de la famille anglaise, telle qu'on la retrouve aujourd'hui dans sa plus pure et sa plus noble expression.

Après l'Angleterre, l'Allemagne fut le pays où l'œuvre de la Renaissance s'accomplit avec le plus de rapidité. Elle trouva de la résistance en quelques endroits, à Cologne principalement; mais elle en triompha avec une impétuosité que l'on ne devait pas attendre de la lenteur allemande. Quand Érasme se rendit à Bâle pour diriger l'impression de ses ouvrages, la haute Allemagne l'accueillit avec un empressement enthousiaste qui le charma. Les hommes les plus distingués aspirèrent à devenir ses amis, lui rendirent visite, ou ambitionnèrent l'insigne honneur de le recevoir chez eux. Aucun cependant n'égala l'admiration hyperbolique du jurisconsulte Zazius, l'ornement de l'Université de Fribourg. Érasme ne put jamais obtenir de lui des épithètes modérées. Zazius l'appelait trois fois très grand, un demi-dieu, l'égal des Platon, des Cicéron, des Quintilien. Les lettres qu'il écrivait au jurisconsulte faisaient le tour de l'Université, les étudiants se les arrachaient. On admirait ces flots d'une éloquence si pure; on adorait le génie divin descendu du ciel, les délices du monde lettré, le Socrate de l'Allemagne (2). Un billet d'É

(1) V. 1er vol., p. 570 et 571.
(2) V. 1er vol., p. 127 et suiv.

rasme suffisait pour donner une haute valeur à celui qui le recevait.

Un autre lettré, conseiller de l'empereur, zélé défenseur de Reuchlin, Bilibald Pirckheimer, rechercha son amitié qu'il cultiva jusqu'à sa mort. Ce personnage avait deux sœurs, toutes deux religieuses, qui écrivaient des lettres en bon latin. Plus instruites que beaucoup d'hommes qui se donnaient pour des demi-savants, elles lisaient assidûment les livres d'Érasme. Ecolampade et Zwingle, ces deux chefs futurs de la Réforme en Suisse, unissaient leurs voix à ce concert universel d'éloges. Les poètes latins du temps chantaient à l'envi sa naissance et célébraient son génie. Le jeune Mélanchthon faisait mieux encore : il louait dans des vers grecs celui qu'il appelait son maître et dont il fut l'ami jusqu'au dernier jour. Jean d'Eck, cet ardent champion du catholicisme contre la Réforme, ce théologien guerrier, comme l'appelait Érasme, admirait ses dons éminents, ainsi que Luther lui-même. Dès l'enfance, il avait été formé par la lecture des premiers Adages. Plus tard, quand les dissentiments éclatèrent, il avouait encore qu'il avait beaucoup profité à ses ouvrages. Même alors, il reconnaissait que toute l'Allemagne, l'Italie, la France, l'Angleterre, le pape lui-même, rivalisaient de louanges et accueillaient ses écrits avec enthousiasme, que presque tous les hommes instruits étaient érasmiens, excepté un petit nombre de moines et de théologastres. Les princes laïques et ecclésiastiques rendaient hommage à son mérite incomparable, comme les savants. Le prince Ernest de Bavière, ami sincère des lettres, voulant donner du lustre à l'Université d'Ingolstadt, qu'il avait fondée, s'informait avec soin comment il pourrait y attirer Érasme.

Un enthousiasme si vif, si général, embarrassait un peu sa modestie; il se croyait indigne de tant d'honneur; « et pourtant, disait-il, je me réjouis de voir les bonnes lettres renaissant de tous côtés; et j'espère que bientôt Érasme passera pour un homme illettré et muet. » Il écrivait un peu plus

tard au cardinal Wolsey: « L'Allemagne possède quelques jeunes gens qui donnent de grandes espérances de savoir et d'éloquence; et je présage que, grâce à eux, ce pays pourra se vanter d'une gloire qui fait maintenant le légitime orgueil de l'Angleterre. Je n'en connais aucun de visage, excepté Eobanus, Hutten et Rhenanus. Ils luttent avec toute espèce d'armes contre les ennemis déclarés des langues et des bonnes lettres qui ont la faveur de tous les gens de bien... Pour moi, applaudissant à la félicité publique, je me réjouis de voir mon nom obscurci par l'éclat des talents qui s'élèvent partout... Il me suffit d'avoir l'honneur, si toutefois je le mérite, de passer pour un de ceux qui se sont efforcés de bannir de ces contrées la barbarie si grossière et la honteuse ignorance que nous reprochaient les Italiens. Avec quel bonheur l'ai-je fait, je l'ignore; du moins je l'ai tenté, non sans m'exposer à la haine qui d'ordinaire accompagne les nobles efforts, comme l'ombre accompagne la lumière (1). Toutefois la plupart s'adoucissent. Il n'y a maintenant de rebelles que certains hommes en petit nombre, trop âgés pour espérer, trop stupides pour pouvoir, trop arrogants pour vouloir apprendre une science meilleure. >>

Il se félicitait des progrès obtenus; il en espérait de plus grands, si, à l'exemple des ducs de Saxe et de l'archevêque de Mayence, les princes et les grands commençaient enfin à rendre hommage aux talents. « Quant à moi, disait-il, au milieu des mouvements tumultueux que font naître tous les jours les sycophantes conjurés contre les meilleures études, je me tiens en équilibre avec le lest de la raison et de la philosophie; et je lutte contre la tempête avec art autant qu'il m'est permis. » Il ajoutait : «Pour la perte des lettres, il n'est pas besoin des Turcs. Certains moines et certains théologiens trament leur ruine par tous les moyens. En effet, quelle portion des études nous est laissée par celui qui ne veut d'autre

(1) V. 1er vol., p. 244.

science qu'une théologie sophistique et une connaissance confuse des lois, qui rejette les langues et condamne tout ce qui appartient aux lettres polies? Mais les efforts de ces hommes aussi impudents qu'insensés sont vains. Toute la France, toute l'Allemagne, toute l'Angleterre embrassent avec ferveur le culte des lettres. >>

L'Allemagne en particulier voyait de jour en jour s'élever dans son sein les talents les plus heureux. Il y avait presque autant d'universités que de villes. La plupart appelaient par de gros salaires des professeurs de langues. Érasme applaudissait à ce fécond épanouissement de génies supérieurs, sans approuver pourtant la licence de leurs écrits. Il craignait que ces excès ne rendissent odieuses les lettres elles-mêmes. Ce merveilleux essor de la Renaissance en Allemagne fut arrêté ou du moins ralenti par les troubles de la Réforme. Les controverses absorbèrent l'activité des esprits; on ne lut, on ne publia bientôt que des écrits de polémique; les bons auteurs furent négligés; les écoles devinrent languissantes et désertes. Érasme déplora cette décadence momentanée des études; il en accusa les sectes qui se plaignirent en vain de ces reproches. Il les renouvela fréquemment.

La France embrassa d'abord la Renaissance avec moins d'ardeur; elle comptait dès le commencement du xvie siècle des hommes égaux, sinon supérieurs, aux savants de l'Angleterre et même de l'Allemagne.(1), Budé, Lefebvre d'Etaples, le médecin Copus, Germain de Brie, Nicolas Béraud et d'autres encore. Toutefois les progrès des lettres dans la foule des hommes d'étude y furent au commencement plus lents et moins universels. La Sorbonne était la première école de

(1) Aléandre, appelé en France par Louis XII, y développa un peu l'étude du grec, ainsi que Jean Lascaris, qui fut le maître de Budé et de Rabelais. Toutefois, lorsque Glareanus vint à Paris en 1517, personne n'expliquait ni publiquement, ni en particulier, aucun auteur remarquable. Il assista à une leçon de la Sorbonne, où l'on agita, s'il faut l'en croire, cette question: Pourquoi Adam avait mangé des pommes et non des poires. V. t. III, p. 1621.

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l'Europe; mais la théologie y régnait en souveraine. Son autorité était immense; elle avait donc plus de force pour rejeter les nouvelles études qui prétendaient faire brèche à son empire, et peut-être la supplanter.

La France, il est vrai, avait à sa tête un souverain ami des lettres qui, dès la première année de son règne, s'était déclaré leur protecteur. Il roulait dans sa pensée de généreux projets qui devaient imprimer une puissante impulsion au mouvement de la Renaissance. Il était entouré d'hommes dévoués à la cause des lettres. Dans l'ordre ecclésiastique, c'était, entre autres, Guillaume Petit, son confesseur, grand théologien et en même temps partisan éclairé des bonnes études; c'était surtout Etienne Poncher, évêque de Paris, habile diplomate, esprit ouvert à tous les progrès que poursuivait la Renaissance; c'était enfin François Dumoulin de Rochefort, ancien précepteur du monarque. Dans l'ordre laïque, les lettres avaient des amis et des protecteurs distingués, Budé, de Loin, membres du parlement; Ruzé, sous-préfet de Paris; tous influents à la cour; l'infortuné Louis de Berquin, conseiller du roi qui l'aimait beaucoup et qui ne put cependant le sauver du bûcher. Mais les guerres malheureuses de Louis XII et de François Ier, les désastres qui accablèrent la France, la captivité du monarque, ralentirent les progrès de la Renaissance dans notre pays et retardèrent l'exécution des projets formés pour hâter son essor. Cependant les guerres d'Italie la servirent en un sens; elles mirent les Français en contact avec les Italiens qui dans les arts comme dans les lettres avaient devancé depuis deux siècles les autres peuples de l'Europe.

Aussi, malgré ses malheurs passagers, la France répara le temps perdu, et tandis que les Muses étaient muettes ou languissantes vers la fin de la vie d'Érasme dans les pays de l'Europe que troublaient les querelles de religion, elles trouvaient dans son sein une résidence paisible et semblaient même dès lors vouloir lui donner une prééminence qui

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